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  Jeudi 14 octobre 2021 


Comment annoncer la mauvaise nouvelle au patient ?

Le CHU de Liège lance une formation pour les soignants en oncologie, en collaboration avec l’ULiège

CDJ Ban-annonce-mauvaise-nouvelleLa maladie progresse, les traitements curatifs s’avèrent inefficaces, la fin de vie s’annonce imminente… Mais comment en parler au patient, à ses proches ? Si elle fait partie du quotidien de nombreux soignants, particulièrement en oncologie, l’annonce d’une mauvaise nouvelle est toujours un moment délicat, éprouvant, qui n’est pas sans susciter quelques appréhensions chez les professionnels. Médecins et infirmiers se sentent parfois en difficulté pour s’acquitter de cette pénible mission et accueillir les émotions fortes qu’elle suscite chez le patient. Pour Livia PETERNELJ - Psychologue clinicienne à l’Institut de cancérologie du CHU de Liège, « Le contexte COVID-19 a cristallisé les difficultés qui entourent habituellement l’annonce d’un mauvais pronostic. Confrontés à une surcharge de travail, à la pression du temps et à un afflux de cas très avancés chez des patients parfois fort jeunes, nombre de soignants peinent à faire face à ces situations difficiles ».

Dans ce contexte, le CHU de Liège lance une formation à l’annonce et à l’accompagnement d’une mauvaise nouvelle. Destinée dans un premier temps aux médecins ayant une pratique en oncologie, la première session de formation s’est entamée ce 12 octobre. D’ici la fin de l’année, une vingtaine de médecins du CHU devraient déjà être formés. Menée par l’Unité de Psycho-oncologie du CHU de Liège (Livia PETERNELJ, et Martine DEVOS, responsable de l’Unité) et le Service de Médiation ( Héloïse DE VISSCHER), la formation s’inscrit dans un projet de recherche destiné à en évaluer l’efficacité, en collaboration avec l’ULiège (Manon Goosse PhD candidate, et Pr. Sylvie Willems). Si cette première session rencontre bien les résultats escomptés en termes de qualité de la relation médecin-patient, « elle devrait donner lieu à d’autres séances de formation thématiques, et s’ouvrir à d’autres métiers au-delà de l’oncologie », précise Livia PETERNELJ.

L’annonce d’une mauvaise nouvelle est un art qui s’apprend.

Livia Peternelj

 

Concrètement, la formation vise à outiller les soignants confrontés à l’entretien d’annonce et à l’accompagnement d’une mauvaise nouvelle, en théorie comme en pratique. Le contenu mêle « des mises en situation à partir de cas cliniques réalistes et des informations théoriques basées sur un modèle reconnu en psycho-oncologie ». Pour la formatrice, il s’agit « d’optimiser les compétences relationnelles, communicationnelles et empathiques des professionnels de la santé ». L’objectif étant d’améliorer la qualité de la relation soignant-soigné et par là le bien-être du patient, mais aussi le confort du soignant lors des annonces difficiles.

Qui êtes-vous, Livia Peternelj ?

Livia Peternelj-avatar rond

Jeune Docteur en Psychologie formée à l’ULB et détentrice d’un DIU en Psycho-oncologie, Livia PETERNELJ a été engagée au CHU de Liège en 2020 en tant que psychologue clinicienne et chercheuse. Pour sa thèse défendue un an plus tôt, elle s’est intéressée aux difficultés de communication rencontrées dans la pratique clinique en oncologie. Au cours de son mandat de doctorante FNRS-Télévie, elle a ainsi développé une formation à la communication dédiée aux soignants en oncologie, intitulée « Parler d’incertitude et soutenir l’espoir », au sein de l’Institut Jules Bordet. Aujourd’hui au CHU, Livia PETERNELJ s’occupe de la prise en charge psychologique des patients cancéreux et de leurs proches, mais aussi de l’accompagnement et du soutien des soignants.

Gérer l’incertitude et envisager l’avenir

ban-avenir-espoirPour Livia PETERNELJ, « L’évolution récente des paradigmes associés à la pratique oncologique a augmenté le niveau d’incertitude dans ce domaine. De nombreuses questions se posent au quotidien, sur le choix des traitements, l’efficacité de nouveaux traitements alternatifs, le bénéfice que l’on peut en attendre en termes de durée et de qualité de vie, etc. ». La prise de décision médicale en oncologie devient ainsi de plus en plus complexe, dans un contexte hautement incertain. « D’où un inconfort décisionnel, des dilemmes éthiques voire même des conflits décisionnels du côté des soignants, mais aussi des patients et de leurs proches », analyse la psychologue. Ces situations d’incertitude sont particulièrement difficiles à gérer dans la communication avec le patient. « Ainsi, les soignants sont souvent réticents à l’idée d’annoncer le pronostic et plus généralement de parler de l’avenir, alors que c’est fondamental pour soutenir l’espoir du patient, mais aussi pour planifier les soins ».

Cultiver l’espoir est le meilleur antidote face à l’incertitude.

Livia Peternelj

 

L’inconfort cognitif du médecin engendre par ailleurs souvent un inconfort émotionnel lors de l’annonce, qui se traduit par diverses attitudes telles que « l’usage de jargon scientifique, l’intellectualisation, la fausse réassurance, le conseil prématuré, le manque d’informations ou au contraire la surcharge d’informations, le manque ou l’excès de soutien émotionnel… Autant de stratégies communicationnelles inhibitrices qui peuvent fragiliser le lien soignant-soigné ». Or les études montrent que la qualité de la relation avec le patient peut influencer sa santé : « Une bonne communication permet d’améliorer l’adaptation à la maladie et l’adhésion aux traitements, de réduire l’anxiété et la détresse, et d’augmenter la satisfaction par rapport aux soins ».

« Cependant même dans un contexte aussi incertain, des techniques ont fait leurs preuves pour parvenir à gérer l’incertitude et bien communiquer avec le patient », commente la psychologue. La qualité de la communication soignant-soigné s’avère d’autant plus cruciale aujourd’hui que « les modèles de prise de décision médicale ont eux aussi beaucoup évolué ces dernières décennies. On est passés d’un modèle « paternaliste » dans lequel le soignant prend seul la décision, à un modèle collaboratif où soignant et soigné décident ensemble de la planification des soins ».

Les préoccupations du patient ne sont pas celles que l’on croit

bannière-ban-mort-audela-vieMieux communiquer avec le patient, c’est d’abord investiguer sur ses attentes et ses inquiétudes. « L’expérience des groupes de formation montre que les soignants ont naturellement tendance à informer et soutenir sans évaluer au préalable les problèmes rencontrés. Or les préoccupations réelles des patients sont souvent assez éloignées de ce que les soignants imaginent : gérer la maladie à la maison, voir son corps abîmé, ne pas tenir le coup moralement… ». D’où l’importance d’interroger le patient sur ses représentations de la maladie, sur ses attentes et ses préoccupations, pour adapter le discours à ses besoins et son rythme. « L’absence de cette démarche préalable risque de rendre hasardeux l’apport d’informations et inopérant l’objectif de soutien », prévient Livia PETERNELJ. « Cette situation peut alors générer un malaise, lié par exemple à l’expression par le patient d’un vécu que le soignant, faute de l’avoir préalablement évalué, perçoit mal ».

Une communication de qualité avec le patient n’est pas nécessairement chronophage. Il ne s’agit pas de communiquer davantage, mais bien de communiquer mieux.

Livia Peternelj

L’art d’accueillir les émotions

Bannière soutien-annonceL’un des plus grands défis de l’entretien d’annonce est d’accueillir les réactions émotionnelles fortes du malade sous le choc de la nouvelle : stupéfaction, désespoir, déni, larmes, cris, colère, agressivité… Pour la formatrice, « Les soignants anticipent parfois négativement les réactions du patient, et appréhendent la manière de les gérer. Or il existe des techniques verbales et non-verbales qui permettent de manifester de l’empathie, meilleur remède face à la détresse. L’empathie permet au patient de se sentir reconnu dans sa souffrance, et d’exprimer ses émotions primaires ». De plus, une gestion adaptée des émotions permet une meilleure compréhension des informations : « La littérature montre que les patients « choqués » par l’annonce d’une mauvaise nouvelle peuvent retenir moins de 30 % de l’information donnée », commente Livia PETERNELJ

La formation en pratique

coordination-medecin-BannièreÉvaluée dans le cadre d’un projet de recherche doctoral (lire la section « Message aux médecins traitants » ci-dessous), la formation se déroule en deux temps, mêlant théorie et pratique. « Elle débute par une mise en situation en réalité virtuelle reproduisant une situation clinique réaliste, où le soignant est mis à la place du patient auquel on annonce une mauvaise nouvelle ». L’objectif de cette mise en situation est « d’analyser la manière dont les participants communiquent et de tester différentes stratégies sans que cela affecte un patient réel ». Elle permet aussi de sensibiliser les soignants aux effets de leurs propres attitudes, de façon à mieux percevoir et comprendre les réactions d’un patient : « Les phrases que l’on prononce, mais aussi tous les aspects non-verbaux de la communication peuvent avoir un grand impact. Même si c’est inconscient, détourner le regard, répondre au téléphone ou encore jouer nerveusement avec un objet pendant l’entretien peut être perçu comme violent par le malade ».

Dans un second temps, la formation propose une série d’outils théoriques issus d’un modèle théorique bien éprouvé en Psycho-oncologie, visant « l’acquisition de compétences communicationnelles, relationnelles et empathiques. Ces compétences relèvent du savoir théorique, mais aussi du savoir-faire (e.g. capacité à utiliser des stratégies de communication facilitatrices avec les patients comme l’évaluation, l’information et le soutien) et du savoir-être (e.g. capacité à privilégier la compréhension et l’empathie, à avoir une certaine maîtrise de soi, à gérer les silences, à décoder la signification des comportements verbaux et non-verbaux) ». In fine, l’amélioration de la communication entre soignant et soigné doit permettre à la fois « de diminuer le stress professionnel des soignants et d’améliorer le bien-être de ceux qu’ils soignent », souligne la formatrice.

Témoignages

Les différentes techniques d’apprentissage utilisées ont déjà fait leurs preuves, notamment dans le cadre d’une formation à la communication que Livia PETERNELJ a menée à l’Université Libre de Bruxelles auprès des oncologues. « Nous avons reçu de nombreux témoignages positifs à l’issue de la formation non seulement de la part des soignants, mais aussi des patients. Les médecins se sentent plus à l’aise, et les malades plus écoutés, mieux soutenus, mieux accompagnés ».

  • « Cette formation a changé ma vision des choses et m’a surtout permis d’être beaucoup plus à l’aise avec mes patients. »
  • « Ces séances de formation m’ont vraiment permis de préparer ma patiente à sa fin de vie. »
  • « La formation me rend d’immenses services au quotidien […]. Beaucoup d’outils me servent énormément. »

Message aux médecins traitants

stéthoscope-bannièrePremière du genre au CHU de Liège, la formation à l’annonce d’une mauvaise nouvelle est couplée à un programme de recherche visant à en tester l’efficacité, dans le cadre d’un doctorat en psychologie mené par Manon Goosse, et encadré par le Sylvie Willems. « L’étude évaluera notamment l’acquisition de stratégies facilitant la communication, le soutien émotionnel et psychosocial ainsi que l’acquisition de stratégies de base. Raison pour laquelle le projet intègre une étude randomisée comportant deux évaluations pré- et post-test ». Si la première session atteint les objectifs escomptés, « nous proposerons d’autres séances pour prolonger la formation, et pourrions l’étendre à d’autres secteurs que l’oncologie ».

Au CHU de Liège, de nombreux médecins et infirmier(ère)s ont déjà marqué leur intérêt pour la nouvelle formation : « Le nombre d’inscriptions témoigne d’une réelle préoccupation de la part des soignants », se réjouit Livia PETERNELJ. De son côté, la Faculté de Médecine de l’ULiège a également manifesté son intérêt, si bien que cette formation pourrait bien signer les prémisses d’un futur cursus en communication dédié aux étudiants en médecine.