MÉDECINE GÉNOMIQUE

Une étude pilote wallonne propose un séquençage rapide du génome humain entier pour des enfants sévèrement malades en SI.

Aux soins intensifs de Pédiatrie et de Néonatologie, des enfants en état critique meurent faute d’un diagnostic génétique. En cause : des délais de 6 à 12 mois pour obtenir les résultats d’une analyse du génome, qui arrivent souvent trop tard ou laissent des petits avec des séquelles irréversibles. Dans les SI pédiatriques et de néonatologie, 15 à 20 % des décès sont dus à une maladie génétique, selon des statistiques américaines. Grâce à un projet pilote lancé il y a un an dans le giron de l’ULiège / CHU de Liège et financé par la Région Wallonne, ce délai a été compressé à seulement 40 heures pour les enfants en SI chez lesquels on suspecte une maladie génétique. Un tour de force technique et logistique qui a déjà permis de sauver plusieurs petits, en collaboration avec les Services de Néonatologie et de Pédiatrie du CHR Citadelle et du CHC MontLégia.

À l’origine du projet, le Laboratoire de Génétique Humaine (GIGA-R) du Pr. Vincent BOURS, avec à la manœuvre le Docteur Aimé Lumaka Zola comme principal investigateur. Le pédiatre généticien lève déjà le voile sur ses premiers résultats : « Sur dix enfants testés, nous avons pu identifier les mutations génétiques responsables de l’entièreté des symptômes pour six d’entre eux ». Ce qui suggère « un rendement diagnostique bien meilleur que les procédures standard actuelles, habituellement autour de 40 % », évalue le chercheur. Ce bon rendement, il l’explique par une bonne spécificité des critères d’indication du test, mais aussi par la technique utilisée : « le séquençage du génome entier permet d’identifier des pathologies liées à des pertes ou des duplications de matériel génétique de petite taille. De plus, certains outils informatiques permettent d’identifier des maladies mitochondriales et des maladies de répétitions à partir des données du séquençage du génome entier, ce qui n’est pas faisable dans d’autres types de séquençage ».

Le tout en un temps record, à peine 40 heures s’étant écoulées entre la prescription du test et le retour du diagnostic auprès du pédiatre. L’enfant peut ainsi être pris en charge très rapidement sur base de ce diagnostic, « avant que son état ne s’aggrave ou que le pire n’arrive ». Il faut dire que le Docteur Lumaka Zola et son équipe technique menée par Mme Corinne Fasquelle ne ménagent pas leurs efforts, travaillant la nuit comme le week-end dans une course contre la montre lorsqu’une demande leur parvient :

Grâce à ce test, on peut sauver des enfants.
À chaque fois, on se dit que ce sera peut-être cet enfant-là

 

Inspirée d’initiatives anglo-saxonnes récentes, l’étude a de loin dépassé les performances de ses modèles. À présent, l’équipe est en quête de nouveaux hôpitaux partenaires pour tester le procédé de manière centralisée à l’échelle du pays, auprès de 30 enfants et leur famille. Le CHU étant le seul centre de génétique universitaire en Belgique à réaliser ce test, « l’objectif est de pouvoir proposer un diagnostic aussi rapide pour des petits patients d’Ostende, d’Eupen ou de Mons ! ».

Qui êtes-vous, Aimé Lumaka Zola ?

« Je me suis toujours vu comme un Dr House », lance Aimé Lumaka Zola. « Car j’aime résoudre les énigmes scientifiques ! ». C’est ce qui l’a tout naturellement dirigé vers la génétique qui renferme à ses yeux « les questions les plus fascinantes et les plus ardues », à la suite de ses études de Médecine et de sa spécialité en Pédiatrie, toutes deux suivies à Kinshasa. Cependant, une histoire dramatique allait définitivement orienter la carrière d’Aimé.02 ENEWSUne jeune congolaise proche de sa famille venait de perdre son deuxième petit garçon dans les premiers mois de vie, suite à des doses de vaccin. « En Afrique, c’est interprété comme le signe d’une malédiction ou d’un envoûtement », explique le pédiatre. « Son mari menaçait de divorcer, et cette femme risquait de ne plus être approchée par aucun homme ». Aimé s’est alors penché sur le cas de la famille, pour découvrir que 14 enfants de sexe masculin avaient été perdus dans des circonstances similaires par ses sœurs et ses tantes. « À la vue de l’historique familial et des photos des enfants, j’étais persuadé qu’il devait s’agir d’une insuffisance surrénalienne congénitale ». Le jeune médecin eut peu après l’occasion de partager ses suspicions avec un professeur de la KULeuven de passage à Kinshasa. « Surpris par la justesse de mon diagnostic, il m’a aussitôt proposé un poste de doctorant à Louvain », se souvient-il.

C’est ainsi qu’en 2010, Aimé Lumaka Zola quitte la République Démocratique du Congo pour réaliser son doctorat à la KULeuven, qu’il achèvera par une thèse en pédiatrie génétique (2015). « Je suis ensuite rentré au Congo pour y entamer une carrière académique en tant que Professeur associé », avant de revenir un an plus tard et s’installer en Belgique. Aimé et son épouse ont trois enfants dont un en école spéciale, « mais trois garçons… ce qui en vaut bien dix ! », plaisante-t-il.

Il travaillera alors à Louvain en tant que superviseur dans une firme d’interprétation de données génétiques, jusqu’à ce que le Pr. Vincent BOURS lui propose de coordonner le projet WALGEMED (Médecine Génomique en Wallonie) en 2018, au sein du Laboratoire de Génétique Humaine du GIGA et du CHU de Liège. Aujourd’hui très impliqué dans le projet pilote de séquençage rapide du génome, Aimé est animé par la volonté de « pouvoir aider un enfant. Rien n’est plus gratifiant, cela vaut de l’or ! ».

Timing record : comment ont-ils fait ?

03 ENEWSSur le terrain, ils sont cinq cliniciens, une ingénieure et trois bioinformaticiens autour du Docteur Lumaka Zola. Comment cette petite équipe parvient-elle à écraser les délais habituels de plus de six mois à quelques dizaines d’heures entre la prescription du test et la remise du diagnostic, y compris le week-end ?

Next Generation Sequencing

Inspiré d’une expérience américaine, le Laboratoire de Génétique Humaine du CHU de Liège a adopté une nouvelle technique de séquençage massif parallèle, appelée Next Generation Sequencing (NGS), qui permet d’étudier à partir d’un simple échantillon sanguin plusieurs portions voire l’entièreté du matériel génétique pour plusieurs individus à la fois. « Le processus est beaucoup plus rapide que le séquençage de première génération qui analyse les gènes l’un après l’autre, sachant qu’il existe environ 25.000 gènes et 8.000 maladies monogéniques connues », rappelle le Docteur Lumaka Zola. Dans cet esprit, le GIGA-R vient d’acquérir un séquenceur NovaSeq 6000, équipement moderne parfaitement adapté pour le séquençage massif. « Nous avons également adopté le kit de préparation des librairies qui a permis à une étude pilote états-unienne de réduire les délais à 21h15 entre la prescription du test et le retour du résultat ».

Centralisation et circuit court 

Si l’étude américaine a abouti à un timing inégalé, il reste que l’expérience ne concernait qu’un seul hôpital. « C’est pourquoi nous nous sommes également intéressés à une autre expérience, anglaise celle-là, qui a pour la première fois tenté de centraliser le séquençage d’échantillons pour plusieurs hôpitaux de la même région, aboutissant à des délais d’une à quatre semaines », explique le généticien. Le projet wallon a cependant pu dépasser l’expérience anglaise « en consacrant une équipe entièrement dédiée à ces séquençages, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Notamment, la disponibilité de l’ingénieure qui réalise l’essentiel des manipulations techniques, Mme Corinne Fasquelle, est particulièrement cruciale ». Parallèlement, le Laboratoire liégeois a mis en place un circuit court, de sorte que l’ensemble des manipulations et du processus de recherche (préparation de la librairie, séquençage, analyse et interprétation) se fait entièrement au CHU et au GIGA, de façon à raccourcir au maximum le délai de réponse.   

Pour le Docteur Lumaka Zola, « Le projet a pu bénéficier de toute une infrastructure préexistante en Wallonie, qui n’existe pas aux USA par exemple : les hôpitaux sont déjà établis en réseau, avec un système de communication des informations et de transfert des échantillons qui fonctionne déjà bien ». Et en amont du test, « on gagne un temps précieux sur les processus de consentement des parents grâce aux équipes d’interprètes ».

En soins intensifs, on dispose de peu de temps. Ainsi cette rapidité inédite du diagnostic génétique permet une prise en charge prompte des petits patients dont le pronostic vital est engagé ou à risque de séquelles irréversibles. Les premiers résultats de l’étude pilote démontrent déjà une amélioration du pronostic vital et de la qualité de vie de ces enfants et de leurs familles.

Le rendement diagnostique frise les 60 %

L’adoption du Next Generation Sequencing (NGS) a permis d’améliorer le pourcentage d’enfants diagnostiqués, et les études montrent que 33 % à 72 % d’enfants malades bénéficient d’un ajustement de leur traitement après réalisation du test.

Sur 10 petits patients en SI recrutés pour le NGS, l’étude pilote a pu déterminer la ou les maladie(s) génétique(s) expliquant le tableau clinique de 3 cas sur 4 en Pédiatrie, 2 cas sur 4 en Néonatologie, et 1 cas sur 2 en Neurologie. « Six cas sur dix ont ainsi été entièrement résolus ». 5 % des patients qui développent un trouble d’origine génétique sont en effet porteurs de deux maladies. « Chez l’un des 10 patients, le NGS a permis d’identifier deux anomalies », ce qui confirme la capacité du test à identifier les doubles pathologies.

04 ENEWS

Un large territoire de détection des anomalies

L’approche par séquençage du génome entier offre bien entendu « un territoire de détection beaucoup plus vaste que les analyses classiques, qui se concentrent sur à peine 2 % du matériel génétique. Le NGS affirme ainsi une plus grande faculté que les tests standards à identifier les pertes ou les gains de matériel génétique de petite taille ». Les tests de séquençage standard actuels ne sont en effet pas en mesure de détecter « les pathologies liées à une expansion des répétitions des triplets dans le génome, comme le syndrome de l’X fragile par exemple, ou les ataxies spinocérébelleuses liées à ce type d’anomalies », précise le généticien. De plus, la jeune étude liégeoise suggère à ce stade un rendement diagnostique autour de 60 %, soit bien plus élevé que celui du NGS des études américaine (40 %) et anglaise (45 %), ce qui reflète pour le Docteur Lumaka Zola « une bonne spécificité des critères de sélection des patients ».  

Dans les cas non résolus par l’analyse génétique (3 sur 10), cette dernière permet d’écarter une maladie génétique suspectée cliniquement et d’orienter vers un diagnostic alternatif, voire de le valider. « L’un des enfants était porteur d’une forme clinique de polyneuropathie dégénérescente. Deux origines étaient envisageables, soit génétique soit immunitaire. Le diagnostic monogénique négatif a ainsi permis de considérer la forme immunitaire et d’entamer rapidement une corticothérapie », illustre le pédiatre.

Stratégie d’analyse en trio  

Dans le cadre de l’étude pilote, les parents des petits patients sont également testés par NGS. Pour le Docteur Lumaka Zola, « cette stratégie d’analyse en trio augmente le rendement du NGS et accélère l’identification des variants d’intérêt clinique car elle permet d’intégrer les hypothèses du mode d’hérédité ainsi que le phénotype dans la recherche de ces variants ». Et bien que le cas ne se soit pas encore présenté dans les candidats à l’étude, « il s’agit aussi d’intégrer dans l’analyse d’éventuels membres de la fratrie atteints de symptômes similaires qui n’auraient pas encore bénéficié d’un diagnostic génétique ».

Un cas d’école : comment un petit de 15 mois a été sauvé in extremis

Le parcours du deuxième patient recruté pour l’étude, Lucien, un petit garçon de 15 mois au commencement de l’étude, illustre particulièrement bien l’intérêt du projet pilote liégeois. Alors hospitalisé pour des crises de convulsion répétées aux SI de Neurologie du CHR Citadelle, le petit présente un état de détresse neurologique et une hypotonie généralisée, et doit être alimenté par sonde nasogastrique. Les cliniciens suspectent une myasthénie congénitale, et programment une biopsie musculaire sous anesthésie générale pour la semaine suivante. Sur proposition du pédiatre, Lucien est immédiatement intégré au programme d’étude, qui a pu fournir un diagnostic génétique avant la réalisation de la biopsie. Fort heureusement pour la suite.05 ENEWSLe Docteur Lumaka Zola raconte : « Lucien était en réalité porteur d’une maladie génétique causée par un déficit en dopa décarboxylase (caractérisé par un déficit en dopamine, la sérotonine et des catécholamines), dont certaines manifestations miment celles d’une myasthénie ». Si le diagnostic était tombé quelques jours plus tard, l’enfant aurait subi une biopsie musculaire, or certains anesthésiques utilisés pour l’anesthésie générale aggravent les symptômes de cette maladie... « D’ailleurs, les premiers symptômes du petit s’étaient manifestés suite à une cure herniaire réalisée à trois mois sous anesthésie générale… Une biopsie aurait très probablement compliqué son cas, alors qu’aujourd’hui, il y a un réel espoir pour l’enfant ». Lucien a à présent 2 ans, et les parents sont en attente d’une autorisation pour entamer une thérapie génique.

Qui peut bénéficier du test ?

06 ENEWSLes patients candidats sont identifiés par les différents Services de SI en Pédiatrie et Néonatologie des hôpitaux partenaires. L’indication du test est posée par le pédiatre sur base d’une checklist établie par l’étude, puis validée par les généticiens. Cette checklist reprend essentiellement les signes cliniques qui peuvent faire suspecter une maladie génétique.

Principales indications :
  • une hypotonie sévère
  • des événements brusques intermittents inexpliqués nécessitant une réanimation cardiorespiratoire
  • des épisodes convulsifs répétés (même non sévères) réfractaires
  • des malformations suggestives d’une cause génétique
  • un profil clinique et biologique suggérant une maladie métabolique
  • un historique de retard mental
  • autres malformation suggestives ;

surtout si un autre membre de la famille présente des symptômes similaires ayant évolué vers une hypotonie ou un retard mental sans diagnostic génétique.

Principales exclusions :
  • une grande prématurité
  • un profil clinique évident indiquant une maladie génétique en particulier (anomalies chromosomiques telles que trisomie 21), devant orienter vers des tests plus spécifiques
  • une infection qui répond bien aux traitements

Les futurs résultats de l’étude devraient permettre d’affiner les profils pour lesquels le test NGS est le plus bénéfique, pouvant aboutir à un élargissement ou un rétrécissement des indications.

Message aux médecins traitants

Une large proportion des motifs d’admissions en SI pédiatriques ou néonataux résulte d’anomalies génétiques sous jacentes, souvent dans un seul gène. Les maladies monogéniques se manifestent souvent très tôt dans l’enfance et figurent au premier rang des causes de décès infantile et néonatal. Cependant, identifier l’anomalie causale s’avère souvent complexe, dans la mesure où les signes sont peu spécifiques ou fréquemment évocateurs d’autres pathologies. Ce contexte éclaire l’intérêt majeur d’un séquençage du génome entier permettant un diagnostic rapide, désormais confirmé par l’étude pilote liégeoise. Ainsi l’implémentation de ce test en Wallonie permettra d’améliorer le délai et la qualité du diagnostic, de promouvoir une prise en charge précoce spécifique à la pathologie génétique, d’éviter des investigations inutiles et des thérapeutiques inadaptées.07 ENEWSPour l’heure, le Laboratoire de Génétique Humaine du CHU/ULiège est à la recherche d’hôpitaux partenaires disposés à fournir les échantillons sanguins pour recruter en tout 30 jeunes patients et leurs familles, probablement d’ici la fin d’année. Dans un second temps, il s’agira « de conclure un partenariat avec une société privée pour développer la commercialisation du test en Belgique et à l’étranger, et surtout d’obtenir des conditions de remboursement du test auprès des autorités belges », conclut le Docteur Lumaka Zola qui veut croire à « un grand espoir pour les petits patients en état critique aux soins intensifs ».