Il y a quelques semaines, un hôpital de Boston (USA) retirait un patient de la liste des personnes éligibles à une greffe du cœur parce qu’il n’était pas vacciné contre le SARS-COV2. La nouvelle a immédiatement fait le tour du monde suscitant questions et réactions.

Quels sont les ressorts de cette décision ?

Quelques éléments de réponse avec le Professeur Olivier DETRY, chirurgien, chargé de Cours dans le service de chirurgie abdominale et transplantation, le Docteur Laurent WEEKERS, néphrologue, et le Professeur Maurice LAMY, anesthésiste-réanimateur, membre du Comité d’Éthique hospitalo-facultaire universitaire de Liège.

Qui êtes-vous, Maurice Lamy ?

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Mon métier de médecin anesthésiste-réanimateur aux soins intensifs a mis sur mon chemin beaucoup de donneurs d’organes

Maurice Lamy

Le Professeur Maurice LAMY a été « concerné par la transplantation » pendant toute sa carrière. « Je faisais mes études au moment de la première greffe de rein en Belgique, pendant les années 60. Mon métier de médecin anesthésiste-réanimateur aux soins intensifs a mis sur mon chemin beaucoup de donneurs d’organes puis, après la loi de 1986 sur le don d’organes, davantage de patients receveurs, après transplantation. »

Retraité depuis 2008, cet ancien président du Comité d’Ethique du CHU de Liège reste très actif au sein du Comité d’Éthique hospitalo-facultaire universitaire de Liège, notamment.

Qui êtes-vous, Olivier Detry ?

02-2 (1000 x 500 px)Liégeois pure souche, Olivier DETRY a, fort logiquement, choisi de suivre ses études de médecine à l’Université de Liège, avant une année de spécialisation en transplantation hépatique à l’UCLA (Université de Californie, Los Angeles) entre 1996 et 1997.

Ancien Président de la Société Belge de Transplantation, il est, depuis 25 ans, fortement impliqué dans la chirurgie de transplantation abdominale et de chirurgie hépatique au CHU de Liège. Ce qui ne l’empêche pas de se consacrer à la recherche : sur la thérapie cellulaire par cellules souches mésenchymateuse en transplantation, sur l’augmentation du nombre de donneurs d’organe, sur les cancers du foie et, depuis peu, à la place prochaine de la xenotransplantation, notamment.

Qui êtes-vous, Laurent Weekers ?

02-3 (1000x500)Laurent WEEKERS a suivi une formation « un peu hybride », à l’ULiège, entre diabétologie et néphrologie. Fin 2005, répondant aux besoins du service, il réoriente sa carrière vers le domaine passionnant de la transplantation rénale. Formé à Paris, auprès du Pr Legendre à l’Hôpital Necker, il a représenté la Belgique pendant 8 ans auprès d’Eurotransplant. Il est aujourd’hui secrétaire du groupement Belgian Kidney & Pancreas Advisory Committee (BeKPAC) et « covidologue pour les patients transplantés, par la force des choses ».

A propos d’Eurotransplant

La fondation Eurotransplant travaille au service des centres de transplantation, des laboratoires et des hôpitaux transplanteurs coopérants de huit pays (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, la Hongrie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Slovénie), pour un total de 137 millions d’habitants. L’organisme œuvre pour une utilisation optimale des organes disponibles en établissant la meilleure combinaison possible entre organe et receveur, sur base de critères médicaux et éthiques pointus. Eurotransplant est organisée démocratiquement avec une assemblée, un conseil d’administration, un conseil de surveillance, deux conseils consultatifs et huit comités consultatifs.

03 (1000x500)Les avantages de la collaboration découlent de deux éléments. D’une part, de l’utilisation d’un système unique de collecte des paramètres des donneurs et d’une seule liste d’attente centrale. D’autre part, des efforts conjoints des médecins et des scientifiques pour élaborer des règles régissant l’allocation des organes prélevés, basées sur des données scientifiques probantes et sur l’expertise médicale. La liste d’attente centrale compte environ 14.000 patients.

Lorsqu’un donneur a été déclaré, Eurotransplant établit immédiatement, au moyen d’un programme informatique complexe, une liste des receveurs les plus compatibles pour chaque organe disponible. Quatre principes généraux sont pris en compte : le résultat prévisible après la transplantation, le degré d’urgence établi par les spécialistes, le temps d’attente et l’équilibre au niveau national entre les organes importés et les organes exportés. Le résultat prévisible après la transplantation est déterminé, entre autres choses, par les paramètres du donneur et du receveur.

Ni discrimination, ni punition

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Il n’y a aucune discrimination ni punition dans le fait d’écarter momentanément les patients non vaccinés des listes d’attente, bien au contraire.

Olivier Detry

« L’information objective et scientifique passe mal, et toute l’histoire de la COVID et de la vaccination nous le prouve depuis maintenant 2 ans », constate Olivier Detry. « Il n’y a aucune discrimination ni punition dans le fait d’écarter momentanément les patients non vaccinés des listes d’attente, bien au contraire. La vaccination est là pour protéger les patients les plus fragiles, dont les patients transplantés. Recevoir une greffe d’organe nécessite la prise de médicaments immunosuppresseurs afin d’éviter le rejet de cet organe, mais ces médicaments rendent aussi les patients plus vulnérables aux infections. Tous les vaccins non-vivants sont d'ailleurs hautement recommandés et remboursés chez les patients transplantés et leur famille, avant et après l’intervention. » Ainsi, la vaccination annuelle contre la grippe est-elle vivement conseillée. « Ce vaccin, comme ceux contre les hépatites ou la COVID et les comportements liés au mode de vie des candidats à la greffe (arrêt de l’alcool ou du tabac, compliance thérapeutique) doivent offrir les meilleures chances de succès de l’opération et optimiser la survie du patient après la greffe. »

Protéger le patient

05 (1000x500)« Les patients en dialyse, ce qui est le cas de la majorité des patients en attente d’une greffe de rein, présentent un taux de réponse vaccinale de 85 à 95 %. Lorsque la vaccination est réalisée après la greffe de rein, donc sous traitement antirejet, le taux chute à 27-45 %. De plus l’expérience acquise lors des premières vagues (alors que le vaccin n’était pas encore disponible), nous a appris que les patients greffés risquent davantage de présenter des formes sévères de la COVID. Le taux de mortalité en cas d’infection était de l’ordre de 20 % ! Pratiquement dix fois le taux de mortalité pour la population non greffée », complète Laurent Weekers. « À l’heure actuelle, la COVID est partout, y compris à l’hôpital. Prenez les soins intensifs : on y soigne bon nombre de patients porteurs du coronavirus, mais également les patients greffés…  En tant que médecin, notre rôle est d’abord de protéger nos patients. Il faut susciter, et maintenir, le dialogue pour leur permettre de poser un choix éclairé. »

Pendant ce temps, sur le terrain …

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La toute grande majorité des patients se sont fait volontairement et rapidement vacciner

Laurent Weekers

Laurent Weekers rappelle que, dans le cas particulier des patients en attente d’une greffe de rein, quel que soit leur état vaccinal, il est normal d’attendre quelques mois avant la greffe : « Pour ceux non immunisés contre le coronavirus, le risque vital lié à une transplantation en pleine vague d’Omicron est mis en balance avec le risque - plus faible - de mourir en attendant la greffe », souligne-t-il. « Il est donc logique de repousser l’intervention à une période plus propice à leur rétablissement. La plupart d’entre eux l’ont bien compris, et le refus de vaccination est actuellement très rare chez les patients en attente de transplantation : moins de 10 %, sur notre liste d’attente ! La toute grande majorité des patients se sont fait volontairement et rapidement vacciner. Ce débat, finalement, est très éloigné de la réalité de terrain ! »

Droits et devoirs du patient

Laurent Weekers aborde cependant la question des « ressources limitées ». Voici une notion à laquelle on n’est guère habitué en Belgique, et pourtant : « Les AVC sont de mieux en mieux pris en charge et la mortalité routière diminue, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, mais cela signifie un nombre moindre d’organes disponibles. Même si le choix du patient ne dépend pas de nous, mais d’Eurotransplant [voir encart NDLR], il s’agit avant tout d’optimiser la réponse globale, en mettant toutes les chances du côté du patient receveur. »

07 (1000x500)« L’aspect particulier de la transplantation, par rapport à d’autres gestes thérapeutiques, est que les organes sont rares. Si on a créé Eurotransplant, c’est justement pour donner un maximum de chances de compatibilité entre organes et receveurs, pour garantir qu’il n’y aura pas de rejet », insiste Maurice Lamy. « Mais un patient compatible, non-vacciné, présente plus de risques de mourir après la greffe qu’un patient vacciné. Et sa mort entraîne la perte d’un organe qui aurait pu être utile à un patient mieux armé contre le COVID. »

« On parle beaucoup des droits des patients, un peu moins des devoirs », reprend Laurent Weekers. « Or recevoir un organe est le résultat d’une logistique et d’une opération complexes : c’est l’aboutissement de ce qu’on peut faire de mieux pour aider son prochain. Cet acte, dans son ensemble, mérite qu’on le respecte. Le refus d’un vaccin ressemble, à mes yeux, au non-respect du donneur, et de l’ensemble de cette intervention, mise en place pour changer une vie. Nous n’enlevons pas à nos patients la liberté de choisir, mais chaque choix entraîne des conséquences. »

Cas particuliers

« Dans le cas d’une maladie aiguë du foie, par exemple, la transplantation est d’une importance vitale, quel que soit le statut vaccinal. Dans ce cas, nous prenons évidemment en charge les patients victimes de cette maladie, en espérant très fort pour eux qu’ils soient déjà vaccinés », rappelle quant à lui Olivier Detry. « Là aussi, notre devoir est de protéger, de travailler pour le bénéfice maximal du patient, au cas par cas. Le statut vaccinal est devenu un paramètre pronostique comme beaucoup d'autres. »
08 (1000x500)Le Conseil National de Transplantation tient le même discours : « Avoir une immunité contre le SARS-COV2 est actuellement une condition pour être transplanté dans un contexte électif. Tant que cette condition n’est pas remplie, le patient est considéré comme temporairement non transplantable. (…) Cette condition (la vaccination ou l’immunité préalable à la greffe) n’est pas à prendre en compte si le receveur a moins de 18 ans ou si la greffe survient dans un contexte d’urgence vitale », peut-on lire dans son rapport du 1er février dernier. « Les patients pédiatriques sous immunosuppression, que ce soit après greffe d’organe ou pour une autre maladie, n’ont pas démontré d’infections sévères et/ou de complications comme celles rapportées chez les adultes. Si la vaccination reste recommandée dans cette population, elle n’est pas une condition à la transplantation. Enfin, si une transplantation est nécessaire en urgence, la sauvegarde de la vie prime et la nécessité d’une immunisation n’est pas prise en compte. » Le Comité d’Éthique hospitalo-facultaire universitaire de Liège, présidé par le Professeur Vincent Seutin, aboutit aux mêmes conclusions.

Quelles alternatives ?

09 (1000x500)L’efficacité des anticorps monoclonaux comme alternative à la vaccination en cas d’infection a montré de bons résultats, mais leur disponibilité à moyen terme reste incertaine, et leur coût est élevé. « Cette alternative est actuellement l’exception, plutôt que la règle. Le Sotrovimab offre en effet la même réponse immunitaire chez les personnes transplantées que chez les patients lambda, mais leur période d’opportunité est très courte. Pour cette raison, chaque patient transplanté dont le contact avec le virus est avéré doit être immédiatement adressé à l’équipe qui assure son suivi. »

Message aux médecins traitants

Lorsque la greffe peut être différée, en particulier lorsqu’il s’agit d’une greffe rénale chez un receveur immunodéprimé, non vacciné, le risque de décès dépasse le bénéfice de la transplantation. Le Comité d’Éthique et le Conseil National de Transplantation recommandent d’en repousser la date après le pic épidémique.
59 05- message medecinsLorsque la réalisation de la greffe est urgente, que son report constituerait un risque pour le receveur, notamment parce qu’elle concerne un organe vital (cœur, foie, poumon…) ou qu’un donneur rare a été identifié, il est recommandé de poursuivre le programme de prélèvement et transplantation.