À ce jour, les maladies neuromusculaires ne connaissent aucun traitement curatif. Touchant plus d’une personne sur 1000 en Belgique, elles sont toujours synonymes de mauvais pronostic, voire de décès prématuré. Mais ce terrible constat pourrait bien se voir déjoué prochainement : un traitement innovant par greffe cellules souches est en train de voir le jour ! Made in Euregio, le projet baptisé « Generate Your Muscle » (GYM) est le fruit d’une collaboration entre le Laboratoire de Thérapie Cellulaire et Génique (LTCG) de l’ULiège avec le CHU de Liège, quatre autres universités de l’Euregio Meuse-Rhin (Maastricht, Hasselt, Aachen, KULeuven) et deux entreprises spécialisées dans les biotechnologies.

Combinant thérapie cellulaire et thérapie génique, la méthode GYM est capable de régénérer la force et la masse musculaire par la greffe de cellules souches : les mésoangioblastes. Encouragés par des modèles animaux très prometteurs, les chercheurs ont lancé les premières études cliniques. Une recherche pour le moins ambitieuse, qui pourrait aboutir à une petite révolution dans le traitement de nombre de maladies musculaires génétiques, mais aussi dans la lutte contre la dégénérescence musculaire liée à l’âge, à une immobilisation prolongée ou encore à certaines pathologies telles que le cancer.

Au-delà du développement thérapeutique proprement dit, le projet interrégional Meuse-Rhin GYM vise la production industrielle et la commercialisation d’un traitement à prix abordable dans les années à venir, y compris au-delà des frontières de l’Euregio. Cette recherche signe la naissance d’un grand espoir pour des millions de patients, en termes de qualité et d’espérance de vie.

L’expertise du Laboratoire de Thérapie Cellulaire et Génique (LTCG)

Bannière analysesAu sein du consortium Euregio qui mènera à bien le projet GYM, le Laboratoire de Thérapie Cellulaire et Génique (LTCG) de l’ULiège sera chargé de la préparation des mésoangioblastes pour les essais cliniques. Implanté dans le giron du Service d’Hématologie clinique du CHU de Liège du Pr. Yves Beguin, le LTCG est le deuxième plus grand centre en Belgique pour la transplantation de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Impliqué dans de nombreux essais cliniques, il dispose aujourd’hui de trois banques de tissus accréditées par l'Agence Fédérale du Médicament et des Produits de Santé (AFMPS) : une banque de sang de cordon, une banque de Cellules Hématopoïétiques (CSH) et une banque de cellules non-Hématopoïétiques (cellules destinées à la fabrication de thérapies avancées ou ATMP).

Le labo bénéficie du savoir-faire du CHU de Liège en matière de préparation de thérapie innovante : depuis 2017, le LTCG est certifié GMP (Good Manufacturing Practises). Autrement dit, il est habilité à fabriquer des produits innovants aux normes fixées par l’industrie pharmaceutique, et donc commercialisables. Un atout essentiel pour réaliser les ambitions du projet GYM !

La « Gym Team » du LTCG

YvesBeguinProfesseur Yves Beguin - Directeur Médical du LTCG

Chef du Service d'Hématologie Clinique du CHU de Liège et Professeur d’Hématologie à l'ULiège, il y dirige l'équipe de recherche en hématologie à l'Institut de recherche GIGA. Il est également Président de l'Institut de Cancérologie Arsène Burny du CHU de Liège.

EtienneBaudouxDocteur Etienne Baudoux - Directeur du LTCG

Après plusieurs années comme médecin au Centre de Transfusion de Liège et deux ans passés dans un programme de coopération, Etienne Baudoux est devenu Directeur du LTCG en 2000. Son travail comprend notamment le prélèvement de produits biologiques destinés à la greffe ou au développement et à la fabrication de thérapies avancées (dérivés de moelle osseuse, de sang total ou de tissu musculaire). Il est également actif au sein du Conseil Supérieur de la Santé et du Comité d’Éthique Hospitalo Facultaire, ainsi que dans plusieurs groupes en Belgique et à l'étranger.

Chantal LechanteurChantal Lechanteur - Responsable R&D et contrôle qualité ATMP

Pharmacienne de formation, elle a consacré douze ans à la recherche en oncologie et passé près de dix ans à la tête de la banque MSC (cellules souches mésenchymateuses) de grade clinique. Elle a participé à plusieurs projets avec des partenaires industriels ou académiques, et est actuellement en charge du contrôle qualité pour l’ATMP (Advanced Therapy Medicinal Product - produits de thérapie innovante) au CHU de Liège.

.Découvrez la « GYM Team » du LTCG au complet 

À l’origine du projet : la petite Sara, atteinte de dystrophie musculaire

Bannière VoorSarahIl y a cinq ans aux Pays-Bas, un bébé de dix mois, Sara, recevait un diagnostic terrible : une dystrophie musculaire congénitale MDC1A, une maladie neuromusculaire rare menaçant le pronostic vital. Sans options ni espoir de traitement dans l’état actuel des connaissances, les parents de la petite fille fondent la Stichting Voor Sara, « Fondation pour Sara ». L’objectif : retrouver d’autres patients atteints de la maladie pour tenter de mieux comprendre, et surtout récolter des dons pour stimuler la recherche en matière de traitement des maladies neuromusculaires.

Rencontrant l’intérêt des scientifiques néerlandais, leur appel allait rapidement trouver un écho entre les murs de l’Université de Maastricht. « Les premiers travaux ont émergé en 2018 aux Pays-Bas, avec la découverte d’une nouvelle méthode de culture cellulaire produisant un type de cellule à mi-chemin entre tissu vasculaire et musculaire, et démontrant un potentiel de régénération des muscles », explique le Dr Etienne Baudoux. Restait à dénicher des partenaires capables de développer cette méthode de culture cellulaire pour en faire un produit thérapeutique.

C’est ainsi que l’Université de Liège est entrée dans la danse en août dernier, aux côtés des universités de Maastricht, Hasselt, Aachen et de la KULeuven, bientôt rejointes par des entreprises actives dans les biotechnologies, Scannexus et Kenko Int. En même temps que le jeune consortium interrégional, le projet « Generate Your Muscle » (GYM) était né. Les financements européens suivraient.

Liège possède un solide écosystème d’entreprises biotechnologiques, ce qui en faisait un partenaire idéal pour le projet GYM.

Docteur Etienne Baudoux

 

Suite au succès des études précliniques, le premier essai clinique de phase I/II est déjà en cours aux Pays-Bas, sur quelques patients. De son côté, le LTCG se prépare à lancer la production des mésoangioblastes : « On renforce l’équipe, on finalise les investissements matériels, on organise la formation du personnel et le transfert de compétences depuis les Pays-Bas… Nous serons prêts d’ici la fin d’année », assure le Dr Baudoux. Et fin 2022, le labo liégeois devrait entamer les essais cliniques à grande échelle.

Quand la culture cellulaire rencontre la thérapie génique

Bannière celluleLes chercheurs de « Generate Your Muscle » ont développé une thérapie innovante combinant des techniques de culture cellulaire performantes avec des techniques de correction de déficit génétique. Responsable R&D du projet, Chantal Lechanteur explique la méthode : « À partir d’un très petit échantillon de tissu musculaire (d’environ 10/2 mm) prélevé sur le patient, on peut multiplier la population cellulaire pour réaliser un greffon musculaire injectable. Souvent réalisé dans la cuisse, le prélèvement de tissu est indolore, sans danger et dure à peine 15 minutes, préparatifs compris ». Le traitement consiste ensuite à injecter dans le sang du patient un grand nombre de cellules souches musculaires autologues saines, appelées mésoangioblastes.

Certains patients atteints de maladies musculaires génétiques fabriquent spontanément des mésoangioblastes sains, sans anomalie génétique. Dans ce cas, les mésoangioblastes peuvent être injectés immédiatement après la culture. Dans les autres cas, il s’agit d’abord de corriger les déficits génétiques affectant les prélèvements. C’est ici qu’intervient la thérapie génique, en complément à la culture cellulaire : « Nous utilisons des techniques d’édition de gènes similaires au système CRISPR-Cas9, qui permettent de modifier un gène altéré avec beaucoup de précision, avant de l’amplifier pour créer un greffon sain et néanmoins autologue, minimisant les risques de rejet ».

Injectés en intra-artériel, les mésoangioblastes s'attaquent aux muscles affectés, se transforment en fibres musculaires saines et compensent la perte de masse et de force musculaires. Les injections peuvent être réalisées de manière sélective, pour implanter les cellules spécifiquement dans le site à traiter. La méthode permet ainsi de régénérer « n’importe quel muscle strié », précise le Dr Etienne Baudoux. Les essais précliniques de GYM montrent que la culture et l’implantation cellulaires fonctionnent bien chez la souris. Reste à valider la méthode sur l’homme.

Quelles promesses, pour quelles indications ?

Bannière courseL’intérêt thérapeutique de la méthode GYM s’annonce considérable : elle permettrait enfin de soigner les maladies musculaires d’origine génétique, « des pathologies gravissimes pour lesquelles il n’existe à l’heure actuelle aucune solution thérapeutique, qui entraînent d’importantes pertes fonctionnelles et menacent souvent le pronostic vital ; essentiellement les myopathies mitochondriales et les dystrophies musculaires telles que la maladie de Duchenne », explique le Dr Etienne Baudoux. D’après Sciensano, il existerait selon les classifications entre 62 (INAMI) et 371 (ORPHANET) maladies neuromusculaires différentes. Considérées individuellement, chacune de ces pathologies reste rare. Mais ensemble, elles concernent des milliers de patients rien que sur le territoire national, plaidant en faveur d’un traitement générique.

Les maladies musculaires génétiques entraînent une perte fonctionnelle grave chez 1 personne sur 1000, et souvent un décès prématuré.

Docteur Etienne Baudoux

 

Le potentiel d’application de GYM ne se limite d’ailleurs pas aux maladies neuromusculaires : « le traitement peut s’appliquer à tous les contextes entraînant une perte importante de masse et de force musculaires, qu’elles soient liées à une pathologie (comme la cachexie cancéreuse), au vieillissement ou encore à une immobilisation prolongée, par exemple à la suite d’un séjour aux soins intensifs », s’enthousiasme le Directeur du LTCG.

En principe, l'administration de cellules souches musculaires saines autologues pourrait être bénéfique pour toutes ces affections, soit pour traiter le défaut primaire, soit pour améliorer la qualité de vie. Par ailleurs, différentes pathologies peuvent coexister : par exemple, des patients atteints de dystrophie musculaire peuvent également souffrir de défauts énergétiques et de perte de masse musculaire.

Myopathies mitochondriales

D’origine génétique, les myopathies mitochondriales regroupent des troubles causés par des défauts de la phosphorylation oxydative qui génère l’adénosine triphosphate (ATP), molécule clé de l’énergie cellulaire. Elles touchent principalement les muscles squelettiques. Le défaut génétique peut être localisé dans l'ADN mitochondrial ou dans l'un des gènes nucléaires qui codent les protéines mitochondriales.

Dystrophies musculaires

Caractérisées par une faiblesse musculaire progressive, les dystrophies musculaires sont liées à des mutations génétiques qui affectent la production de protéines nécessaires pour former un muscle sain. Les signes et symptômes de la maladie se manifestent à différents âges et atteignent différents groupes musculaires, selon le type de dystrophie (MDC1A ou LAMA2, dystrophie myotonique de type I…).

Atrophies musculaires

L'atrophie musculaire est caractérisée par une perte de tissu musculaire, liée à un manque d'activité physique ou une immobilisaton prolongée. Elle peut être consécutive à un traumatisme ou une maladie (cancer, AVC), éventuellement favorisée une mauvaise alimentation ainsi que certaines conditions génétiques ou médicales. Dans les cas de cancer, la perte musculaire est un facteur important de mauvais pronostic tant pour le rétablissement postopératoire que pour la qualité de vie. La cachexie touche environ la moitié des patients cancéreux au cours de leur maladie, en particulier à un stade avancé, et est impliquée dans près d’un tiers des décès du cancer.

La fonte musculaire est aussi une conséquence inévitable du vieillissement naturel, auquel cas elle peut devenir synonyme de risque accru de chutes, de diminution de l’autonomie et de la qualité de vie globale, voire de décès. Un tiers des personnes âgées de plus de 60 ans souffre de sarcopénie. L’essentiel des traitements proposés jusqu’ici se basent sur l'activité physique. Or celle-ci n'est pas toujours envisageable chez de nombreux patients.

Message aux médecins traitants

stéthoscope-bannièreL’arrivée sur le marché d’un traitement générique contre la dégénérescence musculaire pourrait bien constituer une petite révolution thérapeutique. L’avancée du projet GYM signe le premier espoir sérieux dont on dispose pour soigner les maladies neuromusculaires, mais aussi un grand pas en avant dans la préservation de l’autonomie, de l’espérance et de la qualité de vie d’une population vieillissante. La fonte musculaire liée à l’âge est ainsi devenue un problème de santé publique majeur dans l’Euregio Meuse-Rhin, et représente déjà 1,5 % du coût total des soins de santé.

Au-delà du développement du produit pharmaceutique proprement dit, un deuxième volet du projet GYM prévoit la production industrielle de mésoangioblastes en vue de sa commercialisation, via la création d’une société spin-off au sein de l’Euregio. GYM s’inscrit avant tout dans une visée éthique, qu’il entend bien défendre jusqu’au bout : « Notre objectif est de mettre sur le marché un traitement qui soit accessible à tous les patients de manière durable, y compris en termes financiers. L’une des grandes forces de notre projet est cette main-mise académique de cinq universités, qui le préserve des intérêts purement commerciaux jusqu’à son aboutissement », insiste le Directeur du LTCG. Un projet ambitieux, qu’on souhaite bientôt couronné de succès.