LE DOSSIER | Tumeurs du foie : focus sur les traitements en chirurgie hépatique

A l'occasion de la 1000ème greffe de foie liégeoise, exactement 60 ans après la toute première transplantation hépatique au monde réalisée par le Dr T. Starzl à Denver (USA), un symposium médical, le World Liège Liver Day, a réuni ce 19 avril une dizaine d’interventions de spécialistes chirurgiens, anesthésistes, oncologues ou encore médecins nucléaires, autour des innovations dans la prise en charge des tumeurs bénignes et malignes du foie par chirurgie et transplantation. 

Organisée par le CHU de Liège avec son Institut de Cancérologie Arsène Burny (ICAB), la première édition du World Liège Liver Day est appelée à se pérenniser, selon l’ambition de son initiateur le Pr. Olivier Detry : « L’objectif est d’en faire une rencontre annuelle de spécialistes, qui se tiendra à chaque date anniversaire de la journée mondiale du foie ». 

C’est l’occasion pour le Chuchotis du jeudi de donner un coup de projecteur sur les évolutions récentes de la prise en charge des tumeurs du foie au Centre de référence en chirurgie hépatique du CHU de Liège. À ce jour, la majorité des chirurgies du foie (75 %) s’y réalisent par laparoscopie, y compris des hépatectomies majeures, grâce à une équipe de chirurgiens hyperspécialisés. L’usage de ces techniques minimales invasives participe largement à une meilleure réhabilitation des patients après chirurgie hépatique, pour laquelle le CHU de Liège vient d’ailleurs de décrocher le label GRACE. Autre nouveauté, qui repousse les limites de la chirurgie : dans certains cas très spécifiques, les métastases colorectales ne sont plus une contre-indication à la transplantation. Des progrès sont également attendus dans la prise en charge des cholangiocarcinomes, grâce à une toute nouvelle collaboration Euregio entre le CHU de Liège et les centres de Maastricht, Aachen et Hasselt. 

L’objectif est d’en faire une rencontre annuelle de spécialistes, qui se tiendra à chaque date anniversaire de la journée mondiale du foie 

PR. Olivier Detry


Qui êtes-vous ?

Professeur Olivier DETRY

Chirurgien nommé au sein du Service de Chirurgie abdominale et transplantation du CHU de Liège depuis 1997, Olivier Detry s’est spécialisé dans la prise en charge des maladies hépatiques par la chirurgie et la transplantation du foie. Il est membre de diverses sections de la Société Royale Belge de Chirurgie et de la Société Belge de Transplantation, dont il a été président de 2016 à 2018.

Docteur Nicolas MEURISSE

Diplômé en Chirurgie à Liège en 2010, Nicolas Meurisse s’est spécialisé dans la chirurgie hépato-biliaire pancréatique et la transplantation durant trois ans à Leuven avant d’intégrer le Service de Chirurgie abdominale et transplantation du CHU de Liège en 2014. Il est membre du conseil d’administration de la Belgian Section of Hepato-Pancreatic and Biliary Surgery (BSHPBS), de la Belgian Transplant Society (BTS) et du Belgian Group of Endoscopic Surgery (BGES).

Docteur Morgan VANDERMEULEN

Morgan Vandermeulen est chirurgien au Service de Chirurgie abdominale et transplantation du CHU de Liège. Dès les débuts de son assistanat de chirurgie en 2014, il s'intéresse à la chirurgie hépato-biliaire et à la transplantation. Depuis 2016, il poursuit en parallèle des recherches au GIGA-ULiège sur l’utilisation des cellules stromales mésenchymateuses après transplantation hépatique, dans le cadre de sa thèse (sous mandat FNRS). Il a récemment passé un an à Paris aux côtés du Pr. Olivier Scatton afin compléter sa formation et maîtriser les techniques de chirurgie hépatique laparoscopique.

Docteur Gabriel THIERRY

Gabriel Thierry est Chef de clinique adjoint du Service d’Anesthésie - Réanimation du CHU de Liège. Diplômé en 2016, il a passé une année à Paris pour se spécialiser dans la transplantation hépatique. Il s’est lancé depuis un an dans une thèse sur la réhabilitation améliorée du patient après une chirurgie hépatique (RAC) ou Enhanced Rehabilitation Protocol (ERP).

Des hépatectomies majeures par laparoscopie, c’est possible !

« Pendant très longtemps la chirurgie du foie semblait inaccessible par laparoscopie », entame le Dr Morgan Vandermeulen. Jusqu’à ce que quelques précurseurs, peu avant 2000, commencent à opérer de petites tumeurs hépatiques bénignes. « Cela a permis de confirmer que la chirurgie hépatique laparoscopique était techniquement réalisable et sûre, du moins pour de petites tumeurs bénignes et accessibles ». La chirurgie du foie par laparoscopie peut en effet s’avérer très complexe « en raison d’une part de la localisation du foie  (il s’agit d’un organe sous diaphragmatique mais quasiment intrathoracique, étant complètement recouvert par le rebord costal et entourant partiellement la colonne vertébrale) qui le rend parfois difficilement accessible à la laparoscopie et, d’autre part, à son anatomie particulièrement compliquée et variable  (double inflow, anatomie de l’arbre biliaire…) ».

Toujours est-il que ces premières expériences ont encouragé le développement de la laparoscopie pour des hépatectomies de plus en plus complexes, et progressivement pour différentes indications oncologiques. Réalisée dans des centres d’expertise, x cette technique minimale invasive comporte bien des avantages, qui ne sont plus  à démontrer : « moins de saignements, moins de complications, moins de morbidité post-opératoire, des séjours hospitaliers plus courts, et selon certaines études  une meilleure qualité de vie post-opératoire » font de la laparoscopie une technique de choix, lorsqu’elle est possible. Mais surtout, « elle affiche des résultats oncologiques équivalents à ceux d’une chirurgie ouverte », souligne le chirurgien. 

En l’espace de 20 ans, l’équipe chirurgicale du CHU de Liège a développé ses techniques laparoscopiques pour parvenir progressivement à réaliser des hépatectomies majeures (c’est-à-dire la résection de plus de trois segments du foie) et/ou complexes (segments postéro-supérieurs, segment 1, etc.).  Aujourd’hui, les trois quarts des chirurgies du foie y sont réalisées par laparoscopie (soit une cinquantaine par an), grâce à l’expertise du Pr. Detry et du Dr Vandermeulen. 

Indications

La laparoscopie permet principalement d’opérer des métastases de cancers colorectaux (première indication) ainsi que des carcinomes hépatocellulaires sur foie sain ou cirrhotique bien compensé (premier cancer primaire du foie), avec l’avantage « que cette technique réduit les risques de la chirurgie en elle-même auprès d’un patient déjà fragilisé par une cirrhose ». Plus rare et initialement considéré comme une contre-indication à la chirurgie laparoscopique, le cholangiocarcinome intra-hépatique (lorsqu'il est opérable) peut aujourd’hui être traité « grâce à une hépatectomie complétée avec un curage ganglionnaire par laparoscopie, avec d’excellents résultats oncologiques ». 

Certaines procédures particulièrement complexes permettent même « dans certains cas d’opérer des patients considérés a priori comme non résécables et donc voués à la chimiothérapie palliative, en raison d’un trop grand nombre de métastases disséminés dans l’entièreté du foie ». Cette prouesse, les chirurgiens la réalisent par une hépatectomie en deux temps : « Par exemple, on peut d’abord nettoyer chirurgicalement toutes les métastases présentes dans le lobe gauche du foie, puis réaliser une embolisation portale droite radiologique pour faire grossir le futur foie résiduel, avant de réaliser dans un second temps une hépatectomie droite élargie emportant l’ensemble des métastases hépatiques résiduelles », détaille le spécialiste. Des techniques de pointe qui « repoussent les limites de la curabilité et qui peuvent souvent être réalisées par laparoscopie (partiellement ou totalement), avec tous les avantages que cela comporte ».

Réhabilitation améliorée du patient : le CHU de Liège labellisé par le GRACE

Le CHU de Liège a récemment décroché le label GRACE (Groupe francophone de Réhabilitation Améliorée après Chirurgie) pour la chirurgie hépato-biliaire, après une première labellisation pour la chirurgie colorectale. Le Dr Gabriel Thierry résume ainsi le concept de la réhabilitation améliorée après chirurgie (RAC) : « Il s’agit d’optimaliser la prise en charge avant, pendant et après l’opération, pour tout patient qui bénéficie d’une chirurgie hépatique programmée ». Concrètement, les patients du CHU de Liège bénéficient tous depuis fin 2020 du programme de réhabilitation améliorée après chirurgie hépatique. 

Cela passe notamment par « une bonne information du patient avant l’intervention, une kinésithérapie pré- et post-opératoire, une renutrition pré-opératoire, la limitation de la période de jeûne avec un apport glucidique deux heures avant la chirurgie (pour favoriser, entre autres, la reprise du transit et le confort du patient), l’absence de prémédication anxiolytique (remplacée par des techniques de suggestion positive), le recours privilégié à la laparoscopie, l’absence de sonde urinaire ou gastrique, ou encore une réalimentation et une remobilisation précoce dès le jour 0 », détaille l’anesthésiste. Composé de 21 items, le protocole RAC implique une collaboration multimodale entre chirurgiens, anesthésistes, infirmiers, kinésithérapeutes, nutritionnistes… dans laquelle chacun joue son rôle pour favoriser la meilleure réhabilitation possible du patient. 

Si ce protocole est bien entendu adapté en fonction de chaque cas, « l’équipe tente de suivre un nombre maximum d’items ». Pourquoi ? D’abord parce que la RAC en chirurgie hépatique permet de raccourcir les durées de séjour hospitalier : « Les hépatectomies, majeures ou mineures, par laparoscopie ou laparotomie, ne nécessitent plus qu’une durée médiane de deux jours d’hospitalisation (contre neuf jours en 2015), et les petites résections ne nécessitent parfois que 24 heures d’hospitalisation ». 

Mais l’application de la RAC permet aussi « de réduire significativement la morbidité postopératoire par rapport aux soins standards », souligne l’anesthésiste. Une étude menée au CHU de Liège auprès de 150 patients a ainsi montré une morbidité postopératoire de seulement 25 % après la labellisation du protocole RAC (contre 45 % avant). « En particulier, le programme RAC a fait chuter le risque d’iléus de 25 % à 5 % », s’enthousiasme le Dr Thierry. Au-delà des chiffres objectifs, le ressenti du patient s’en trouve également amélioré : « un séjour hospitalier proactif de 24 heures et sans complication se vit beaucoup mieux qu’une semaine entière passée dans un lit d’hôpital ! ».

Métastases hépatiques et greffe de foie : une nouvelle indication très ciblée 

De par sa fonction et sa position anatomique, le foie est un site privilégié de métastases dans les cancers colorectaux et neuroendocrines d’origine digestive. « La résection reste le seul traitement potentiellement curateur », rappelle le Dr Nicolas Meurisse. « Malheureusement, dans le cadre d’un cancer colorectal, seuls 20 à 30 % des patients pourront en bénéficier en raison de l’étendue des métastases au moment du diagnostic ». Mais sans chirurgie, sous chimiothérapie seule, le pronostic est extrêmement sombre avec un taux de survie à cinq ans de moins de 10 % (contre 30 à 50 % après résection). 

Pour cette raison, des pionniers ont proposé voici quelques décennies la greffe de foie comme traitement radical dans des cas de métastases hépatiques non résécables. Une proposition toutefois rapidement abandonnée « de par l’absence de bénéfice pour les patients en termes de récidives et de survie », précise le chirurgien. Mais récemment, l’amélioration des techniques opératoires, anesthésiques et oncogénétiques ont ravivé un intérêt pour cette indication, stimulant le développement de nombreuses recherches. Dans ce contexte, le CHU de Liège a notamment participé à l’une d’entre elles visant à évaluer le bénéfice d’une greffe de foie sur des patients atteints de métastases hépatiques non résécables d’un cancer colorectal (essai randomisé contrôlé multicentrique international TRANSMET). 

De façon générale, les résultats des différentes études s’avèrent très encourageants avec des survies à 5 ans de 60 à 80 % ! Le secret ? « Une sélection très rigoureuse des patients, dont les critères sont de mieux en mieux établis », révèle le chirurgien.

Conditions d’inclusion
  1. Résection du cancer primitif
  2. Absence de mutation génétique sur la tumeur
  3. Bon état général du patient
  4. Métastases localisées exclusivement dans le foie
  5. Non résécabilité des métastases hépatiques
  6. Régression ou stabilité des métastases hépatiques sous chimiothérapie
  7. Normalisation des marqueurs tumoraux CEA 

Pour le Dr Meurisse, le respect des critères de sélection est capital et explique le succès de la greffe de foie dans cette indication. Après la transplantation, les patients bénéficient d’un suivi très rapproché, notamment parce que « la récidive reste fréquente, notamment au niveau des poumons ». Cependant ces récidives peuvent être rapidement traitées, assure le chirurgien, « grâce à des techniques telles que la résection pulmonaire ou le Cyberknife ».  

Une jeune collaboration Euregio autour des cholangiocarcinomes

Le cholangiocarcinome demeurant une tumeur aussi rare qu’agressive, sa prise en charge en est d’autant plus compliquée. D’où l’idée d’initier des collaborations entre plusieurs centres hospitaliers « pour pouvoir partager les expertises, accumuler les données, échanger les expériences et stimuler davantage d’études cliniques », explique le Pr. Olivier Detry. C’est ainsi que le Centre de référence en chirurgie hépatique du CHU de Liège a été invité il y a quelques mois à intégrer une toute nouvelle collaboration Euregio aux côtés des Centres de Maastricht, Aachen et Hasselt, baptisée Euregional Cholangiocarcinoma Collaborative. « Le premier chantier sera d’harmoniser nos procédures de prise en charge des patients, mais déjà, nous discutons tous nos cas ensemble en réunions multidisciplinaires ». Cette jeune collaboration prometteuse et sans doute vouée à s’imposer sur la scène européenne devrait bientôt, espère le chirurgien, donner naissance « à des programmes d’études rassemblant suffisamment de patients pour produire des résultats statistiquement significatifs ». 

Plus d’informations sur https://cholangiocollaborative.eu/ 

Message aux médecins traitants

La toute première greffe de foie liégeoise date de 1986, sous les doigts du Pr. Pierre Honoré. Le même qui, cette année, assistait à la 1000e transplantation au CHU de Liège ! À l’époque, une greffe était un événement exceptionnel. En 2022, c’est une équipe de cinq chirurgiens hyperspécialisés qui réalise cinquante transplantations hépatiques sur l’année. Une prouesse réalisée « grâce à un taux de dons d’organes exceptionnel dans notre région, et une excellente collaboration avec les services d'hépatologie des hôpitaux du bassin hospitalier liégeois (CHR, CHC, CHH, CHBA), de Wallonie et du Grand-Duché de Luxembourg », souligne le Pr. Olivier Detry. 

C’est pourquoi les patients du CHU de Liège – unique centre de transplantation en Région Wallonne – ont la chance de bénéficier d’une durée d’attente particulièrement courte pour obtenir le foie d’un donneur. Le programme de transplantation liégeois est également reconnu internationalement pour l'utilisation de greffons prélevés chez des donneurs après arrêt circulatoire ou après euthanasie. 

Dernière mise à jour : 03/05/2023