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  le 28 avril 2016

Il y a 30 ans, Tchernobyl !

EDITO 10 - Il y a 30 ans, Tchernobyl ! 
 
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Il y a 30 ans, Tchernobyl !

Tchernobyl, c’était il y a 30 ans, le 26 avril 1986. Et, depuis lors, les discussions se multiplient à propos du bilan humain de la catastrophe. Il y a une sorte de bilan "officiel" réalisé en 2005 par l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique) et mis à jour par l’UNSCEAR (Comité scientifique des nations Unies sur les effets des rayonnements atomiques). L’accident nucléaire aurait provoqué une petite cinquantaine de décès directs et  plus de 6.000 cancers de la thyroïde chez l’enfant et l’adolescent. Pour ceux qui contestent ces conclusions, les habitants des régions voisines présentent un excès de différentes maladies par rapport à la population "standard", non irradiée. Seuls ces cancers thyroïdiens, clairement provoqués par l’iode radioactif, et  les leucémies chez les « liquidateurs » (toutes les personnes, civiles et militaires, qui sont intervenues sur site après l’accident nucléaire malgré les très hauts niveaux de radiations), sont incontestables. Le doute peut être jeté sur tout autre diagnostic. En ce qui concerne notre pays, « par similarité avec les résultats des études menées en France où le niveau de contamination a été comparable, on admet généralement qu'il n'y a pas eu d'augmentation sensible des cancers thyroïdiens. Toutefois, le Pr Luc Michel de l'UCL a observé dans sa série personnelle un doublement des cancers thyroidiens surtout chez les jeunes. Au stade actuel, on ne peut donc pas exclure une augmentation des cancers thyroïdiens mais si elle existe, elle n'est en rien comparable à ce qui s'est passé en Ukraine » explique le Pr. Albert Beckers, chef du Service d'Endocrinologie au CHU de Liège.

Le service d'endocrinologie du CHU de Liège

Ils sont trois à nous entretenir de la thyroïde : le Pr. Albert Beckers, les Drs Patrick Petrossians et Iulia Potorac

spécialistes thyroide web

► Docteur en médecine (UCL, 1980), Albert Beckers mène de front une thèse en sciences cliniques et une spécialisation en médecine interne (ULg, 1985) puis en médecine nucléaire (ULg, 1987) tout en s’orientant vers l’endocrinologie. A la thèse de doctorat sur les pathologies de l’hypophyse, il ajoute une thèse d’agrégation sur le même thème, en approfondissant la génétique et les pathologies familiales. Il est le spécialiste mondial reconnu du gigantisme.
> Les publications scientifiques du Pr Albert Beckers 

► Patrick Petrossians est un Arménien, né en Iran de parents ingénieurs agronomes. Il fait ses études de médecine à l’ULg (1991), spécialisé en endocrinologie (1996) avec une formation d’un an à l’hôpital Kremlin-Bicêtre à Paris, dans le service du Pr. Philippe Chanson. Il est le président de la Société Belge d’Endocrinologie et travaille à sa thèse de doctorat sur le « Datamining en endocrinologie ». Agé de 50 ans, le Dr Petrossians habite à Liège et se passionne aussi pour les sports de combat.
Les publications scientifiques du Dr. Patrick Petrossians

► Iulia Potorac, 30 ans, est médecin diplômé de l’Université « Grigore T. Popa » de Iasi, en Roumanie (2010), du nom d’un endocrinologue (1892-1948) qui s’engagea pour la démocratie roumaine. Elle arriva à Liège en 2012, pour terminer sa spécialisation  en endocrinologie  (2014). Elle réalise actuellement une thèse de doctorat à l’ULg. Mariée à un urologue, elle veut faire sa vie en Belgique.
> Les publications scientifiques du Dr. Iulia Potorac

Tchernobyl, 26 avril 1986. Que sait-on de plus aujourd’hui ?

►  A consulter : " Tchernobyl, vidéo nuage "

Tchernobil 26 avril 86 web

Dès après la catastrophe, on a craint un développement massif du cancer thyroïdien. Il a eu lieu. Le nombre de cancers de la thyroïde a été multiplié par 100 dans la zone proche de l’accident, chez les enfants de moins de 14 ans mais surtout chez les enfants de moins de 5 ans, ainsi que ceux qui étaient « in utero » au moment de la catastrophe. Les enfants ont été les plus touchés : leur petite thyroïde, en pleine croissance, capte bien l’iode. Ces cancers étaient provoqués par des doses d’iodes 131, 132, 133 en quantité importante. Les enfants dans la zone plus exposée n’ont pas reçu de thérapeutique préventive par de l’iode stable.  Par contre, en Pologne, la population a reçu une dose préventive d'iode et le nombre de cancers est resté stable. En Ukraine, Bielorussie et la partie ouest de la Russie où, en plus, la population était en carence iodée, le cancer a trouvé le terrain favorable pour se développer. Le cancer constaté était de type papillaire, assez agressif, mais avec une bonne réponse au traitement. Son pronostic est plutôt bon. Certaines victimes ont été soignées à Liège grâce à l’association « Les enfants de Tchernobyl ».

Lits hôpital

Une augmentation du nombre de cancers de la thyroïde liés à l’accident de Tchernobyl ne fait pas l'unanimité en Belgique mais une augmentation modérée ne peut pas être exclue. En France, Ecosse, Italie, Finlande, il ne semble pas y avoir eu d'augmentation attribuable à l’accident. Une augmentation du nombre de cas avait été enregistrée dès les années 60-70 quand furent réalisés de manière systématique des examens plus précis sur la thyroïde.

La thyroïde, un papillon à la base du cou…

La thyroïde est une glande située à la base du cou. Elle pèse environ 30 grammes. Elle a la forme d'un papillon avec deux lobes. Son rôle est réputé extrêmement important. La thyroïde a un impact sur l’humeur, la croissance, le développement du cerveau,  le poids et même sur la vie sexuelle. La thyroïde est formée d'amas de cellules organisées en follicules. Les cellules absorbent l'iode et l’utilisent pour synthétiser les hormones thyroïdiennes, qui sont stockées au centre du follicule, puis libérées dans la circulation sanguine. Le bon fonctionnement de la glande est géré par l’hypophyse.

Thyroide

L’hyperthyroïdie primaire (diagnostiquée par une TSH basse et une T4 et/ou T3 élevées) est une activité trop importante de la glande; l’hypothyroïdie primaire (TSH élevée et hormones thyroïdiennes basses) est due à une déficience de la glande.  Les problèmes thyroïdiens peuvent être liés soit à la glande thyroïde (primaire), soit, plus rarement, à l’hypophyse ou à l’hypothalamus (secondaire).

L’hyperthyroïdie s’accompagne d’un rythme cardiaque accéléré,  des problèmes digestifs, des tremblements, des hypersudations, des troubles de l’humeur et de l’irritation. Le traitement est d’abord symptomatique et médicamenteux avec des médicaments interférant avec la synthèse des hormones thyroïdiennes. On peut aussi utiliser l’iode 131 qui détruit les cellules thyroïdiennes. On peut enfin recourir à l’ablation chirurgicale de la glande entière ou d’une partie de celle-ci.

L’hypothyroïdie est caractérisée par des symptômes inverses : tout fonctionne au ralenti,  tant physiquement qu’intellectuellement : la vitesse de réaction est amoindrie et le patient a des troubles de la mémoire. Le traitement est médicamenteux. C’est la Thyroxine (T4) que produit normalement la thyroïde et qui doit être administrée à une dose adéquate. Ce traitement doit souvent être poursuivi toute la vie. L’hypothyroïdie due à une carence iodée importante était une pathologie fréquente, surtout en altitude. Elle est à l’origine d’une insulte chère au Capitaine Haddock et à Hergé : « crétin des alpes ».

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Le crétinisme résulte en effet d'un déficit en hormones thyroïdiennes.

Macronodule thyroïdien situé à la base du lobe droit vu en échographie web

Echographie d'un macronodule thyroïdien situé à la base du lobe droit.

La « Clinique de la thyroïde », en « one-day »

Le CHU de Liège a mis en place une « clinique de la thyroïde ». En une demi-journée, le patient bénéficie de toute l’exploration nécessaire. Il est vu en consultation, il réalise la prise de sang, il passe une scintigraphie (sauf contre-indication), une échographie avec éventuellement une élastographie et une cytoponction*.  Les examens (aspect échographique, scintigraphique, vascularisation,…) permettent d'estimer l’activité thyroïdienne et de déterminer les risques de cancer (nodules froids ou chauds, régularité, présence de microcalcifications, élasticité,….). Le contrôle des parathyroïdes est effectué dans le même élan. Les parathyroïdes sont des glandes endocrines dépourvues de commande hypophysaire. Ce sont les variations du taux de calcium sanguin qui règlent leur sécrétion.

 Consultation thyroïde web
Plus de 4.000 patients sont suivis chaque année dans cette clinique au CHU de Liège (au Sart Tilman et aux Bruyères).

L’élastographie est un examen particulier. La sonde de l’échographe compresse la thyroïde et l’endocrinologue voit comment elle réagit au niveau de son élasticité: si le nodule est « élastique », il est probablement bénin ;  à l’inverse, si le nodule est plus dur, il est suspect. En cas de suspicion, l’on effectue une cytoponction échoguidée (examen peu douloureux). L’échantillon est directement envoyé à l’analyse au CHU chez le Pr. Delvenne.

*Voir le film " cytoponction échoguidée à l'aiguille fine "

Les messages aux médecins généralistes ?

  1. Les répercussions de l’accident de Tchernobyl sur la thyroïde sont relativement mineures en Belgique. Les études menées en France, où les niveaux d’exposition ont été semblables, sont négatives.
  2. Lors de l'évaluation de la fonction thyroïdienne, la mesure des deux hormones TSH/T4, est remboursée. Pour bien comprendre le fonctionnement de la thyroïde, il faut avoir recours à l’imagerie.
  3. Le Service d’Endocrinologie du CHU a mis en place un cours d’échographie de la thyroïde, unique en Belgique. Il s’agit d’un cours de 100 heures sanctionné d’un certificat universitaire d’échographie.
  4. La pathologie thyroïdienne est très fréquente, particulièrement chez la femme à partir de la ménopause. Elle touche plus de 10 % de la population. Et le risque augmente en fonction des grossesses.
  5. Il y a donc lieu de surveiller la thyroïde pendant la grossesse. Il est important d’effectuer une prise de sang en début de grossesse. Si une anomalie est constatée, l’examen doit être répété. En cas de substitution préalable, on constate fréquemment,  pendant la grossesse, une augmentation des besoins en Thyroxine. 

Un livre : « Echographie de la Thyroïde »

Ecographie de la Thyroïde Livre

En thyroïdologie, l’examen d’imagerie de choix est l’échographie ; pendant longtemps, cette technique n’a été utilisée que pour mesurer des dimensions (taille du goitre, taille des nodules). Mais limiter l’échographie thyroïdienne à une simple technique de mesure est réducteur. En effet, des informations fonctionnelles peuvent également être extraites des images ultrasonographiques.  Le livre de Patrick Petrossians, Sandrine Petignot, Arnaud Benoit et Albert Beckers, sorti voici un an, reprend une centaine d’images, représentant visuellement autant de cas rencontrés. Il est en vente sur Amazon mais nous en avons 1000 exemplaires. Si vous êtes intéressé, envoyez vos coordonnées à endocrinologie@chu.ulg.ac.be.