NEUROCHIRURGIE EN PSYCHIATRIE

Éprouvée depuis plusieurs dizaines d’années pour soigner les symptômes de la maladie de Parkinson, des tremblements, des douleurs, les dystonies ou encore l’épilepsie, la Deep Brain Stimulation (DBS) ou stimulation cérébrale profonde trouve régulièrement de nouvelles indications. Parmi celles-ci, le traitement des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sévères est l’une des plus récentes, pratiqué en psychiatrie depuis la fin des années nonante. Affichant de bons résultats en dernière intention, cette technique de neuromodulation représente un réel espoir de retrouver une vie normale pour les quelque 2 à 3 % de patients sévèrement atteints qui ne répondent à aucun des traitements classiques.

Le traitement du TOC est la première
indication de la DBS validée en psychiatrie !

 

L’intervention consiste à implanter deux électrodes cérébrales reliées à un neurostimulateur sous-cutané, à la façon d’un pacemaker : le neurostimulateur délivre des impulsions électriques à haute fréquence, de manière à modifier l’activité neuronale. Loin des neurochirurgies lésionnelles qui ont marqué l’histoire de la psychochirurgie, l’intervention est entièrement réversible et modulable de manière personnalisée, par l’ajustement de différents paramètres tels que l’intensité du courant.

Seuls cinq Centres de référence en Belgique sont habilités à pratiquer ces chirurgies dans le cadre du TOC : l’UZ Genk, l’UCLouvain, la KULeuven, le CHU de Charleroi et le CHU de Liège, qui a développé depuis quelques années un Centre de référence TOC au Sart Tilman sous l’impulsion du Pr. Gabrielle Scantamburlo, en collaboration avec le Pr. Didier Martin. Associant leurs Services respectifs, le Centre propose désormais aux patients une consultation mixte en Psychiatrie et Neurochirurgie, et réalise les interventions de DBS grâce au savoir-faire de deux médecins spécialisés en neurochirurgie fonctionnelle, le Dr Anne-Laure Salado et le Dr Bruno Kaschten.

Qui êtes-vous ?

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Qui êtes-vous, Gabrielle Scantamburlo ?

Cheffe du Service de Psychiatrie du CHU de Liège depuis 2016, Gabrielle SCANTAMBURLO est psychiatre et médecin responsable du Centre d’Accompagnement des Transidentités. Elle a récemment développé une consultation mixte en Psychiatrie et Neurochirurgie pour la prise en charge du TOC par neuromodulation, en collaboration avec le Dr Anne-Laure Salado.

Titulaire d’une charge d’enseignement en Psychiatrie et Psychologie médicale à la Faculté de médecine de l’ULiège, Gabrielle Scantamburlo y dirige également l’Unité de recherche en Psychoneuroendocrinologie. Après une thèse de doctorat sur la neurohypophyse dans la dépression, un séjour à l'Université Mc Gill (Montréal) et un mandat de clinicien-chercheur au FNRS, la majeure partie de ses travaux est consacrée à l’ocytocine, aux neurosciences et à la pédagogie.

Qui êtes-vous, Didier Martin ?

Didier MARTIN est Chef du service de Neurochirurgie au CHU de Liège depuis 2004 et Professeur de Neurochirurgie à l’ULiège. En tant que neurochirurgien, ses activités cliniques ont été d’abord orientées vers la pathologie dégénérative spinale ainsi que la neurotraumatologie crânienne et rachidienne, en lien direct avec son domaine de recherche sur les traumatismes médullaires, le conduisant à obtenir en 2000 le titre d’agrégé de l’enseignement supérieur.

Aujourd’hui, Didier Martin se consacre largement à la chirurgie des lésions cérébrales complexes, à la pathologie hypophysaire, à la pathologie vasculaire et au traitement chirurgical de l’épilepsie réfractaire. Mêlant depuis toujours recherche et activité clinique, sa carrière est marquée par de nombreuses collaborations avec le GIGA-Neurosciences et des laboratoires étrangers. Président du Département des Sciences cliniques, Didier Martin est passionné par l’enseignement et développe des projets axés sur la pédagogie.

Qui êtes-vous, Anne-Laure Salado ?

Jeune neurochirurgienne d’origine française, Anne-Laure SALADO a suivi ses études de Médecine au CHU de Toulouse. Installée en Belgique depuis une dizaine d’années, elle s’est spécialisée en neurochirurgie à l’ULiège. Après passage d’un an de stage à Montréal, elle officie aujourd’hui en tant que Cheffe de clinique au sein du Service de Neurochirurgie du Pr. Didier Martin, réalisant toutes chirurgies cérébrales ou rachidiennes.

Passionnée depuis toujours par la chirurgie fonctionnelle, elle assure avec son collègue le Dr Bruno Kaschten les interventions de stimulation cérébrale profonde au Centre de référence TOC du CHU de Liège.

Manie ou maladie ?

Caractérisé par une anxiété persistante, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) associe deux aspects : « des obsessions telles que des pulsions, pensées ou images intrusives et persistantes générant une anxiété, et/ou des compulsions, c’est-à-dire des comportements ou actes mentaux répétés qui visent généralement à réduire cette anxiété, sous forme de rituels ». Pour le Pr. Scantamburlo, « Chacun l’expérimente sans que ce soit nécessairement pathologique, avec une notion de continuum. On considère qu’un TOC devient pathologique lorsque la personne passe plus d’une heure par jour à effectuer ces rituels, sans parvenir à les contrôler, au point de causer un handicap et une souffrance considérables ».05webSi les causes exactes des TOC ne sont pas parfaitement élucidées, on sait qu’ils sont prédisposés génétiquement et résultent « d’une intrication de mécanismes environnementaux et biopsychosociaux mais aussi de dysfonctions neurobiologiques : les noyaux cérébraux liés au doute et au danger, c’est-à-dire à l’alarme, sont suractivés, générant une sensation de menace inappropriée ». On l’appelle aussi la « maladie du doute », car la personne qui souffre de TOC « est envahie d’un doute persistant, d’un sentiment de danger dont elle se sent responsable, et que les rituels viennent en quelque sorte conjurer. Et bien qu’elle soit consciente de l’irrationalité de ses obsessions, elle ne parvient pas à les contrôler ». Il s’agit pour la psychiatre de déculpabiliser les patients et leur famille : « Se défaire d’un TOC n’est pas une question de volonté ! C’est une véritable pathologie, qui à un degré sévère nécessite des traitements adaptés », insiste-t-elle.

En Belgique, le TOC touche environ 3 % de la population soit 250.000 personnes à des degrés divers, ce qui en fait la 4ème maladie psychiatrique la plus fréquente. Elle se déclare la plupart du temps entre 15 et 25 ans (65 % des cas), parfois avant 14 ans (25 % des cas, en particulier chez les garçons) et plus rarement après 35 ans (15 % des cas).

Quels symptômes ? Jusqu’où ? Pourquoi ?

06web La maladie se manifeste par un vaste éventail de symptômes qui s’articulent en général autour de thématiques, dont les plus fréquentes sont :

  • la propreté et la peur d’être contaminé, générant des rituels de lavage ;
  • l’ordre et la symétrie, associés à des rituels de rangement ou de comptage ;
  • la peur de commettre une erreur, précipitant des besoins de vérifications répétées;
  • les pensées interdites, comme la peur de commettre des actes agressifs ou violents, parfois en lien avec des rituels mentaux.

Souvent une thématique prédomine, mais il n’est pas rare que les patients en cumulent plusieurs, en particulier si leur maladie s’est déclarée tôt, dans l’enfance.

L’intensité des symptômes et le temps passé à effectuer ces rituels varient grandement en fonction du patient mais aussi de son environnement, plus ou moins anxiogène. La symptomatologie évolue ainsi dans le temps, notamment en fonction des événements, des périodes de vie et des variations hormonales : « la maladie peut se déclarer ou s’aggraver suite à un traumatisme, un deuil, un stress chronique, une grossesse… ». Dans les cas graves, des patients peuvent par exemple passer leurs journées entières (et parfois même des nuits) à effectuer des rituels de lavage et de rangement : « Ils vont nettoyer leur salle de bains avant de se laver, puis renettoyer ensuite tout ce qu’ils avaient touché avant de s’être lavés, y compris les murs, les objets… Ensuite, le patient peut ressentir le besoin de se relaver voire de recommencer ce cycle plusieurs fois d’affilée. Un engrenage qui peut mener jusqu’à l’isolement complet de la personne ou l’alitement prolongé, par exemple ».

Les TOC fonctionnent en effet comme un cercle vicieux : « Lorsque la personne perçoit une menace, elle s’impose des actions ritualisées pour tenter de contrôler ou soulager l’anxiété. Mais paradoxalement, ces actions accentuent le doute, avec en retour la répétition de rituels ». C’est pourquoi les TOC sévères rendent la vie impossible et engendrent une grande souffrance non seulement pour le patient mais aussi son entourage « avec un grand impact sur la vie quotidienne, professionnelle, familiale : un TOC sévère peut précipiter des divorces, des licenciements, mener à l’isolement et à des complications psychiatriques telles que des troubles addictifs (drogues, alcoolisme) ou une dépression sévère, voire des idées suicidaires ».

Une chirurgie réservée aux TOC sévères et multi-résistants

07webLa stimulation cérébrale profonde est réservée aux individus atteints de TOC très sévères qu’on ne parvient pas à soulager avec les traitements classiques ou qui ne les supportent pas. C’est pourquoi les patients reçus en consultation conjointe au Centre de référence TOC font l’objet d’une évaluation rigoureuse pour envisager les différents types de traitement, comme l’explique le Pr. Scantamburlo : « Avec les mesures d’hygiène de vie qui sont fondamentales, la thérapie cognitivo-comportementale est l’un des traitements de première intention du TOC. Elle permet de repérer les croyances et réduire les rituels. Généralement, elle est associée à un antidépresseur qui régule la sérotonine, à dose plus élevée que dans la dépression ». Cette combinaison se montre efficace pour la grande majorité des patients (70%).

Plus la maladie se déclare tôt, plus elle est
sévère, étendue et résistante aux traitements

 

Il reste que 10 % des patients sont très sévèrement atteints mais s’avèrent totalement réfractaires aux traitements habituels, avec une morbidité et un handicap majeurs, soit une dizaine de cas par an en Belgique. « Ceux-là sont potentiellement candidats à une chirurgie de stimulation cérébrale profonde », commente le Dr Anne-Laure Salado. Moyennant une série de conditions : « L’intervention étant très coûteuse et entièrement remboursée par l’INAMI, l’indication chirurgicale fait l’objet d’une longue procédure médicale et administrative ». Parmi les conditions, le patient doit avoir été diagnostiqué par un psychiatre depuis au moins cinq ans et avoir exploré les autres alternatives de traitement pendant un temps suffisamment long. « Au minimum un an de thérapie cognitivo-comportementale à raison de 25 séances en une année ; six mois de traitement par de l’Anafranil (300 mg) ; et au moins deux ISRS différents (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) au dosage habituellement employé dans le TOC ».

Quant aux critères d’exclusion, ils allient les contrindications générales liées à tous types de DBS, tels que des problèmes septiques en cours, des troubles de la coagulation ou encore une affection cérébrale, et les contrindications spécifiques aux patients atteints de TOC : troubles cognitifs, troubles psychotiques et usages de substances.

La stimulation cérébrale profonde en pratique

Comme toutes les autres techniques de neuromodulation, l’intérêt de la Deep Brain Stimulation (DBS) est qu’elle permet « de stimuler ou moduler l’activité du cerveau sans causer de lésions cérébrales », insiste le Pr. Didier Martin, raison pour laquelle cette neurochirurgie « est entièrement réversible, par l’arrêt ou le retrait du matériel ». Concrètement, « on implante deux électrodes multipolaires (plots) dans des noyaux centraux du cerveau, qui sont reliés par des extensions à un neurostimulateur muni d’une pile, placé dans la zone pectorale ou abdominale en sous-cutané. Celui-ci envoie un courant à haute fréquence (130 Hz) au niveau des électrodes ». Les patients atteints de TOC étant le plus souvent jeunes, « on utilise généralement des piles rechargeables à travers la peau, qui durent plusieurs dizaines d’années ».

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La cible de la DBS varie selon l’indication, précise le Pr. Scantamburlo : « Dans le cadre du traitement du TOC en Belgique, les électrodes sont positionnées dans le bras antérieur de la capsule interne pour se terminer sur la cible, le bed nucleus de la stria terminalis. Le bed nucleus est en effet une extension de l’amygdale cérébrale déterminante dans l’alarme : face à un stimulus menaçant dans l’environnement, elle s’active et génère un stress. Chez les patients atteints de TOC, cette zone est particulièrement suractivée. L’envoi d’un courant à haute fréquence permet ainsi de freiner la suractivation des circuits cérébraux et de les moduler ».

La réversibilité n’est pas le seul avantage de la technique : la DBS est également modulable de façon personnalisée : comme l’explique le Pr. Scantamburlo, « On peut adapter l’intensité du courant, en fonction de chaque patient et de l’évolution des symptômes au cours du temps ». Par ailleurs, le matériel est miniaturisé et peu visible.

Prise en charge hospitalière

L’intervention nécessite en moyenne cinq jours d’hospitalisation dans le Service de Neurochirurgie et, comme les patients atteints de TOC se montrent particulièrement anxieux, elle est réalisée sous anesthésie générale. Les complications sont rares, assure le Dr Salado : « les plus fréquentes étant les infections (2 à 3 %), les hématomes (moins de 1%) et les migrations ou fractures de matériel (0,5 %) ».

Après une à deux semaines au domicile, le patient est hospitalisé cette fois dans le Service de Psychiatrie, en général pour une quinzaine de jours, « pour mettre en route le neurostimulateur et tester les différents paramètres de stimulation afin de définir le réglage qui correspond à chaque patient. Le tout se fait grâce à une tablette connectée. Parallèlement, on ajuste les traitements médicamenteux ». Par la suite, le patient sera étroitement suivi en consultation conjointe, en fonction de l’évolution de ses symptômes. « Ponctuellement, nous recevons aussi les patients avec leur famille. Le soutien de l’entourage est crucial car la maladie induit des ajustements familiaux qui sont modifiés après la stimulation », précise le Dr Scantamburlo.

Quelle vie après une chirurgie anti-TOC ?

09webLa stimulation cérébrale profonde permet d’atténuer les symptômes du TOC, « plus ou moins efficacement selon les personnes, avec une amélioration décrite chez environ deux tiers des patients. Ce qui signifie qu’il se peut aussi que les TOC ne régressent pas ou pas suffisamment », prévient le Pr. Scantamburlo. « En amont et en aval de l’intervention, l’information et le suivi du patient sont donc indispensables pour explorer les attentes, la réalité, les craintes et les possibilités ». Et la psychiatre de rappeler que « l’environnement et les événements de vie, plus ou moins anxiogènes, s’avèrent déterminants dans l’évolution de la symptomatologie. C’est pourquoi ce soin implique une grande préoccupation pour l’expérience et le vécu du patient, dans une optique axée sur le rétablissement et la santé. Inévitablement, c’est un traitement personnalisé qui appelle à des réglages individualisés ».

Le dispositif est comparable à un pacemaker


Au quotidien, on vit avec une DBS comme on vit avec un pacemaker : « le patient ne sent absolument rien, aucune douleur, ni sensation lors des impulsions électriques », assure le Pr. Martin. Et une fois le dispositif en place, « on peut mener une vie tout à fait habituelle et même pratiquer la plupart des sports ». De plus, la DBS permet de réduire drastiquement les médications, voire les supprimer. Quant aux événements indésirables signalés, ils comprennent « des symptômes transitoires d'hypomanie, d’agitation ou des troubles du sommeil », mais sont en principe résorbables par un réglage fin des paramètres du neurostimulateur. 

Après une DBS, l’amélioration de la symptomatologie peut aussi avoir un impact positif sur d’autres aspects de la santé, comme l’obésité, le diabète ou encore les maladies cardiovasculaires : « Si les symptômes sont atténués, le patient peut retrouver un début de vie sociale, se mobiliser à nouveau, sortir de chez lui, pratiquer un sport… ».

Message aux médecins traitants

59 05- message medecinsLa DBS est préconisée dans le TOC sévère et multi-résistant. Avec d’autres techniques de neuromodulation, en plein essor dans le domaine de la psychiatrie[1], elle rétablit des ponts entre différentes disciplines médicales intimement liées,  et « implique un accompagnement médical global qui touche aussi aux dimensions existentielle ou philosophique… On ne peut pas réduire une maladie à une dysfonction de circuits cérébraux ! », professe Gabrielle Scantamburlo. Cette toute première indication psychiatrique de la DBS ouvre ainsi des portes vers une médecine mentale de précision, toujours plus personnalisée. En tant que Centre de référence TOC, le CHU de Liège poursuit un programme de recherche en ce sens en lien avec l’Unité de Psychoneuroendocrinologie, visant à identifier des marqueurs prédictifs de l’efficacité des techniques de neuromodulation en  psychiatrie.

[1] Scantamburlo G, Salado AL, « Approches thérapeutiques innovantes en psychiatrie : neuromodulation. Pour qui ? Pour quoi ? Comment ? », Rev Med Liège 2020 ; 75 : 5-6 : 426-431.