Depuis quelques années déjà, les pédiatres et médecins traitants, également (et justement) nommés « de famille », ont à revenir régulièrement sur le sujet vaccination. 

« Davantage encore en cette période Covid, notre rôle de médecins n’est pas politique : nous devons pouvoir nous recentrer sur les faits que nous connaissons, qui peuvent être scientifiquement prouvés, et faire fi de notre avis personnel pour faire part à nos patients, petits ou grands, de ce que nous savons sur le Covid, sur Omicron, et sur la vaccination », estime le Docteur Julie Frère, pédiatre infectiologue. « Garder le regard du scientifique, pouvoir expliquer les mesures par rapport aux connaissances acquises au fur et à mesure de cette crise, rappeler qu’il est normal qu’elles changent, puisque l’état de nos connaissances, comme le virus, évolue constamment. La littérature sur le sujet foisonne et diverge. Elle est plus ou moins basée sur des faits, selon les sources : à nous de relayer les connaissances qui ont une valeur scientifique, de nous en servir pour répondre aux questions des parents et, potentiellement, les aider à mieux savoir quoi faire. »

Qui êtes-vous, Julie Frère ?

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Parce que les enfants sont directs, spontanés. Ils disent ce qu’ils ont à dire

Julie Frère, pédiatre

 

Elle a choisi la médecine pour la pédiatrie. « Parce que les enfants sont directs, spontanés. Ils disent ce qu’ils ont à dire. Ils sont généralement drôles et de bonne composition. Même quand ils sont malades, ils gardent ce côté stimulant. » Un sentiment accentué par ses 3 années de formation à Montréal, entre 2009 et 2012. « Cette expérience m’a laissé des souvenirs aussi riches sur le plan professionnel que d’un point de vue personnel, et l’idée que je pourrais refaire ma valise assez facilement », sourit-elle.

Si Julie FRERE est également infectiologue, c’est parce qu’elle considère chaque microbe comme un défi (« Chaque décision que vous prenez a un impact sur ces organismes vivants, qui peuvent parfois aussi « riposter », s’adapter à un traitement, ou devenir plus résistants »). Elle trouve, dans son rôle auprès du Conseil Supérieur de la Santé notamment, un aspect scientifique qui contrebalance, au quotidien, son activité clinique.

La protection individuelle

D’un point de vue individuel, rappelle le Docteur Frère, « le bénéfice pour un enfant de 5-11 ans en bonne santé est peu important, car la grande majorité d’entre eux développent une forme bénigne du Covid. Il est exceptionnel que des enfants soient hospitalisés pour cette raison, à l’exception des jeunes nourrissons, parce qu’ils ont de la fièvre, qu’ils se défendent moins bien contre les infections, et qu’il est d’usage de leur accorder une surveillance générale ».

02 ENEWS (1)Dans certains cas pourtant, un enfant sur 3 à 4000, selon les sources, développera un PIMS-TS. Cette complication inflammatoire survient 4 à 6 semaines après l’infection au SARS-CoV-2. Le patient présente, généralement, de la fièvre depuis plus de 3 jours d’affilée. Pâle et très fatigué, il peut présenter une éruption cutanée, une conjonctivite et de gros ganglions au cou et/ou des douleurs dans l’abdomen, de la diarrhée… Un PIMS-TS aboutit à une hospitalisation dans la grande majorité des cas. « Les trois quarts de ces enfants malades seront dirigés vers les soins intensifs, en raison d’une atteinte cardiaque, digestive et/ou de l’altération de leur état général. La très grande majorité évoluent favorablement », précise Julie Frère. « À l’heure actuelle, nous disposons de données françaises et américaines, chez les adolescents, qui montrent l’effet bénéfique du vaccin pour prévenir les PIMS-TS. Selon les américains, il aurait une efficacité de 91% contre les PIMS-TS. »

Ces données, cependant, datent de l’ère Delta : « À l’heure actuelle, nous n’en avons pas d’autres. On constate donc, simplement, un petit bénéfice individuel : une protection contre des complications rares. »

Du rôle sociétal de la vaccination

03 ENEWS« L’impact sur la transmission est difficile à chiffrer, surtout dans l’ère Omicron. Les informations actuellement disponibles montrent que, au sein d’une même famille, un enfant vacciné risque moins de transmettre la maladie. C’est important s’il vit avec une personne immunosupprimée, ou à risque. De même, dans sa classe, il peut fréquenter d’autres enfants qui risquent de développer une infection sévère, notamment, parce qu’ils ont subi une greffe du cœur, de rein ou de la moelle, ou qu’ils ont suivi une chimiothérapie, par exemple. Dans ces cas-là, le bénéfice pour l’entourage est plus net », souligne le Docteur Frère.

Les risques

« L’étude réalisée avant la mise sur le marché du vaccin pédiatrique concerne 2500 enfants. Les auteurs ont parfois constatés une rougeur locale, une légère induration, comme c’est souvent le cas lors d’une vaccination, voire de la fièvre, des maux de tête ou des nausées. Ces manifestations évoluent, spontanément, de manière favorable », rappelle-t-elle.

04 ENEWSD’autres pays, comme les États-Unis par exemple, ont mené de grandes campagnes de vaccination chez les enfants. « La population des États-Unis ne présente pas nécessairement les mêmes facteurs de risque que la nôtre. Cependant, début janvier, on en était à 8,6 millions de doses distribuées chez les 5-11 ans : certains enfants avaient reçu 2 doses et d’autres, une seule. On a constaté environ 4500 déclarations d’effets indésirables, pas forcément sévères : des erreurs d’admission, de la fièvre… 12 d’entre eux ont développé une myocardite, sans qu’elle puisse avec certitude être désignée comme une conséquence du vaccin. Enfin, les États-Unis ont également déploré 2 décès, sur 8,6 millions de doses attribuées. Les enfants étaient polyhandicapés : dans leur cas non plus, cette association temporelle n’est pas nécessairement « de cause à effet » : l’analyse est encore en cours. »

L’angoisse

Parce que les contacts sociaux sont compliqués par nombre de mesures, lesquelles changent sans cesse pour anticiper ou réagir à la situation épidémiologique, que les messages des experts sont souvent différents, et parfois contradictoires, les pédiatres et médecins traitants reçoivent de nombreux patients anxieux et désemparés. « Le message général à faire passer aux enfants est de l’ordre de Tu as fait un effort conséquent, bravo ! La situation va changer », résume Julie Frère. « Le discours, ensuite, s’adapte au cas par cas, et en fonction de la connaissance qu’on a de la famille et des difficultés qu’elle rencontre. »

05 ENEWS« La situation est potentiellement difficile pour tous, et beaucoup plus pour certains. Tout dépend de comment ils vivent l’histoire, et de comment on la leur raconte. J’ai vu des enfants persuadés qu’ils étaient une menace pour leurs grands-parents », et d’autres dont les parents décriaient le port du masque à l’école. Dans les deux cas, les enfants se sentaient en porte-à-faux. Il faut pouvoir leur dire les faits tels qu’on les connaît : on a introduit une mesure (les masques) à l’école. Les enfants n’étaient pas concernés jusque-là, mais on vit une crise passagère : Omicron augmente fortement dans cette population pas encore vaccinée, ou immunisée. La mesure peut donc être rationnelle, pour un temps court : l’avis des scientifiques est que les enfants puissent enlever le masque dès que la situation sera favorable. Mais les décisions politiques ne s’appuient pas toujours sur une base scientifique. C’est pour cela qu’elles sont difficiles, ou incompréhensibles pour les gens. Il s’agit donc de rapporter ce qu’il se passe à l’école à un point de vue scientifique, en expliquant pourquoi c’est arrivé. Ponctuellement, on temporise le discours des parents, dans un sens ou dans l’autre. Notre rôle n’est pas politique : il faut pouvoir se rencontrer sur les faits que l’on connaît et que l’on peut scientifiquement prouver pour expliquer les mesures en place, pour cerner le stress, les angoisse et l’incompréhension. »

Message aux médecins traitants

07 ENEWSLe Docteur Frère rejoint la position du Conseil Supérieur de la Santé quant à la vaccination des plus jeunes. « Le bénéfice individuel peut exister, dans la mesure où le vaccin offre une protection contre des complications. Il est beaucoup plus clair quand l’enfant concerné vit avec une personne à risques, ou présente lui-même certains facteurs de risque. Si je suis inquiète ? Non, je ne dispose pas d’éléments qui me poussent à l’être, ou à dire qu’il ne faut pas vacciner. En tant que médecin, nous pouvons discuter au cas par cas, en fonction de chacun de nos patients. Le choix doit être posé après une discussion éclairée. »

Quant à l’administration d’une troisième dose aux 12-18 ans, à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’EMA n’a pas encore statué.