Quelle est l’actualité du cancer dans le monde et à Liège ? C’est la question que nous avons posée au Pr. Guy Jerusalem alors que, ce jeudi  4 février, est  célébrée la journée mondiale contre le cancer. Il a orienté sa réponse dans trois directions : 1. En commentant un sondage IPSOS (pour MSD Belgique) et en précisant les statistiques. 2. En évoquant l’énorme espoir suscité par les premiers résultats des essais d’immunothérapie et des traitements combinés.  « Non seulement certains cancers ont un taux de guérison élevé avec l’arsenal thérapeutique existant, comme le cancer du sein ou le cancer du colon. Mais, surtout, on est à l’aube d’une nouvelle ère thérapeutique avec l’arrivée de l’immunothérapie ». 3. En positionnant le travail au CHU de Liège et dans le futur Institut de Cancérologie comme centre d’excellence. Le CHU de Liège a d’ailleurs, comme la KUL et Anvers, signé un accord avec Quintiles pour développer, au travers des essais cliniques de phase 1, les nouveaux médicaments si prometteurs en Belgique.

 

Qui est le Pr. Guy Jerusalem ?

PrJerusalemNe vous fiez pas à votre première impression à l’écoute du Pr. Guy Jerusalem : son accent n’est pas celui d’un homme provenant du Danemark ou de Norvège. Guy Jerusalem est Eupenois. Il y est né il y a 50 ans et y vit toujours aujourd’hui, avec son épouse et ses deux enfants de 11 et 13 ans, ce qui lui vaut un traitement de faveur (légitime) dans les pages médicales du Grenz-Echo, le quotidien germanophone de Belgique. Il est l’auteur d’un parcours linéaire complet à l’ULg : Docteur en Médecine en 1990, spécialiste en Oncologie Médicale en 1995, Doctorat en Sciences Cliniques en  1999 (« le pet-scan dans les lymphomes »),…  Pourquoi l’onco ? «  J’ai toujours été attiré par la médecine interne et par les recherches cliniques qui sont très nombreuses en oncologie. C’est aussi une discipline dans laquelle les contacts avec les patients nécessitent une très grande empathie et cela m’a vraiment passionné ». Il est aujourd’hui chef du service d’Oncologie médicale du CHU de Liège et membre du Comité de Gouvernance du CIO (Centre Intégré d’Oncologie de Liège), futur Institut de Cancérologie qui ouvrira ses portes au Sart-Tilman en 2018.

Les publications du Pr Guy Jérusalem

Le cancer en chiffres

En Belgique, on enregistre plus de 65.000 nouveaux cas de cancer par an. Un homme sur trois et une femme sur quatre seront atteints du cancer avant leur 75e anniversaire, soit 29 % de la population. « Selon le sondage IPSOS , plus de 60 % des Belges pensent qu’ils seront confrontés au cancer un jour. Un pourcentage qui monte à 73 % pour les 35-44 ans. Cette peur de contracter le cancer est très élevée mais je veux les rassurer : la réalité est différente. Ceci étant, la prévention et le travail de sensibilisation restent essentiels ».

La prévention et la sensibilisation doivent porter sur les cinq principaux facteurs de risques comportementaux et alimentaires (selon l’OMS) qui sont la cause de 30 % des décès par cancer : l’indice de masse corporelle élevée, la faible consommation de fruits et légumes, le manque d’exercice physique, le tabagisme et la consommation d’alcool.

 

Quels sont les cancers les plus courants  par sexe ? (Source : Fondation registre du Cancer – Belgique 2012)

Hommes :nbrcancers

  1. Prostate (8288)
  2. Poumon (5793)
  3. Colorectal (4737)
  4. Tête et cou (1937)
  5. Vessie (1846)
  6. Lymphome non hodgkinien (1178)
  7. Mélanome malin (1094)
  8. Rein (1060)
  9. Leucémie (982)
  10. Estomac (936)

 

Femmes :

  1. Sein (10531)
  2. Colorectal (3879)
  3. Poumon (2349)
  4. Utérus (1442)
  5. Mélanome malin (1417)
  6. Lymphome non hodgkinien (908)
  7. Ovaire (820)
  8. Pancréas (647)
  9. Leucémie (728)
  10. Thyroïde (709)

 

Quels sont les cancers avec la plus faible survie relative à 5 ans ?

La plèvre (5 % de survie à 5 ans pour les hommes, 10 % pour les femmes), le pancréas (12 %), le poumon (16 à 20 %), le foie (22 %), l’oesophage (24 %),… (Les statistiques complètes se trouvent dans le diaporama ci-joint). L’on évoque des statistiques de 2012… Il n’y a rien de plus récent ? « Ce sont les derniers chiffres connus sur le sujet en Belgique mais il faut avoir du recul par rapport aux nouveaux cas et vérifier la qualité des données. Ces chiffres reprennent souvent des périodes plus longues, 2004-2012. Les données statistiques belges sont plutôt lacunaires pour les périodes antérieures à 2004. Il est donc difficile de voir les cancers dont l’incidence augmente ou diminue. Pour cela, on dispose d’études internationales ».

Pourquoi des cancers progressent-ils tandis que d’autres reculent ?

« Il n’y a pas une raison unique. L’augmentation de l’espérance de vie est un facteur important car le cancer est d’abord une maladie du vieillissement. Les explications sont multifactorielles et elles sont souvent  aussi différentes selon les cancers. Il y a les causes déjà évoquées comme le tabac. L’on a tendance à penser que le tabagisme recule mais les nouveaux cas de cancer du poumon augmentent. En réalité, les femmes ont commencé à fumer et cela se remarque dans les statistiques « cancer » aujourd’hui. Il y a aussi l’effet du dépistage : les patients sont plus concernés et consultent plus tôt, ce qui permet de commencer les traitements précocement et d’obtenir de meilleurs résultats. Mais il y a des cancers qui restent longtemps asymptomatiques, comme le pancréas. Quand on sait qu’on l’a, il est trop tard. Il y a ensuite l’amélioration des modalités de chimiothérapie. La chimio est utilisée plus systématiquement même pour des stades plus précoces. Avec ses forces et ses faiblesses. Et il y a enfin l’apparition de médicaments plus performants car plus ciblés comme par exemple le Trastuzumab (Herceptin®) qui diminue de moitié les risques de rechute dans une forme de cancer du sein très précise (surexpression du HER2) qui représente 15 % des cancers du sein. Et aussi l’amélioration, au fil des années, des traitements de type hormonothérapique. Et arrivent aujourd’hui des nouveaux traitements très prometteurs, comme l’immunothérapie ».

Pour en savoir plus:

Recent trends in incidence of five common cancers in 26 European countries since 1988: Analysis of the European Cancer Observatory
Cancer incidence and mortality patterns in Europe: Estimates for 40 countries in 2012
The Belgian Cancer Registery

« L’immunothérapie est très prometteuse »

L’avenir est à l’immunothérapie. N’avait-on pas déjà dit cela dans les années 80 ?

« Dans les années 80, on avait annoncé vaincre le cancer en améliorant les défenses du corps, le système immunitaire. Mais on ne savait pas encore que les tumeurs avaient leur propre système de réaction. Les recherches ont donc dû repartir dans une autre direction, sans abandonner la première. C’est l’immunothérapie de la nouvelle génération. L’immunothérapie « réveille » le système immunitaire du patient pour qu’il retrouve son rôle initial et attaque lui-même les cellules cancéreuses. L’immunothérapie cible le système immunitaire, pas la tumeur. Le système « tue » ainsi de manière sélective uniquement les cellules cancéreuses avec peu ou pas d’effets secondaires. C’est la grande différence avec la chimiothérapie classique ou la radiothérapie, qui cible la tumeur pour la détruire, avec des dégâts collatéraux puisqu’elle tue autant les cellules cancéreuses que les cellules saines, avec souvent de gros effets secondaires ».

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Comment fonctionne l’immunothérapie ?

« Des médicaments de type anticorps monoclonaux (le Pembrolizumab ou le Nivolumab par exemple) modifient le fonctionnement du système immunitaire. Ils stimulent le système immunitaire à travailler plus et mieux en levant une inhibition de la réaction antitumorale. Le système immunitaire attaque alors sélectivement les cellules cancéreuses ».

Rendre les cellules cancéreuses visibles… Elles parviennent à se cacher ?

« Effectivement. Les cellules cancéreuses ont elles-mêmes un système de réaction contre l’auto-défense de l’organisme. Certaines tumeurs arrivent à échapper au contrôle du système immunitaire en activant ce qu’on appelle des « checkpoints immunitaires ». Il arrive que les cellules tumorales sécrètent des substances qui font que le cancer se cache et n’est plus reconnu comme corps étranger et est donc comme « toléré » par l’organisme. L’immunité est donc impuissante. Il faut travailler sur la stimulation de l’immunité mais il faut aussi « inhiber l’inhibition ». Dans certains cancers (le mélanome, le poumon), la stimulation de l’immunité suffit. Dans d’autres, il faut aller plus loin afin de mieux détecter les cellules cancéreuses qui se cachent ».

Aller plus loin, c’est quoi ?

« Les cellules cancéreuses se divisent plus vite et sont donc plus vulnérables que les cellules saines. Aller plus loin, c’est combiner les traitements et associer l’immunothérapie à la radiothérapie locale. La destruction d’une métastase par radiothérapie libère des antigènes. Une administration séquentielle après la chimiothérapie est une autre approche, soit pour libérer des antigènes soit pour réduire la masse tumorale».

L’immunothérapie produit donc ses premiers résultats ?

« Ils sont très prometteurs. L’immunothérapie donne des résultats d’essais cliniques impressionnants sur des cancers jusque-là intraitables, y compris métastatiques. Jusqu’en 2010, moins de la moitié des patients survivaient plus d’un an après le diagnostic de métastases d’un mélanome par exemple. Actuellement, les chances de survie avec un mélanome métastatique sont bien meilleures et ces résultats se confirment dans d’autres cancers répondant à l’immunothérapie, comme le cancer du poumon, du rein, de la vessie, certaines formes de cancer du colon et aussi certaines formes spécifiques du cancer du sein. Alors, c’est vrai, ce sont des résultats prometteurs, mais on est au début du développement. Il faudra encore attendre deux ans pour avoir des signaux supplémentaires. 20 % de succès, c’est bien, mais il reste 80 % d’échecs ; la révolution dans la lutte contre le cancer, c’est quand on diminuera drastiquement le nombre d’échecs, sans doute par la combinaison des différents moyens existants. C’est la multiplication des essais cliniques et leurs résultats qui diront si cela marche ou pas ».

 

Le CHU de Liège, centre de référence pour l’immunothérapie

L’immunothérapie est couteuse. Pour une année de traitement, il faut prévoir jusqu’à 130.000€… et le traitement est recommandé pour deux ans ! Au stade expérimental, hormis pour le mélanome, il n’y a aucun remboursement en Belgique. « Cela pourrait changer en 2016 dans certaines indications. L’on parle du poumon. On espère qu’il y aura un accord sur la prise en charge entre le Gouvernement et les firmes pharmaceutiques, ainsi qu’un arrangement financier pour que notre société puisse supporter ces frais et rendre ces traitements accessibles à l’ensemble de la population. L’on peut comprendre que l’Etat attende des résultats plus impressionnants que 20 % avant de payer ces traitements… ou alors il faut être capable de prédire à l’avance qui fait partie de ces 20%. Aujourd’hui, la stratégie est d’utiliser les traitements classiques en comprimant les coûts et de n’avoir recours à l’immunothérapie que quand plus rien d’autre ne va. On sait pourtant aussi que plus le temps passe, plus le cancer est difficile à combattre et moins il est sensible à une approche par immunothérapie. C’est une logique économique, pas médicale. D’où l’importance de gagner du temps, de gagner de la durée de vie. Si demain nous pouvons dire que 20 % des personnes de 30 ans ayant un mélanome métastatique ont une grande chance de guérison grâce à l’immunothérapie, alors que aujourd’hui, la grande majorité sont certains de décéder dans les 5 ans, je crois que la Société sera d’accord d’investir cet argent. Nous sommes arrivés à un palier en matière de croissance des coûts des soins de santé et il y a lieu de réfléchir où l’argent peut être le plus utilement dépensé ».

Le CHU de Liège a accès à ces médicaments ?

Nous profitons effectivement de programmes d’accès à ces médicaments pour mener des études cliniques. Comme la KUL et l’hôpital d’Anvers, le CHU de Liège a un accord avec Quintiles. Cette société a sélectionné trois centres dans cinq pays d’Europe pour développer les nouveaux médicaments en oncologie, entre autres ceux du géant pharmaceutique anglo-suédois Astra-Zeneca. Nous obtenons aussi des médicaments pour usage « humanitaire ». Nous devons les tester sur différents types de cancer, en les combinant avec des traitements classiques pour tenter de faire mieux que les 20% de résultat favorable actuellement. Nous devons analyser les effets des traitements. En immunothérapie, pas moyen de faire ces tests sur des animaux. L’on fait ces essais directement sur l’être humain. Pour le patient cancéreux aujourd’hui,  participer à l’essai clinique est la seule option pour avoir accès à ces traitements expérimentaux. Nous avons mené deux études de phase 1 : 50 patients en ont profité, sur base totalement volontaire. Et cela se poursuit. Dès que les résultats seront confirmés, cela va aller très vite car toute l’industrie pharmaceutique est dans les starting-blocks. Nous travaillons aussi avec plusieurs centres de recherche. Au CHU de Liège, nous avons la chance d’être sur le même site que le GIGA-Cancer qui rejoindra le futur CIO, centre Intégré d’Oncologie. Dès à présent, Agnes Noël, la patronne du Giga-Cancer, fait partie du Conseil de Gouvernance du CIO.

 

cio-2CIO qui deviendra, en 2018, l’Institut de Cancérologie qui réunira les fondamentalistes et les cliniciens, en plus des labos…

Ce sera un hôpital sans lit de nuit. Le patient sera pris en charge de la même manière, quelle que soit la porte d’entrée. Il aura pour référent un(e) infirmier(e) de liaison qui veillera à ce que l’équipe pluridisciplinaire en place soit disponible pour le voir, sur une même journée. Unité de temps, unité de lieu, cohérence dans les décisions prises lors des COM (Concertations Oncologiques Multidisciplinaires),…  Ce ne sera pas seulement une première en Wallonie : ce sera aussi un grand changement dont profitera, en premier, le patient.

 

Et comment s’organisent la coordination et la collaboration avec le médecin généraliste?

Le médecin généraliste a une place primordiale dans la prise de décision et l’annonce de celle-ci au patient et à sa famille. Sa présence est donc importante lors des COM, soit physiquement soit par vidéoconférence, de manière à participer à la discussion collégiale. « Cela fonctionne déjà aujourd’hui ; le mercredi par exemple, il y a une COM pour les patients de Huy dans le cadre de notre collaboration dans le domaine de l’oncologie et nous conversons par vidéoconférence ». Le CHU de Liège œuvre actuellement au déploiement plus large de ce système ainsi qu’à son organisation logistique, de manière à ce que chaque médecin généraliste puisse en bénéficier. Une COM passe en revue trente patients en deux heures !  Il faut donc organiser cela avec précision. Nous travaillons sur un système basé sur le modèle des Hôpitaux Universitaires de Genève  avec qui nous sommes en contact  avec la volonté de proposer un système totalement sécurisé et totalement fiable. Nous vous tiendrons informés de l’évolution de ces fonctionnalités dans les prochains mois.

Revenons au cancer à l’occasion de cette journée mondiale du 4 février et concluons avec la question classique : qu’avez-vous envie de dire aux médecins généralistes ?

Je pense que le message le plus important est qu’aujourd’hui, le cancer métastatique n’est plus synonyme de décès, en particulier à court terme. Il y a de nombreux sous-groupes de cancers qu’on arrive de mieux en mieux à identifier et soigner. Même si le cancer s’est dispersé, le pronostic a changé. L’immunothérapie est la prochaine grosse étape pour contrôler la maladie à long terme, contrôle qui est la dernière étape avant la guérison.

Envie d’en savoir plus sur l’immunothérapie dans le traitement du cancer ?

Le Pr. Guy  Jerusalem et ses collègues organisent  un cycle de 4 conférences de 2 heures, le mardi en début de soirée, à partir du mois d’avril 2016. L’inscription est gratuite. Une accréditation sera demandée. Renseignements et inscriptions auprès du Prof. Jerusalem : g.jerusalem@chu.ulg.ac.be