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hristine et Christiane,
sage-femmes auCHU–
NDB, témoignent. Aelles
deux, elles comptent 60
ans d’expérience. De l’évolution
de la surmédicalisationau re-
tour à lanature, l’avenir est sans
doute aumilieu…
Le 5 mai, c’est la Journée mondiale
des sages-femmes. Christine Le-
brun (41 ans) et Christiane Debat-
ty (59 ans) travaillent au CHU de
Liège, site des Bruyères. Ensemble,
elles comptent près de 60 ans de car-
rière. Et quelles carrières. Christine
fête ses 20 ans de métier en juin. Di-
plômée infirmière(3 ans) et accou-
cheuse (1 an) en 1996, elle dispose
des deux diplômes. «
Je suis sortie
juste avant la réforme des études,
à une époque où il n’y a pas de pé-
nurie de main d’œuvre dans les ma-
ternités puisque les sages-femmes
y côtoient les puéricultrices
». Elle
débute à la maternité de Montegnée
qui, un an plus tard, est transférée à
Saint-Joseph. Elle reste à Montegnée
où elle travaille comme infirmière
de chirurgie gynécologique. «
Mais
mon métier, ma vocation, c’est sage-
femme. Je rejoins alors la néonato-
logie à Rocourt
». Quand en 1998
la législation n’accepte plus que les
sage-femmes dans les maternités et
reclasse les puéricultrices, il y a subi-
tement pénurie. «
Je suis donc rappe-
lée et me retrouve au MIC, Maternal
Intensive Care, et j’y accompagne, à
Saint-Joseph, les patientes présen-
tant des Grossesses à Hauts Risques
(GHR)
». Christine suit en même
temps et avec succès les cours de
licence en santé publique/épidé-
miologie avant de… voyager pour
Médecins sans Frontières. Un enga-
gement qui durera huit ans : quatre
ans à travers le monde et essentielle-
ment en Angola, où elle rencontrera
son mari, et quatre ans au siège à
Bruxelles comme «
responsable san-
té reproductive
». Puis elle revient à
Liège, passe une année « temps plein
nuit » pour se réacclimater aux soins
de santé belges avant de rejoindre le
CHU qui cherchait une adjointe à
la chef de service néonatologie. Elle
est, depuis un an, l’infirmière chef
d’unité de la maternité du bloc obs-
tétrical et de la néonatologie à NDB.
Christiane Debatty est l’adjointe
de Christine. Elle dispose aussi du
double diplôme infirmière (Sainte
Julienne)-accoucheuse
(Barbou).
Elle débute à Notre Dame des
Bruyères en juillet 1979. Après 20
ans de carrière, sa licence en gestion
hospitalière en poche, elle rejoint la
clinique de Rocourt pendant 3 ans
et demi. En 2002, au moment de la
fusion avec le CHU, elle revient à
NDB en remplacement de la chef
du moment. Depuis 2003, elle est
chef adjointe de l’unité et ne quittera
plus ce poste jusqu’aujourd’hui. En
parallèle, en 2004, elle participe à
des missions avec l’asbl «
Médecins
sans vacances
». Une partie de ses
vacances annuelles est dédiée à des
missions de renforcement de ca-
pacités des blocs d’accouchements
dans certains pays d’Afrique.
DE LA SURMEDICALISATION
AU RETOUR A LA NATURE
L’appellation de la profession a fluc-
tué entre «
Sage-femme
» et «
ac-
coucheuse
». Si aujourd’hui c’est le
terme «
sage-femme
» qui l’emporte,
un nouveau débat s’est ouvert
concernant son orthographe : «
sage-
femme
» ou, comme le recommande
la nouvelle orthographe française
« sagefemme ». Nous garderons
l’orthographe ancienne, avec un
trait d’union, qui symbolise le rôle
important de la personne, entre le
médecin gynécologue et la patiente,
entre la maman et son enfant, avant
et après l’accouchement. L’OMS la
définit ainsi : «
La sage-femme doit
être en mesure de donner la super-
vision, les soins et les conseils à la
femme enceinte, en travail et en pé-
riode post-partum, d’aider lors d’ac-
couchement sous sa responsabilité et
prodiguer des soins aux nouveau-nés
et aux nourrissons. Ses soins incluent
des mesures préventives, le dépis-
tage des conditions anormales chez
la mère et l’enfant, le recours à l’as-
sistance médicale en cas de besoin
et l’exécution de certaines mesures
d’urgence en l’absence d’un médecin.
Elle joue un rôle important en édu-
cation sanitaire, non seulement pour
les patientes, mais pour la famille et
la préparation au rôle de parents et
doit s’étendre dans certaines sphères
de la gynécologie, de la planification
familiale et des soins à donner à l’en-
fant. La sage-femme peut pratiquer
en milieu hospitalier, en clinique, à
domicile ou en tout autre endroit où
sa présence est requise.
»
Des accouchements, Christine et
Christiane en ont connus, une expé-
rience qui s’étale dans le temps et dans
l’espace. Elles ont connu les change-
ments législatifs des formations qui, à
la polyvalence qui était la leur, privilé-
gièrent la spécialisation. «
Aujourd’hui,
il n’y a plus de cours commun. Par
exemple une infirmière apprend tous
les diabètes, une sage-femme est foca-
lisée sur le diabète de grossesse
». Elles
ont connu les évolutions médicales
de l’accouchement. Il y a 20 ans, tout
était très médicalisé, voire surmédi-
calisé. Puis, il y a une petite dizaine
d’années, la tendance s’est progressive-
ment inversée avec la volonté de moins
médicaliser, de créer des maisons de
naissance et de privilégier l’accouche-
ment à domicile, comme aux Pays-Bas.
«
Force nous est cependant de constater
que la création d’une maison de nais-
sance à Liège n’a pas eu le succès espéré
et qu’il n’y a jamais eu en Belgique une
volonté de privilégier l’accouchement à
domicile
». Cette invertion de tendance
commence seulement à être visible
aujourd’hui, comme tend à le démon-
trer la diminution du taux et moment
de l’induction (accouchement pro-
voqué) et du taux d’épisiotomie chez
les primipares . «
Aujourd’hui, on est
revenu à un équilibre entre la sécurité
médicale et la volonté des parents de
se réapproprier un événement naturel.
Les parents redeviennent les premiers
acteurs et peuvent discuter de leur pro-
jet de naissance avec les prestataires de
soins.
»
DEUX EXEMPLES
POUR MONTRER
CETTE ÉVOLUTION.
LE BAIN DU BÉBÉ :
«
Avant, les parents étaient des
spectateurs des professionnels de
la santé. On donnait le bain le
premier jour, six heures montre
en main après la naissance, de
jour comme de nuit. Maintenant,
on le lave le 2
e
jour avec les pa-
rents qu’on a remis au cœur de la
pratique. Notre travail est aussi
de leur donner confiance dans
leur capacité à être parents
».
L’ALLAITEMENT :
Après la guerre, quand la pratique
des nourrisses a disparu, appa-
raissent les premiers lactariums.
C’est le début de l’âge d’or de l’in-
dustrie productrice de lait de subs-
titution. Elle culminera avec mai
68, le biberon symbolisant la liberté
féminine retrouvée. Puis, dans les
années 90 c’est la période du «
re-
tour à la nature
» et l’allaitement
maternel retrouve ses défenseurs.
«
Aujourd’hui, 76 % des mamans
privilégient l’allaitement maternel
pour 24 % l’allaitement artificiel
»
explique Christiane. Un chiffre qui
varie selon les pays. Il est ainsi bien
plus bas en France où l’on évoque
la possibilité de … payer les mères
pour qu’elles allaitent. «
On voit
beaucoup aujourd’hui de publicité
à la télé pour des compléments ali-
mentaires pour bébé, qui feraient
des enfants des danseurs étoiles ou
des architectes. Cette publicité fait
du tort. Elle pousse les mamans qui
peuvent allaiter jusque 12 et même
18 mois, à arrêter après trois mois
au motif que les compléments ali-
mentaires peuvent prendre le re-
lais
».
COMMENT SERA
LE METIER EN 2020 ?
Nos deux sages-femmes voient se
développer cette tendance des pa-
rents acteurs de l’accouchement,
également liée à la politique bud-
gétaire de raccourcir le séjour en
maternité. «
Comment sera le mé-
tier en 2020 ? Il y aura sans doute
des plateaux techniques, une salle
agréable, peu médicalisée, où tout
sera mis en place pour se détendre
afin de mieux supporter la dou-
leur
». Mais, derrière la porte, tout
l’arsenal médical sera là, prêt à inter-
venir : à la moindre complication, il
faudra juste faire appel. Le binôme
«
gynécologue – sage-femme
» sera
renforcé. La maman sera accom-
LE RÔLE DES PAPAS
«
Quand j’ai commencé carrière, dit Christiane, le père n’avait pas sa
place en salle d’accouchement. Le gynécologue disait : « on a besoin
du père pour faire l’enfant, pas pour le sortir
». Christine renchérit :
«
En Afrique, aujourd’hui encore, l’accouchement est une affaire de
femmes : l’homme est absent
». Mais, chez nous, les choses ont chan-
gé : les femmes ont réclamé leur mari qui a été de plus en plus im-
pliqué. «
Dans les années 90, on ne posait même plus la question :
les surchaussures du père était prêtes. C’était la période de la géné-
ralisation de la caméra vidéo. Les papas filmaient l’accouchement.
En réalité, certains se cachaient derrière la caméra
».
Puis les choses ont à nouveau changé. «
L’on interroge d’abord la
maman : et vous, comment voulez-vous vivre l’accouchement ?
» et
on ne parle plus de la place du père. On dit : «
Une personne peut être
présente
». C’est dans la toute grande majorité des cas le père mais
pas toujours : il y a des cultures où ce n’est pas la place du père et
il y a aussi des mères qui ne désirent pas que leur conjoint les accom-
pagne. Il peut en effet y avoir des suites psychologiques à assister à
une épisiotomie sans y être préparé.
pagnée, dès avant la naissance, par
«
son
» binôme, dans une relation de
confiance renforcée. La sage-femme
pourra sans doute être une indépen-
dante qui accompagnera sa patiente
dans la salle d’accouchement. C’est
déjà possible aujourd’hui mais il
s’agit d’une présence rassurante pas-
sive. Le médecin traitant sera aussi
intégré car, avec le retour à domicile
précoce, moins de 72 heures après
l’accouchement, l’encadrement sera
revu avec tous les partenaires de la
chaine de soins, en tenant compte
des situations psychosociales. «
Le
retour précoce ne concerne pas tout
le monde : selon nos estimations,
sur les 1250 accouchements annuels
au CHU NDB, seule la moitié des
couples maman-enfant pourrait être
concernée
».
Ce changement est en marche. «
Il
est d’ailleurs bien compris par le
milieu commercial. Dans le Carnet
de l’ONE, à la rubrique « idées ca-
deaux
», il est suggéré aux mamans
de demander qu’on leur offre
des repas , des plats «
faits maison
»
des lessives et du repassage… Pou
que le retour précoce à la maison s
passe au mieux, avec des tâches mé
nagères facilitées ».
Christine et Christiane sont passion
nées par leur métier dont on dit sou
vent qu’il est «
le plus beau métier du
monde
». «
Parce que, pense-t-on, il
est associé au bonheur de donner la
vie, de partager un moment unique
dans une vie de couple ou de femme
Aujourd’hui, avec la crise écono
mique, les problèmes d’isolemen
social, les filles-mères, les problème
de couple, je ressens moins le bon
heur des gens
» dit Christiane. «
Un
jour une jeune sage-femme m’a dit
« Je ne vois pas beaucoup sur leur
visages le bonheur qui a été le mien
quand j’ai accouché . Ce n’est en effe
pas rose tous les jours
».
R.T
5 MAI. JOURNÉE MONDIALE DE LA SAGE-FEMME
SAGE-FEMME:
quel sera le métier en 2020?
LA SAGE-FEMME JOUE
UN RÔLE IMPORTANT
DANS L’ÉDUCATION
SANITAIRE.
Le rôle et la place du père lors de l’accouchement a évolué à travers le temps. ©P.G.
Christine et Christiane entourent Ludivine et sa maman. «
Notre travail est aussi de donner confiance aux papas et aux mamans dans leur capacité à être parents .
»
© R.T.