La dérive des réseaux sociaux chez les ados

08 17 10 I JOURNEE DE LA TRANSPLANTATION Don d’organes: l’autre côté du miroir J ean (prénomd’emprunt) vivait depuis 25 ans «comme vous etmoi, sans ex- cès» avec une stéatose hépatique quand son état de santé s’est brus- quement dégradé. Le diagnostic est tombé : le foie, fortement abîmé, présentait une tu- meur cancéreuse. Son épouse se souvient. «On venait de passer une batterie d’examens, avec toutes les angoisses que cela génère, quand le Pet Scan a révélé la tumeur. Le choc. Multiplié par mille quand le chirurgien a an- noncé tout de go: «Il n’y a pas 3.000 solutions pour vous : il faut une gre e. » Il a également programmé une laparoscopie pour enlever la tumeur, et gagner du temps. Jean n’avait jamais mis les pieds dans un hôpital. La seule idée d’une gre e l’épouvantait, l’anesthésie le terrorisait. Il a quand même accepté cette première échéance. «On m’a rappelée très vite, le jour de l’opération, pour me dire qu’il était rentré dans sa chambre. Je me souviens de mon excitation, de la vitesse à laquelle je me suis retrouvée à son chevet, dema surprise devant sa bonne mine : il était tout rose, tout reposé, sans drain ni perfusion! J’ai appelé la famille, les amis, pour donner des nouvelles. Et puis lemédecin est arrivé : «Neme remerciez pas. Je n’ai rien pu faire. » C’était comme si le ciel nous tombait sur la tête». LA LONGUE ATTENTE La tumeur touchait la veine porte : tenter de l’enlever, c’était risquer une hémorragie fatale. Nous sommes repartis de l’hôpital le jour même, comme nous étions venus : avec le cancer. «Nous nous sentions complè- tement désarmés face au temps qui nous était compté, à l’unique solution qu’il nous restait. Jean évaluait les risques de rejet, la baisse de l’immunité qui implique d’éviter les contacts avec les jeunes enfants, les animaux, ses voi- tures chériesmême. Il ne voyait que le négatif, ne voulait pas de cette gre e qui l’empêcherait de vivre. Moi je lui montrais le positif, tous ces gens qui revivaient. On a pesé le pour, on a pesé le contre. Il a fini par accepter ». Quinze jours plus tard, il était sur liste d’attente. 150 personnes avant lui. Comme le délai avant la gre e était inconnu, les médecins ont proposé une radio-embo- lisation, une forme de radiothérapie qui consiste à bloquer la vascularisation de la tumeur en injectant plusieurs millions de microscopiques billes radioactives. C’est une opération qui a lieu en deux temps : un premier essai avec des billes neutres, pour s’assurer qu’elles suivent le bon che- min. Et l’opération proprement dite, avec les billes radioactives. «En attendant, Jean a commencé à faire de l’ascite: son foie «pleu- rait» et remplissait son abdomen d’eau. Tous les trous de sa laparoscopie n’étaient pas en- tièrement refermés : il coulait littéralement, comme un robinet ! Je l’emballais dans des serviettes et du film alimentaire avant qu’il ne parte travailler. Il revenait épuisé». «Tout m’angoissait, le moindre signe, la moindre alerte : je ne savais jamais si c’était mortel. J’appelais la coordinatrice du CHU à toute heure du jour et de la nuit. Nous avions installé, tous les deux, une sonnerie «spéciale CHU» sur nos téléphones. Jean était persua- dé que « l’Appel » arriverait pendant la nuit. Nous ne dormions plus que d’un œil. Et puis, le 7 mars, la veille de l’opération «d’essai », nous avons retrouvé son petit frèremort. Jean ne voulait plus rien savoir, ne voulait plus de cette gre e. Nous avons touché le fond. Et nous sommes remontés». Les médecins du CHU ont été extraordinairement compré- hensifs. Les deux opérations ont été re- programmées. Et se sont déroulées avec succès : la tumeur s’est résorbée à 90%. Mais les symptômes étaient toujours là. Jean s’endormait partout, peinait dans les escaliers, ne vivait plus. Nous ne savions pas où nous allions. NOUS AVONS UN FOIE POUR VOUS Et puis le 13 juillet, le téléphone a sonné. C’était le CHU: «Nous avons un foie pour vous ». «Je me suis jetée dans ses bras, j’ai ri, j’ai pleuré. Je ne savais pas quoi ressentir. De toute façon, nous n’avions pas le temps. C’est moi qui ai conduit, mais je ne me souviens pas du trajet. L’équipe nous attendait. Rien n’était joué encore : il fallait s’assurer que le gre on prendrait, sans quoi nous rentrerions à la maison. J’ai dit aurevoir à Jean sans sa- voir si c’était pour une demi-heure, dix heures, ou pour… » «J’ai attendu pendant ce qui m’a semblé des heures. Je pensais à tout ce que je voulais lui dire encore, à tout ce que je n’avais pas dit. La coordinatrice est revenue, m’a dit que le foie était le bon. Que je devais rentrer chez moi, parce que l’attente serait longue. Je suis allée chez mon fils, voir ce petit-fils né en janvier dont j’avais si peu profité. Je tournais comme un lion en cage. J’aurais voulu que l’hôpital m’appelle, juste pour me dire qu’il respirait toujours. Et puis vers 1 heure du matin, en- fin, le téléphone a sonné : l’opération avait duré 10 heures, tout s’était bien passé, Jean était aux soins intensifs, je pouvais venir à la première heure. J’ai réalisé que j’avais retenu mon sou e tout ce temps-là». Le lendemain soir, il a fallu réopérer : il y avait du sang dans les drains. «Nous avons eu peur, Jean a beaucoup sou ert, mais c’était juste une agrafe qui n’avait pas tenu. Ensuite, tout a suivi son cours. Quand on est aux soins intensifs, on est heureux d’être du côté des vivants. J’ai été le témoin involontaire de la discussion d’une famille autour du décès d’une dame, dont les enfants devaient donner leur consentement pour le don d’organes. «C’était déjà clair dans ma tête à ce moment-là, mais cette discussion a entériné mon choix : j’ai signé pour le don d’organes à mon tour, et convaincu dumonde autour de nous. Et puis, quand Jean est sorti des soins intensifs, au bout d’une semaine seulement, nous avons remercié. Les gens qui nous avaient soutenus, les équipes extraordinaires du CHU (l’infir- mière de coordination, les chirurgiens, les soignants des soins intensifs, les aides-soi- gnants), la famille - que nous ne connaîtrons jamais – du donneur…» Jean a rajeuni de 20 ans. «Je croyais qu’il al- lait bien, avant tout ça. Jem’aperçois que non: il a une énergie folle, il a repris une société au lieude savourer sapension, il dit non s’il a envie de dire non… Et, désormais, chaque moment qui passe est unmoment qu’il vit pleinement ». Frédérique SICCARD Infos : www.health.belgium.be/fr/sante/ prenez-soin-de-vous/debut-et-fin-de-vie/ don-dorganes LE MESSAGE, DE JEAN «Avant ma gre e, j’avais entendu parler du fait que l’on pouvait se déclarer don- neur, mais je n’avais jamais sauté le pas. Je réalise aujourd’hui que c’est un cadeau merveilleux! Vous o rez une renaissance. Non, 8 renaissances : au-delà du cœur, du foie ou des poumons, on peut aussi préle- ver la cornée ou des tendons, par exemple! Je crois que j’ai oublié, un peu, tout ce que j’ai vécu avant la gre e, en termes de souf- france et de doutes.Mais je sais que je revis, et je milite au quotidien pour convaincre les donneurs potentiels de se déclarer. Sans doute seraient-ils plus nombreux si les dé- marches étaient plus faciles. Quoi qu’il en soit, donnez : chacun d’entre nous est un donneur, ou un receveur, potentiel !»

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