Maladie de Lyme: la clinique prime sur la sérologie

Ixodes & Borrelia, une collaboration machiavélique à l’origine d’une maladie infectieuse bactérienne qui cause 200 à 300 hospitalisations par an en Belgique (Sciensano). La borréliose de Lyme n’est pas en augmentation chez nous (10 érythèmes migrants/10.000 habitants), mais elle est bel et bien présente dès les premières chaleurs, touchant plus particulièrement certaines populations davantage exposées parce qu’en contact régulier avec la nature (métiers forestiers, mouvements de jeunesse, randonneurs, VTTistes).

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La transmission de Borrelia burgdorferi à l’humain se fait après morsure d’une tique Ixodes ricinus infectée, lors de son repas sanguin. Une fois sur deux, la notion de morsure est toutefois absente lors de l’anamnèse du patient. La durée d’incubation varie de quelques jours à plusieurs mois, voire des années. L’infection est souvent asymptomatique. Quand il y a symptômes, ceux-ci varient en fonction du stade de l’infection. Lors de la phase précoce de l’infection (stade I), la manifestation clinique la plus couramment rencontrée sous nos latitudes est l’érythème chronique migrant (ECM). Il apparaît entre 3 et 30 jours après la morsure et disparaît spontanément en trois à quatre semaines. Chez l’enfant, l’ECM est moins souvent présent (dans un quart des cas seulement), contrairement aux formes neurologiques, comme la méningite lymphocytaire et la paralysie faciale, et les atteintes cardiaques. Après une phase de latence asymptomatique, l’infection non traitée peut disséminer pour évoluer vers le stade II dans les mois suivant la contamination, dissémination qui peut donner lieu entre autres à des ECM multiples, des atteintes neurologiques (neuroborréliose), ou encore articulaires. Le stade tardif ou stade III, parfois dix ans plus tard, est très rare. Il peut notamment se manifester par des formes cutanée, neurologique ou articulaire.

 

Qui êtes-vous, Docteur Pascale Huynen ?

Diplômée médecin de l’ULiège (2006), le docteur Pascale Huynen poursuit son cursus universitaire liégeois avec une spécialisation en Biologie clinique (2011) au CHU de Liège. En troisième année d’assistanat, elle est appelée à reprendre la supervision du Laboratoire de Sérologie Infectieuse et de Virologie Clinique du service de Microbiologie Clinique, élargie par la suite au Laboratoire de référence SIDA-sérologie. Elle est Chef de clinique dans le service de Microbiologie Clinique du professeur Pierrette Melin. Férue de virologie, elle a consacré sa thèse de doctorat en Sciences Biomédicales et Pharmaceutiques aux norovirus, sous la supervision du professeur Etienne Thiry, chef du service de Virologie Vétérinaire de l’ULiège, avec lequel elle poursuit ses travaux au travers des projets de recherche sur les NoV financés par le SPF Santé publique, et du Pr. Melin. Dispensant des cours à l’ULiège et pour l’ESCMID (European Society for Clinical Microbiology and Infectious Diseases), Pascale Huynen, 42 ans, participe régulièrement à des conférences nationales et internationales. L’an dernier, elle a co-organisé le congrès international sur le CMV congénital, « ECCI Meeting 2018 », à Bruxelles.

50 - 02 - Pascal Huynen détourée 

« J’apprécie beaucoup le travail en équipe et les collaborations transversales en Belgique et à l’étranger. J’aime aussi m’investir dans les avis et réunions de cas cliniques, et collaborer avec les cliniciens. »

Liégeoise, elle habite à Dolembreux et est la maman de Florian, dix ans. Passionnée d’équitation, elle a longtemps pratiqué le dressage et le jumping… entre deux leçons de piano, instrument qu’elle a découvert dès l’âge de 5 ans. Aujourd’hui, pour se ressourcer, elle privilégie plutôt l’aquagym et elle répond régulièrement à l’appel de la forêt, pour de grandes balades mais aussi pour faire la cueillette des champignons des bois, un domaine qu’elle maîtrise de main de maître, autant pour les débusquer que pour ensuite les cuisiner. Elle partage volontiers son savoir champignonesque, mais à une condition : « partager la corvée du brossage de la récolte ! »

 

 

Quand les « blots » sèment le doute

« Le diagnostic de la borréliose de Lyme est avant tout clinique », rappelle le Dr. Pascale Huynen, « l’idéal étant d’avoir la triade: les symptômes évocateurs + une sérologie positive + la notion de morsure de tique. A l’anamnèse, cette dernière manque cependant dans 50% des cas… Soit parce que le patient ne se souvient pas d’avoir été mordu, soit parce qu’il n’a pas vu la tique… qui se loge dans des endroits qu’elle apprécie, auxquels on ne pense pas ou que l’on voit difficilement soi-même (aisselles, creux du genou, derrière l’oreille, bas du dos, …). Et elle tombe toute seule une fois gavée. »

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La clinique est également la priorité en matière de traitement : « On ne traite pas des anticorps que l’on met en évidence dans un sérum: on traite un patient dans un contexte », poursuit notre spécialiste. « Autrement dit, on traite des manifestations cliniques, pas des sérologies. » En effet, si on dose les anticorps de personnes qui vivent dans des régions où elles sont systématiquement exposées, la séroprévalence peut grimper jusqu’à 30%. « Sur cent personnes prises au hasard, sans symptômes, entre 5 et 30 vont présenter des anticorps sans être malades », précise le Dr. Huynen. Le diagnostic de la maladie de Lyme se fait par le dosage sanguin des anticorps IgM et IgG (et des IgG dans le LCR, en plus du dosage dans le sang, en cas d’atteinte neurologique). Les IgM apparaissent après deux à quatre semaines, les IgG au-delà de six semaines. « En début d’infection, les anticorps peuvent donc être non détectables et la sérologie négative, même avec un érythème migrant flagrant. Dans ce cas, il faut traiter le patient, le diagnostic est sous les yeux. Mais en traitant, on va décapiter la réponse immunitaire. Il ne faudra donc pas s’étonner de ne pas avoir d’IgM dans le dosage si l’on en demande un au stade précoce de l’infection ou de ne pas voir apparaître d’IgG. Et si l’on traite en phase plus tardive, on ne demande pas de sérologie de contrôle puisque l’on sait que les anticorps peuvent rester présents pendant des années. »

« Les tests sérologiques actuels détectent les anticorps dirigés contre toutes les espèces de Borrelia en circulation au niveau mondial. Ils sont bien sensibles, mais il peut y avoir des faux positifs, surtout pour les IgM, raison pour laquelle on effectue un test de confirmation.  Par contre, il n’existe pas de faux négatifs », poursuit Pascale Huynen.

Le test de confirmation en cas de sérologie positive ou douteuse se fait par une méthode d’immunoblot plus couramment appelée « Western blot » ou « line » (remboursé 1 fois par an après une sérologie positive). « Attention, un résultat d’immunoblot positif ne signifie pas que l’infection est active : il signale que des anticorps sont là, qu’ils sont spécifiques à Borrelia, mais pas nécessairement que la personne est malade. Il ne faut pas confondre immunoblot positif et infection active. L’interprétation des tests diagnostiques de laboratoire nécessite de comprendre leurs indications et leurs limites. Et elle doit être faite à la lumière de la clinique. Ce qui exige une collaboration entre le microbiologiste et le clinicien. Le laboratoire doit disposer d’une expertise pour pouvoir faire un commentaire en cas de sérologie positive et ainsi guider la première ligne. » Faute d’interprétation correcte des résultats, le risque de surprescription d’antibiotiques est grand, et de sur-traitement, avec un coût non négligeable pour la société.

 

Battre en brèche les idées fausses

La maladie de Lyme fait l’objet de pas mal d’idées fausses, notamment via le web, qu’il faut combattre. Il en va ainsi du « syndrome post-Lyme »: « Des patients traités correctement après une infection avérée mais qui présentent des symptômes chroniques sont parfois sous traitements antibiotiques à répétition », explique Pascale Huynen. « Or, aucune résistance n’est connue jusqu’à présent. Donc, il faut chercher une autre origine aux plaintes. Il ne faut pas tout mettre sur le dos de Lyme et retraiter inutilement, cela n’a pas de sens. On risque de créer une résistance aux antibiotiques, d’induire des effets secondaires chez le patient… et on risque aussi de passer à côté d’une autre pathologie. »

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« Si l’on regarde la liste des symptômes liés à la borréliose, ils sont tellement polymorphes et multi-organiques, que tout le monde pourrait être concerné. Les anticorps IgG peuvent rester en circulation dix à vingt ans, mais ils n’offrent pas de protection : on peut donc être réinfecté par une autre tique. A nouveau, le dernier mot revient à la clinique et aux manifestations avérées de la pathologie. Traiter les infections précoces permet de réduire l’incidence d’infections tardives. Par contre, s’il n’y a pas d’anticorps en présence de symptômes évocateurs d’un stade plus tardif il y a lieu d’investiguer une étiologie autre. Pour prendre un exemple concret, au stade d’atteintes articulaires les IgG anti-Borrelia sont toujours présents. Il n’y a ainsi pas lieu pas d’incriminer des plaintes articulaires chez un patient présentant une sérologie Borrelia négative à une arthrite de Lyme ! Il en va de même pour les plaintes vagues telles que la fatigue par exemple. Le risque est d’en faire une pathologie fourre-tout, voire de dire que ‘les résultats des tests ne sont pas corrects’… »

Le taux d’anticorps n’est pas proportionnel à l’agressivité de l’infection : « On peut avoir des atteintes neurologiques avec des taux d’IgG à 400 comme à 2000 U/mL. La réaction immunitaire est propre à chaque individu. En phase précoce de l’infection, une paralysie faciale, uni- ou bilatérale, est hautement suggestive. Elle est spontanément résolutive, certains symptômes pouvant toutefois persister mais il faut la traiter afin d’éviter des stades secondaire (dissémination) et tertiaire (comme l’acrodermatite atrophiante, heureusement de plus en plus rare). »

Enfin, dernier cliché : la façon d’ôter la tique. « Il faut l’enlever avec une pince, et non avec du chloroforme ou un autre produit pour l’anesthésier car elle risque de relarguer en réaction et donc d’infecter. Une désinfection simple de la zone de morsure suffit ensuite. »

 

Prévention et traitement

Plus la tique reste attachée longtemps à la peau, plus le risque de transmission de la bactérie augmente : les bactéries de l’intestin de la tique passent vers ses glandes salivaires (sauf l’espèce Borrelia afzelii directement présente dans la salive), ce qui prend entre un et trois jours. A priori, le risque serait donc faible si la tique a été repérée et ôtée dans les 12 à 24 heures. Il faut donc s’auto-inspecter - et s’inspecter les uns les autres pour les zones difficilement visibles - le jour même de l’exposition au risque, dès le retour de balade ou du jardin. La meilleure prévention reste les vêtements couvrants, protecteurs, le pantalon dans les chaussettes et des chaussures couvrantes.

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Le traitement de choix de première ligne de la borréliose passe par la doxycycline, à raison de 100mg deux fois par jour pendant dix jours ou plus selon le stade de l’infection et l’atteinte clinique. Attention, elle est photosensibilisante (et c’est souvent l’été que l’on doit intervenir…). En deuxième choix (femme enceinte, enfant de moins de 8 ans), on traite classiquement à l’amoxicilline (3x500mg/jour pendant quatorze jours). D’autres alternatives antibiotiques sont envisagées en fonction du stade et de la présentation clinique, comme la ceftriaxone lors d’atteintes neurologiques.

 

Message aux médecins traitants

Sans commentaire précis des résultats sérologiques par le biologiste et/ou microbiologiste du laboratoire, il n’est pas toujours simple de s’y retrouver entre une infection suspectée ou avérée, active ou ancienne… Le médecin traitant ne doit pas hésiter à demander un avis, à remonter vers le laboratoire. Et mieux vaut préférer les laboratoires dont l’expertise est reconnue en termes d’interprétation des résultats (par ailleurs tous les réactifs ne sont pas équivalents entre différentes marques, ce problème n’est toutefois pas présent en région liégeoise). Des maladies ou infections comme une syphilis, un lupus, un EBV, une leptospirose, une toxoplasmose, une parvovirose ou des syndromes auto-immuns peuvent donner des résultats d’IgM faussement positifs.

50 - 06 - Médecins généralistes 

« Personnellement, je contacte toujours le médecin traitant quand des tests qu’ils ont demandés s’avèrent positifs, pour les cas compliqués ou quand une confusion est possible, et quand il s’agit d’enfants », souligne Pascale Huynen.

Enfin, un avis spécifique peut s’avérer utile en cas d’atteinte secondaire, par exemple auprès d’un confrère rhumatologue devant des plaintes articulaires, ou neurologue face à une neuroborréliose.