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  le 5 mai 2017

La pollution chimique empoisonne nos vies !

EDITO 21 - La pollution chimique empoisonne nos vies ! 
 
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Barbara Demeneix est l’invitée du CHU de Liège ce 11 mai pour une conférence sur le thème : « Perturbateurs endocriniens : quels cerveaux en 2047 ? » Une conférence qui s’inscrit dans les « Grandes Conférences Médicales » organisées par le CHU à l’occasion de son 30e anniversaire.  Le Pr. Demeneix succède ainsi au Pr. Guy Vallancien qui, le 11 mars, avait parlé de « Médecine et technologie : quel médecin en 2047 ? » et précède le Pr. Yvon Englert, Recteur de l’ULB qui, le 23 novembre, abordera « Médecine et éthique : comment baliser le chemin d’ici 2047 ? »). Toutes ces conférences ont volontairement été orientées vers la médecine du futur.

Technologique, environnemental et éthique, le triptyque des grandes conférences médicales du CHU de Liège se veut un moment de recul et de réflexion sur une médecine en grande mutation. Des conférences qui s’adressent au « grand public avisé », l’accréditation étant accordée aux médecins participants.

Barbara Demeneix,  professeur au laboratoire d’évolution des régulations endocriniennes au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, auteur de « Le cerveau endommagé » (Odile Jacob - 2014) et de « Toxic Cocktail » (Oxford University Press, traduction à paraître Odile Jacob - 2017),  est l’experte mondiale de la perturbation endocrinienne. Elle sera présentée par le Pr. Anne-Simone Parent du CHU de Liège, endocrinologue pédiatrique.

Qui êtes-vous, Barbara Demeneix ?

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Spécialiste des hormones, la biologiste Barbara Demeneix, 67 ans, a développé des méthodes innovantes pour détecter in vivo la présence de polluants environnementaux. Sa réussite phare ? Des têtards transgéniques qui deviennent fluorescents en présence de polluants perturbateurs endocriniens. « Alors que l’analyse chimique classique ne permet de mesurer que quelques substances prédéfinies, ces biomarqueurs prennent en compte l’effet cocktail de la globalité des polluants présents dans l’eau ». Elle est directrice du département Régulations, développement et diversité moléculaire au Museum National d’Histoire Naturelle de Paris.

Barbara Demeneix a un parcours très international. Elle est née en Angleterre, à Luton, a un parcours académique et scientifique  qui la conduit du Pays de Galles en France, au Canada, en Allemagne, au Maroc et au Malawi, tous des pays dont elle s’imprègne au point d’en maîtriser les langues. Ce parcours de globe-trotter, rythmé par plus de 160 publications scientifiques, est salué de nombreuses récompenses. En 2011, la revue Nature salue son implication auprès de jeunes chercheurs et chercheuses. Et en 2014, elle reçoit la médaille de l’innovation du CNRS et est promue Officier de la Légion d’Honneur.

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Elle travaille depuis 40 ans sur les  hormones thyroïdiennes, essentielles pour le développement du cerveau des mammifères et plus spécifiquement sur la métamorphose des amphibiens. Ses travaux ont conduit à la création, en 2006, de la société « Watchfrog » qui commercialise les fameux têtards fluorescents. « Watchfrog » est un jeu de mots lié à « Watchdog », le « chien de garde » devenant « la grenouille de garde », les têtards étant les véritables signaleurs de la dégradation de notre environnement. « Plus de 50 000 produits chimiques sont actuellement sur le marché sans que leurs effets sur la santé ou la biodiversité n’aient jamais été correctement mesurés ».  Est-ce pour se mettre à l’abri qu’elle se trouve en Ecosse au moment où nous l’interviewons ? « Malheureusement non : il n’y a pas d’endroit sur terre qui est préservé. Les ours polaires sur la banquise, eux aussi, sont exposés».

« La pollution chimique empoisonne nos vies ! »

L'expression perturbateur endocrinien a été créée en 1991 par Théo Colborn, zoologiste et épidémiologiste américaine (1927-2014) pour désigner toute molécule ou agent chimique composé, xénobiotique ayant des propriétés hormono-mimétiques et décrit comme cause d'anomalies physiologiques, et notamment reproductives.

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Ces molécules agissent sur l'équilibre hormonal de nombreuses espèces sauvages ou domestiques (animales ou végétales). Elles ont des effets indésirables sur la santé en altérant des fonctions telles que la croissance, le développement, le comportement et l'humeur, la production, l'utilisation et le stockage de l'énergie, le sommeil, la circulation sanguine, ainsi que la fonction sexuelle et reproductrice, les premières recherches portant sur les baisses de fertilité masculine constatées par  l'altération morphologique et la baisse du nombre de spermatozoïdes. Pourquoi ? C’est ce que Barbara Demeneix explique dans deux ouvrages (parus initialement en Anglais chez Oxford University Press), le premier (2014), scientifique, « Losing our minds » (traduit en Français par « Le Cerveau endommagé »), et le deuxième, « Toxic Cocktail », orienté vers le grand public. « Losing our minds » est un jeu de mots : au sens littéral, on perd l’intelligence à cause de la pollution chimique et, au sens littéraire, on perd la tête en ne mettant pas en place une législation adéquate pour lutter contre cette pollution.  « Toxic Cocktail » explique comment la pollution chimique empoisonne nos vies ». Il paraîtra en français cet automne.

Pour Barbara Demeneix, cette recherche est le travail d’une vie. « Je travaille sur les hormones thyroïdiennes depuis 40 ans. Il y a 16 ans,  je suis approchée par la France pour devenir experte à l’OCDE pour accréditer les tests qui doivent déterminer si une substance est un perturbateur ou pas. Moi-même j’étais assez sceptique à l’époque, mais je me suis rapidement passionnée pour le problème. Les tests utilisés à l’époque étaient totalement inappropriés. Pendant 5 ans, dans le labo commun « CNRS – MNHN », nous avons développé des tests que nous avons accrédités et déposés ».  Ce sont les têtards transgéniques qui deviennent fluorescents dans un milieu pollué. « Comme les chiens de garde, les canaris dans les mines, les têtards s’allument dans les eaux polluées. Nous en avons fait une société « Watchfrog » mais je rassure de suite mes détracteurs, il n’y a pas de conflit d’intérêt : je n’en retire aucun bénéfice financier. Rien ». Les recherches menées portent alors sur le fonctionnement de l’hormone thyroïdienne (HT) au cours de la métamorphose des amphibiens, l’action de l’HT sur le développement du cerveau et pendant le vieillissement en se concentrant sur les cellules souches du système nerveux chez l’adulte et l’implication de l’HT dans le contrôle du métabolisme hypothalamique.

Conclusions lapidaires : nos cerveaux sont endommagés !

La qualité de notre environnement se détériore et cela a un impact direct sur nos cerveaux. « Ce sont les chiffres de l’ONU : en 50 ans, la production de l’industrie chimique a multiplié ses volumes par 300 ! L’appel de Rachel Carson, en 1962 dans « Le Printemps silencieux » avait pourtant été clair : l'ouvrage traitait déjà des effets négatifs des pesticides sur l'environnement ». Rachel Carson déclarait à l’époque que le DDT s'avérait être la cause de coquilles d'œufs plus fines chez les oiseaux, et occasionnait une hausse de la mortalité ainsi que des problèmes de reproduction. Elle accusait également l’industrie chimique de pratiquer la désinformation et les autorités publiques de répondre aux attentes de l'industrie chimique sans se poser de questions. « Le livre  provoqua une prise de conscience du public des problèmes liés aux pesticides et à la pollution de l'environnement et  contribua à l'interdiction du pesticide DDT ou dichlorodiphényltrichloroéthane aux États-Unis en 1972. Une interdiction promulguée par l’Environment Protection Agency qui revient dans l’actualité aujourd’hui comme cible de la nouvelle politique environnementale menée par Donald Trump. En dépit de cela, l’industrie chimique a poursuivi sa croissance sans tests appropriés, sans étude sur les possibles interférences avec le fonctionnement endocrinien des êtres vivants ».

 

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Pour Barbara Demeneix, ces interférences sont évidentes. « Selon nos expériences, deux tiers des substances testées peuvent interférer avec les hormones thyroïdiennes, ce qui est recoupé par les études de l’EFSA (European Food Security Authority) : sur 297 pesticides étudiés et qui sont disponibles sur le marché, 90 sont neurotoxiques et 101 interfèrent avec la fonction thyroïdienne ». Les études se sont alors concentrées sur les quinze substances auxquelles tout le monde est exposé, substances « testées à la concentration qui se trouve dans le liquide amniotique humain. Chaque substance a été testée seule mais aussi en mélange. Nous avons pu montrer que le mélange affectait la signalisation des hormones thyroïdiennes mais aussi les neurones, plus petits et moins nombreux. Et l’on constate aussi que la motricité des embryons s’en trouve affectée. Ces tests ont été effectués sur des embryons de grenouille, il pourrait donc être tentant de dire que cela ne concerne pas l’être humain, mais pour devenir grenouille, le têtard a besoin d’hormones thyroïdiennes et l’hormone thyroïdienne des grenouilles est identique à celle des humains ».

L’impact sur l’humain : mesurez l’activité de votre HT !

Le signal d’alarme a-t-il été entendu ?  « Depuis 1970, on teste chaque enfant à la naissance pour savoir s’il a assez d’HT. Mais on serait tout aussi avisé de contrôler les HT chez les femmes enceintes, surtout dans les premiers mois de la grossesse. Si la mère a trop peu ou trop d’HT, l’intelligence de l’enfant peut être affectée. En bref, le développement du cerveau de l’enfant dépend des HT, dont le fonctionnement peut subir des interférences à cause du « cocktail » de substances rencontré dans le liquide amniotique. Nous sommes persuadés que ce déséquilibre d’HT chez la mère a un impact négatif sur l’intelligence de l’enfant ». D’où le titre « Le cerveau endommagé ». Il a des conséquences bien au-delà des nourrissons. « Les études expérimentales et les études épidémiologiques peuvent laisser penser que l’augmentation des maladies neurodéveloppementales (autisme, déficience d’attention, hyperactivité,…) peut être mis en relation avec cette période prénatale très sensible aux HT naturelles. Si la mère a trop d’HT, on augmente le risque que l’enfant puisse être hyperactif ; à l’inverse, si la mère a trop peu d’HT, ceci peut entraîner un risque accru d’autisme chez l’enfant. ».

L’impact des pesticides est énorme. Ils nous empoisonnent la vie…

« C’est d’autant plus navrant que l’ONU vient de publier, voici trois mois, un rapport qui suggère que l’on peut réduire drastiquement les quantités de pesticides au niveau mondial. Sans affecter le rendement agricole. L’INRA (Institut National de la Recherche agronomique) français a dit la même chose. Sans que cela ne change. Les agriculteurs ont peur de perdre en rendement alors que les preuves scientifiques sont là. Mais le lobby de l’industrie chimique fonctionne à merveille, sur un leitmotiv fallacieux : la durée de vie augmente. C’est une illusion. La durée de vie stagne, voire diminue.  Une autre donnée est l’espérance de vie en bonne santé, le « health gap », la différence entre la durée de vie et la durée de vie en bonne santé. Ces chiffres-là ne sont pas réjouissants. Et enfin, ce calcul de la durée de vie est actuellement biaisé : les personnes qui ont aujourd’hui 90 ans sont nées en 1920-1930, à une époque où la production chimique n’existait pas ou n’était qu’à ses balbutiements. Aujourd’hui, nous connaissons la troisième génération exposée. Tout cela montre que la longévité des personnes nées en 1920 augmente mais, en réalité, elle stagne, voire même recule selon les dernières statistiques. Les perturbateurs endocriniens peuvent contribuer à ces changements».  

Quels messages délivrer aux médecins et aux mamans et aux …politiques ?

Toute femme qui prévoit une grossesse doit vérifier son niveau d’hormones thyroïdiennes et prendre de l’iode avant la grossesse puis pendant,  à raison de 150 µg iode par jour. Il y a 3 ou 4 atomes d’iode dans chaque molécule d’HT. Pendant la grossesse, on a besoin d’HT pour le développement du cerveau de l’enfant.

Aux médecins d’accompagner les mamans dans ce sens. 

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Les politiques, eux, n’ont qu’une réponse possible : le principe de précaution et une meilleure législation. Ils doivent y faire appel. « Ils se réfugient souvent derrière l’affirmation selon laquelle la précaution freine l’innovation. C’est faux et c’est même le contraire : la règlementation pousse à l’innovation ».

 

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