Sclérose en plaques : le fauteuil roulant n’est plus une fatalité

Ce 30 mai avait lieu la Journée mondiale de la sclérose en plaques. L’occasion de se pencher sur les révolutions concernant la SEP, et les solutions dédiées mises en place au sein du CHU.

 

Il y a encore 25 ans, aucun médicament sur le marché ne permettait de traiter la sclérose en plaques (SEP). Tout au plus, la cortisone permettait-elle d’apaiser peu ou prou la violence des poussées. Le paysage est bien différent aujourd’hui ! Les révolutions thérapeutiques se sont rapidement succédées, si bien que les neurologues ont à leur disposition une palette de treize médicaments avec différents types d’action, adaptables à chaque patient en fonction de son profil, du moment et de l’évolution de sa pathologie.

Des progrès pour le moins spectaculaires, grâce auxquels une nouvelle génération de patients atteints de SEP ne sont plus nécessairement condamnés à la chaise roulante, dans de nombreux cas. Certains ne connaîtront même jamais de déficit. La clé de ces réussites ? « Traiter vite et fort, et donc diagnostiquer le plus tôt possible », martèle le Dr Dominique DIVE, neurologue au CHU de Liège.

Ce qui n’est pas toujours une évidence lorsque les premiers symptômes restent atypiques, ou à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un enfant. Face à ce défi, le spécialiste de la SEP nous livre quelques points d’attention pour lutter contre l’errance diagnostique (à découvrir dans la section Message aux médecins traitants), synonyme de progression vers le handicap. 

Au-delà des progrès thérapeutiques, la prise en charge de la SEP a récemment connu un autre bouleversement : alors que l’on avait coutume de déconseiller, il y a dix ans encore, la pratique d’un sport, a fortiori intensif, l’activité physique adaptée (APA) figure maintenant au rang des premières recommandations face à la maladie, et fait même partie intégrante du traitement aux côtés de la médication et de la rééducation. Avec des bénéfices marqués pour les patients en termes de maintien des performances physiques et mentales, et surtout de qualité de vie.

 

 

 Traiter vite et fort, et donc diagnostiquer le plus tôt possible.

Dr Dominique Dive, neurologue au CHU de Liège

 

 

Qui êtes-vous ?
Docteur Dominique Dive

Neurologue Chef de clinique au CHU de Liège (site d’Ourthe-Amblève) depuis près de 35 ans, Dominique Dive a croisé de nombreuses disciplines avant de s’investir en neurophysiologie pour sa thèse. Confronté à un nombre croissant de cas de SEP à l’aube des années 90, à une époque où les diagnostics étaient tardifs et les traitements de fond inexistants, il finira par se consacrer à cette pathologie à tel point qu’elle représente aujourd’hui la majeure partie de son activité. Dominique Dive est également secrétaire du Groupe belge d’étude de la sclérose en plaques, et actif au sein de la Ligue francophone et du Conseil médical de la Ligue belge de la sclérose en plaques.

 

Docteur Benoît Maertens

Responsable du Service de Réadaptation au CNRF de Fraiture, Benoît MAERTENS DE NOORDHOUT est diplômé de l’ULiège en Médecine physique et Rééducation (1988). Spécialisé en réadaptation et appareillage orthopédique, il n’a eu de cesse de développer et faire évoluer les activités du Service dont il a la charge depuis plus de 25 ans. Il préside également l'ASBL Solidarité Fraiture à l’origine de l’action Mobil’art, une exposition-vente d’œuvres d’art contemporain biennale destinée à récolter des fonds pour aider les personnes atteintes de sclérose en plaques – et notamment à contribuer aux frais de déplacements des patients jusqu’au centre de rééducation de Fraiture.

 

Docteur Olivier Bouquiaux

Neurologue formé à l’ULiège, Olivier BOUQUIAUX a officié durant vingt ans à l’hôpital de Libramont en tant que spécialiste de la SEP et de la maladie de Parkinson, avant de rejoindre le CNRF de Fraiture en 2016. Dès 2006, il s’intéresse aux bénéfices de l’activité physique adaptée dans le cadre de ces deux pathologies, et travaille notamment avec la Haute Ecole Robert Schuman pour le démontrer. En 2011, il entreprend d’organiser un événement choc alors qu’officiellement le sport était encore relativement contrindiqué dans la SEP : l’ascension du Mont Toubkal au Maroc, plus haut sommet d’Afrique du Nord, avec douze patients atteints de SEP. 4 000 mètres de grimpette, une première mondiale ! L’événement fut un succès, et a contribué à « interpeller les neurologues wallons sur l’intérêt de prescrire une activité physique chez lez patients SEP », se réjouit-il.

 

 

Le CHU propose aux patients atteints de SEP une approche pluridisciplinaire et un panel d’activités physiques et de rééducation.


 

 

Un centre de référence pluridisciplinaire, dans un écrin de verdure

Le triptyque médicaments - rééducation - activité physique est au cœur de la prise en charge des patients SEP au CHU de Liège. Répartie entre le site du Sart Tilman et le Centre Neurologique et de Réadaptation Fonctionnelle (CNRF) de Fraiture (fusionnés en 2019), la force de ce triptyque tient à la possibilité d’une prise en charge pluridisciplinaire dans le cadre de deux conventions SEP INAMI, dont le CHU-CNRF est le seul à bénéficier en Wallonie – l’autre centre étant situé à Melsbroek.

La première convention encadre un programme de rééducation au long cours pour les patients chroniques conservant une autonomie relative, en externat ou en hospitalisation. Quant à la seconde, elle est réservée aux patients atteints d’une SEP avancée, en internat dans une maison spécialisée ou au domicile. Elle permet notamment d’adapter le lieu de résidence en fonction des besoins spécifiques du patient : « depuis la confection de couverts sur mesure ou de costumes sans boutons jusqu’à l’aménagement complet d’une cuisine ou d’une salle de bains adaptées, en passant par des logiciels d’aide à la communication », détaille le Dr Benoît Maertens.

Outre le suivi neurologique, la rééducation se poursuit sur le site verdoyant et presque intimiste de Fraiture, propice à la sérénité et aux activités extérieures.

En fonction des besoins, ce programme de rééducation pluridisciplinaire comprend des séances de kinésithérapie, d’ergothérapie (dextérité, préhension, autonomie dans les tâches quotidiennes), de logopédie (communication et déglutition), de neuropsychologie cognitive (parole, mémoire, mise en double tâche) et de psychologie.

Et chaque semaine, les neurologues du CHU et du CNRF se réunissent au Sart Tilman aux côtés du Professeur Pierre MAQUET, chef du Service de Neurologie, pour discuter des cas en collaboration avec les radiologues, adapter les traitements et les séances de rééducation.

De nombreuses activités physiques adaptées sont également proposées chaque jour au CNRF, qui dispose d’une salle de sports, d’une piscine de rééducation et d’un manège dédié à la pratique de l’hippothérapie.

Sans compter les nombreuses sorties sportives organisées en collaboration avec d’autres associations (lire ci-dessous). En moyenne, ce sont 120 patients externes qui viennent une à deux fois chaque semaine en rééducation au CNRF, et une vingtaine de patients qui séjournent en hospitalisation : « soit parce qu’ils traversent une phase d’exacerbation de la maladie, soit parce qu’ils habitent trop loin pour se déplacer régulièrement. Ils viennent alors en séjour de rééducation pluridisciplinaire intensive durant quelques semaines, une à trois fois par an », précise le chef du Service de Réadaptation. 

 

 

 Il y a encore dix ans d’ici, interdiction formelle de pratiquer un sport intensif pour les personnes atteintes de SEP. Aujourd’hui c’est complètement l’inverse, l’activité physique fait partie intégrante du traitement !

Dr Olivier Bouquiaux

 

 

Sports : une contrindication devenue recommandation

Au-delà des révolutions thérapeutiques, c’est probablement l’un des retournements les plus surprenants des dernières années dans la prise en charge des patients.  « Il y a encore dix ans d’ici, interdiction formelle de pratiquer un sport intensif pour les personnes atteintes de SEP », lance le Dr Olivier Bouquiaux. « Aujourd’hui c’est complètement l’inverse, l’activité physique fait partie intégrante du traitement ! »

Outre un effet neuro-protecteur significatif, on sait à présent que l’activité physique adaptée (APA) apporte d’innombrables bénéfices aux personnes atteintes de SEP : renforcement de la résistance musculaire (notamment des membres inférieurs), de l’équilibre, de l’endurance et de la coordination des mouvements, diminution du risque de chute, amélioration des performances physiques et mentales, soutien de l’autonomie…

« De nombreuses études démontrent également un impact positif de l’activité physique sur l’humeur et une diminution du risque de dépression, ainsi qu’une augmentation de la motivation et de l’adhésion au traitement », renchérit le neurologue.

C’est ce qu’il constate aussi dans sa pratique : « Pour une personne atteinte d’une maladie toujours associée à l’image du fauteuil roulant, le fait de se réapproprier son corps a un effet extraordinaire sur le moral et la confiance en soi ! Les patients qui pratiquent des APA parviennent à réaliser des choses dont ils ne se seraient jamais crus capables… Cela donne du sens à leur action et, grâce aux sports collectifs, crée du lien social contre l’isolement lié à la maladie ».

Les APA sont ainsi devenus un véritable outil thérapeutique dès l’annonce du diagnostic, tout en permettant aux patients de s’extraire du contexte médical de manière ludique.

Parallèlement à ce changement de focale, le CNRF de Fraiture a développé de nombreuses APA à l’intention des patients SEP, et ne cesse d’élargir son offre, « notamment en collaborant avec des structures externes telles que Cap2Sports ou encore l’asbl Hippopassion qui met à disposition une quinzaine de chevaux de son manège (attenant aux bâtiments du CNRF, NDLR) pour la pratique de l’hippothérapie », précise le Dr Benoît Maertens.

Handbike, tir à l’arc, tennis de table, boccia (pétanque en chaise), curling, zumba en chaise, marche nordique, snag golf… Presque tout est possible ! « Certains patients participent même à des compétitions sportives, adaptées pour des joueurs avec différents niveaux de déficit. Ici, chaque personne joue contre son propre handicap ! ».

 

Une armée de 13 molécules pour lutter contre le handicap

Neurologue actif dès 1993, le Dr Dominique Dive se souvient du temps où l’on ne pouvait prescrire que des corticostéroïdes pour tenter d’apaiser les crises. Mais depuis lors, le paysage thérapeutique de la SEP a connu révolution sur révolution.

« À ce jour, pas moins de treize médicaments sont disponibles pour traiter efficacement la maladie ». Et c’est loin d’être terminé : une nouvelle famille de médicaments à base de BTK inhibiteurs est en cours de développement. « Nous attendons beaucoup de ces médicaments qui ont des propriétés spécifiques susceptibles d’avoir une action plus efficace sur la progression du déficit », avance le spécialiste.

Grâce à ces énormes progrès, on peut dans de nombreux cas stopper l’évolution du handicap, voire même parvenir à la récupération d’anciennes poussées. « Jusqu’à la fin 2005, une personne diagnostiquée SEP avait 85 % de chances d’atteindre un handicap de niveau 6 sur l’échelle EDSS à 65 ans. Aujourd’hui, ce risque est tombé à moins de 30 % », s’enthousiasme le neurologue.

Bien entendu, ce succès est au prix « d’un suivi au long cours très rapproché, où il faut sans cesse réévaluer le traitement ». Et surtout, il est tributaire d’un diagnostic précoce : « Traiter vite et fort est le seul moyen d’enrayer le handicap avant même qu’il ne survienne », insiste le Dr Dive.

Une large palette de molécules à disposition du neurologue lui permet désormais « d’adapter en permanence le traitement en fonction du patient, de son âge, de l’évolution de sa pathologie, de la présence d’un virus, d’un éventuel désir de grossesse… », avec des résultats souvent très efficaces « pour peu que le bon médicament soit administré, au bon moment ».

 

Traitements de 1ère et 2ème ligne 

En première intention, on recourt toujours aux premiers immuno-modulateurs injectables, interférons et Copaxone, qui ont l’avantage de présenter une innocuité totale autour de la grossesse. On dispose également de médicaments de deuxième génération à prise orale, Aubagio et Tecfidera, et depuis récemment Zeposia et Ponvory.

En cas d’échec de la première ligne ou en présence d’une forme particulièrement agressive de SEP, on a accès à des traitements de seconde ligne, plus puissants. Outre Gilenya (premier traitement oral), on recourt à une nouvelle classe de médicaments modificateurs de l’immunité à long terme. Ces derniers ne sont pas dédiés à un traitement prolongé mais sont plutôt administrés par cycles, en fonction des besoins. Ils se déclinent en produits par voie injectable intraveineuse (Alemtuzumab -Lemtrada®) ou par voie orale (cladribine - Mavenclad®).

Le Natalizumab (Tysabri®), par voie intraveineuse ou sous-cutanée (tous les mois) a permis d’obtenir une action très puissante et rapide.  Son utilisation a été restreinte par un effet secondaire spécifique mais reste un médicament bien utile.

Enfin, la dernière révolution thérapeutique a vu arriver sur le marché un anticorps monoclonal en perfusion intraveineuse (ocrélizumab – Ocrevus®) qui cible sélectivement les lymphocytes B CD20-positifs. Disponible depuis cinq ans, il est le tout premier à avoir montré des résultats significatifs dans les formes primaires progressives de la maladie.

Plus récemment, l’Ofatumumab (Kesimpta®) est aussi un anticorps monoclonal anti-CD20, administré par voie sous-cutanée qui est utilisé dans les formes rémittentes de la maladie.

 

 

Tout déficit fonctionnel durable même léger, tout signe neurologique tel que des fourmillements inexpliqués, doivent mettre la puce à l’oreille

Dr Dominique Dive, neurologue au CHU de Liège

 

 

Message aux médecins traitants

Au cours de sa carrière, un médecin généraliste rencontrera cinq à dix cas de sclérose en plaques. Les patients (ou les patientes, trois fois plus nombreuses à être touchées) ont la plupart du temps entre 20 et 40 ans, mais il n’est pas rare que la SEP touche aussi des jeunes entre 12 et 18 ans.

Moins fréquente que chez l’adulte (3 à 5 % des cas), la maladie est aussi bien plus sévère : « Même si un enfant a de meilleures capacités de récupération, l’activité inflammatoire est plus forte que chez un adulte, et le risque est beaucoup plus grand d’accumuler du handicap ». Sans compter les difficultés d’apprentissage, les risques de décrochage scolaire, d’isolement social…

Pour le Dr Dive, il est capital de ne pas manquer le diagnostic dès les premières manifestations de la maladie. « Le cas classique, c’est une femme de 20 ans qui se rend aux urgences parce qu’elle souffre d’une perte brutale de vision d’un œil (névrite optique). Mais les symptômes précoces étant très variables, d’autres cas sont beaucoup moins évidents : par exemple, un homme d’une cinquantaine d’années atteint d’un léger déficit du releveur d’un pied… Les examens peuvent se succéder pendant un an ou deux avant qu’on ne songe à réaliser une IRM de la moelle ! », prévient le Dr Dive. 

Dans certains cas extrêmes, les patients peuvent rester dans l’errance médicale pendant de très longues années, notamment lorsque les troubles ont été identifiés comme psychiatriques.

« Dans certains tableaux psychiatriques sans précédents ni historique explicatif, il ne faut pas hésiter à réaliser une imagerie. La SEP peut souvent être confondue avec une dépression ou de la fibromyalgie par exemple ». Pour le neurologue, le message est clair : « Tout déficit fonctionnel durable même léger, tout signe neurologique tel que des fourmillements inexpliqués, doivent mettre la puce à l’oreille ».

Car diagnostiquer tôt, c’est offrir une chance d’une vie sans handicap.    

Dernière mise à jour : 01/06/2023