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DON D’ORGANES

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DONS D’ORGANES APRÈS EUTHANASIE ONT ÉTÉ EFFECTUÉS EN BELGIQUE EN DIX

ANS. LE CHU DE LIÈGE EN A RÉALISÉ TROIS. LE PR. MAURICE LAMY, MEMBRE FON

DATEUR DU COMITÉ D’ETHIQUE, SE SOUVIENT DE LA PREMIÈRE AVEC ÉMOTION ET

HUMANISME

En 2002, la Belgique était le deu-

xième pays au monde, après les

Pays-Bas, à dépénaliser l’euthanasie.

Depuis cette date, 21 patients belges

ont demandé, se référant à la loi sur

le don d’organes de 1986 et ses arrê-

tés d’application de 1987, à pouvoir

donner leurs organes après eutha-

nasie. Le 1

er

prélèvement d’organes

après euthanasie a eu lieu à Anvers

en 2005, et le deuxième au CHU de

Liège quelques semaines plus tard.

Entre 2005 et 2015, 21 prélèvements

après euthanasie ont été réalisés en

Belgique, qui ont permis de greffer

84 organes (essentiellement foies

et reins), qui ont tous parfaitement

fonctionné après la greffe…

Trois de ces demandes ont été ren-

contrées au CHU de Liège. Le Pr.

Maurice Lamy, membre fondateur

et premier président du Comité

d’éthique hospitalo-facultaire de

Liège, médecin anesthésiste-réani-

mateur, garde un souvenir précis

du premier de ces cas, en 2006. «

Il

s’agissait d’une femme, la quaran-

taine, atteinte d’un syndrome d’enfer-

mement (« locked-in syndrome

»), un

état neurologique rare : la patiente est

quadriplégique, totalement paraly-

sée. Elle ne peut plus communiquer

que par le mouvement des paupières.

Le cerveau fonctionne parfaitement

mais tous les membres sont paraly-

sés. La patiente était prisonnière de

son propre corps ». (1)

Elle était suivie par le Pr. Steven

Laureys depuis des années et elle

avait fait part de sa volonté de béné-

ficier d’une euthanasie. «

De nouvelles

complications l’avaient reconduite à

l’hôpital et, malgré l’encadrement dont

elle bénéficiait par ses proches, face à

ces nouvelles souffrances physiques et

psychologiques, elle refit part de sa

volonté avec insistance

». La loi sur

l’euthanasie est formelle : c’est le pa-

tient qui doit EXPRIMER sa volonté.

«

Elle l’exprima avec les paupières à

sa personne de confiance

». Le comi-

té éthique fut saisi de la demande.

En son sein, deux juristes veillèrent

au strict respect de la Loi. «

Il fallait

d’abord vérifier si la patiente n’était pas

dans une période de dépression. Le Pr

Georges Hougardy, psychiatre, fit un

travail remarquable et son rapport,

un modèle, conclut que sa souffrance

psychologique était très profonde mais

qu’elle n’était pas dépressive. Il confor-

mait sa volonté de mourir. Un expert

extérieur fut appelé, membre du Co-

mité d’Ethique de l’Institut Bordet qui

arriva à la même conclusion

».

L’EUTHANASIE PUIS LE DON

D'ORGANES

La Loi dit que la décision d’eutha-

nasie revient au patient. Un travail

psychologique fut effectué avec les

proches qui étaient au départ défa-

vorables mais qui se rangèrent à la

volonté de la patiente. «

L’euthanasie

avait été programmée mais, la veille,

dans l’après-midi, la patiente émit le

désir de donner ses organes vitaux

qui étaient en excellent état et donc

transplantables

». Maurice Lamy se

souvient de cette demande tardive. La

patiente s’en était bien, par le passé,

ouverte au Pr Laureys mais n’en avait

plus parlé récemment. «

Elle voulait,

par cet acte de générosité, donner un

sens à sa mort

». Pendant que les mé-

decins retournent devant le Comité

d’Ethique, les tests de compatibili-

té sont lancés, tests HLA, groupes

sanguins, infections, cancer,… Les

feux passent éthiquement et techni-

quement au vert. EuroTransplant est

actionné : il y a des receveurs, pour

le foie et les reins. L’euthanasie est re-

tardée de quelques heures pour que

tout soit prêt.

«

La patiente est alors emmenée sur

son lit dans le bloc opératoire. Elle

est accompagnée par son mari, en

tenue médicale. Il y a trois médecins

présents, totalement indépendants

de la transplantation qui va suivre.

Le Pr. Faymonville demande à la

patiente de confirmer sa volonté : fer-

mer les yeux pour dire oui, les ouvrir

grands pour dire non. Elle confirme.

L’euthanasie se déroule dans la salle

d’opération afin de ne pas perdre

de temps. Quelques minutes plus

tard, le cœur est à l’arrêt. Une fois

le décès constaté, les médecins qui

ont procédé à l’euthanasie quittent

le bloc avec le mari. Les chirurgiens

attendent dans la salle voisine. Ils

arrivent alors et procèdent aux opé-

rations. Chaque minute compte, les

organes se détériorant par manque

d’oxygène. L’abdomen est ouvert, les

organes sont plongés dans du liquide

physiologique glacé. L’opération se

déroule avec succès, de même que les

transferts. Par son geste, la donatrice

a sauvé trois vies

».

DES REMOUS ÉTHIQUES

Toute la procédure a été très vite

et seul le personnel directement

impliqué a été informé. Mais ra-

pidement une rumeur grandit : on

a vu une patiente rentrer vivante

au bloc sur son lit et on a vu sortir

des organes. La rumeur touche les

chirurgiens, les anesthésistes - réani-

mateurs, les infirmières, les brancar-

diers, jusqu’aux femmes d’ouvrage.

«

J’ai alors tenu, avec tous les méde-

cins concernés, une réunion du per-

sonnel pour expliquer le cas. Il y avait

70 personnes dans la salle. Pendant

trois mois, et à raison d’une fois par

semaine, j’ai refait l’exposé et répondu

aux nombreuses questions pour que

tout le monde soit informé de ce que

le CHU de Liège n’avait commis au-

cune faute légale, déontologique ou

éthique »

. Le Pr Olivier Detry relata

le cas dans «Transplant Internatio-

nal » deux ans plus tard (2). L’article

se conclut par ces mots : «

Ce cas de

double demande, l’euthanasie puis

le don d’organes après décès, montre

que le prélèvement d’organes après

euthanasie peut être réalisé et accep-

té des points de vue légal, éthique et

pratique dans les pays où l’euthana-

sie est dépénalisée. Cette possibilité

peut augmenter le nombre d’organes

transplantables et peut apporter du

réconfort au donneur et à sa famille,

considérant que la fin de la vie du

patient peut aider d’autres personnes

en attente de transplantation

».

R.T.

LE DON D’ORGANES

APRÈS EUTHANASIE

POUR DONNER

UN SENS À SA MORT

EUTHANASIE ET

DON D’ORGANES, CE N’EST

PAS INCOMPATIBLE

Il se pratique, en Belgique, plus de 2.000 euthanasies par an. «

Seuls entre 5

et 10 % de ces patients ont des organes transplantables, explique le Pr. Olivier

Detry. On ne prélève pas sur des patients de plus de 75 ans ni sur des patients

qui ont des cancers ou des maladies transmissibles. Ce sont essentiellement des

patients victimes de maladies neurologiques. Mais, si tous étaient donneurs

volontaires, on répondrait déjà à une grande partie des personnes en attente

».

(1)Voir sur cette maladie rare le film exceptionnel « Le scaphandre et le papillon », un film réalisé par Julian

Schnabel avec Mathieu Amalric, Emmanuelle Seigner, sorti en mai 2007. d’après le livre de Jean-Dominique

Bauby, aux Editions Robert Laffont

(2) Letter to the Editor – « Organ donation after physician-assisted death », Olivier Detry, Steven Laureys,

Marie-Elisabeth Faymonville, Arnaud De Roover, Jean-Paul Squifflet, Maurice Lamy, Michel Meurisse. Journal

Compilation – European Society for OrganTransplantation – 21 – 2008

© D.R.