Eradication : la révolution est en marche

Les objectifs de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d’ici 2030 pour éliminer le virus de l’hépatite C (VHC) sont clairs : dépister 90% des cas, traiter 80% des patients et faire chuter la mortalité de 65%.

 

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« Le facteur de limitation de ce défi mondial n’est plus médicamenteux puisque les nouveaux traitements à action directe (AAD) sont efficaces à quasi 100%, mais bien lié au dépistage », tempère d’emblée le Pr. Delwaide. D’où l’intérêt, à quelques jours de la Journée mondiale contre l’hépatite le 28 juillet, de rappeler l’importance de son dépistage. Les professionnels de soins de première ligne sont des acteurs essentiels pour remporter cette guerre. Certaines batailles sont déjà en partie gagnées – nous avons un bon taux de patients traités grâce au remboursement des nouvelles molécules –, mais d’autres persistent, notamment celle de la détection des porteurs non connus du virus.

« La destruction du VHC est un des plus grands succès médicaux de ces dernières années », se réjouit Jean Delwaide, « et c’est une révolution à divers égards. C’est la première fois qu’on peut éliminer une maladie virale par un traitement, et non par un vaccin comme ce fut le cas pour la polio ou la variole (éradiquée depuis 1980, NdlR). Les nouveaux traitements lèvent un poids sociétal important, long de 30 ans, puisque l’hépatite C constitue la première cause de cancer primitif du foie et de transplantation hépatique. Ils soulagent la mortalité, mais aussi la morbidité liée à cette maladie. » 

Autres raisons de se réjouir, les traitements sont aujourd’hui non seulement super efficaces et simplissimes au point de vue compliance (1 à 3 comprimés par jour pendant 2 à 3 mois), mais ils sont aussi quasiment dépourvus d’effets secondaires. Il peut y avoir des interactions avec d’autres médicaments voire des contre-indications pour certaines molécules (ex : en cas d’insuffisance rénale ou de cirrhose décompensée), mais comme la palette de traitements est large et que des molécules alternatives sont disponibles, on peut réellement traiter tout le monde.

La Belgique a particulièrement bien joué son rôle d’acteur de santé publique dans ce domaine, face à des traitements novateurs qui s’avéraient terriblement coûteux lors de leur sortie sur le marché en 2014 (70.000€/patient… or des patients, il y en avait beaucoup !). En choisissant, dès janvier 2015, d’échelonner le remboursement pour ne pas trop grever le budget de la Sécurité sociale, notre pays a permis aux patients qui en avaient le plus besoin (stades avancés et formes graves, cirrhotiques) d’y accéder en priorité, et depuis janvier 2019, le remboursement à tous les patients, quel que soit le stade de leur infection.

Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule…, une étude de Sciensano (ex-ISSP) a révélé en avril dernier que le nombre de patients belges potentiellement concernés par le VHC serait cinq fois moins élevé qu’escompté jusque-là : 13.000 Belges seraient porteurs du virus, et non 65.000 (sur base de 3.209 échantillons sanguins testés, répartis sur l’ensemble du territoire). Une fameuse différence pour le budget ‘remboursement’ initialement prévu !

 

 

Qui êtes-vous, Professeur Delwaide?

Diplômé de la Faculté de Médecine de l’Université de Liège en 1988 - soit un an avant la découverte du virus VHC qui s’appelait jusqu’alors « non A-non B », Jean Delwaide choisit très rapidement de poursuivre par une spécialité. Ce sera la gastro-entérologie (1993), pour laquelle il part ensuite se former à Paris, à l’hôpital Bichat puis à l’hôpital Beaujon auprès du professeur Jean-Pierre Benhamou, hépatologue de renom. En 1996, il présente sa thèse de doctorat consacrée aux cellules endocrines de l’estomac avec le Pr. Belaiche comme promoteur. Il remet le couvert dix ans plus tard avec une thèse d’agrégation consacrée à son désormais ‘dada’ : le virus de l’hépatite C. Entre-temps, Jacques Belaiche lui demande de développer le secteur de l’hépatologie au CHU de Liège, et Jean Delwaide suit désormais de nombreux patients touchés par le VHC, ce qui lui permet d’avoir une connaissance clinique aiguisée de l’épidémie qui fait alors encore des ravages. « Au début des années ’90, 0,8% de la population belge est contaminée », rappelle le Pr. Delwaide, « et en 2010, le VHC tue davantage que le sida, ne l’oublions pas. » Une mortalité énorme (400.000 morts par an dans le monde – 300 en Belgique), qui s’essouffle au fur et à mesure de l’arrivée, régulière, de nouveaux traitements toujours plus efficaces. « Depuis trente ans, beaucoup de gens sont décédés, mais beaucoup ont aussi pu être traités, jusqu’à arriver à 50% de guérisons. »

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Naguère secrétaire puis président de la Belgian Association for the Study of the Liver (BASL), Jean Delwaide est l’investigateur principal de nombreuses études scientifiques. Grâce à lui, le CHU de Liège est parmi les premiers hôpitaux à avoir testé sous protocoles cliniques les fameuses nouvelles molécules « AAD » qui permettent aujourd’hui de viser l’élimination du virus.

Agé de 56 ans, le Pr. Delwaide est papa de deux enfants, dont une grande fille actuellement en Faculté de Pharmacie à l’ULiège. Il habite à Liège et pratique le VTT et la marche.

 

 

Des molécules très puissantes

Le traitement par antiviraux AAD dure généralement trois mois (8 à 12 semaines, selon les molécules). Une prise de sang à la fin du traitement permet de contrôler l’absence du virus. Un test définitif, trois mois puis un an plus tard, doit confirmer que le VHC est indétectable. Les effets indésirables des AAD sont rares et légers ; on constate de la fatigue, des céphalées, des insomnies, des troubles du transit.


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Plusieurs produits sont disponibles et remboursés en Belgique. Les plus utilisés sont l’Epclusa®, le Maviret® et le Zepatier®. L’Harvoni® fut un des premiers sortis, il est désormais moins utilisé. Le Vosevi® est utilisé en deuxième ligne. Le choix du traitement dépend fortement du génotype du VHC, ainsi que des interactions possibles avec les autres médications éventuelles.

Une question légitime : un patient guéri peut-il être réinfecté ? « Oui, répond notre interlocuteur, après éradication du virus, on garde les anticorps, mais ceux-ci ne sont pas protecteurs. On peut donc être réinfecté. C’est assez rare quand même, ça se voit dans certaines catégories de populations, notamment en milieu carcéral. » C’est bien parce qu’il reste sous une forme ARN, non intégrée au noyau, que le VHC peut être éliminé, contrairement à son cousin le VHB qui intègre l’ADN.

Enfin, faut-il craindre, à terme, un risque de résistance du virus aux traitements les plus récents ? « Pour le moment, nous comptons 3% de patients en échec thérapeutique, pour cause de résistance ou par manque de compliance », note le Pr. Delwaide. « Le virus est tellement écrasé par la puissance des nouveaux traitements qu’il ne peut pas muter, il n’en a pas le temps. Quand bien même cela arriverait, nous avons des molécules de seconde intention comme le Vosevi® (association de trois molécules: sofosbuvir, velpatasvir et voxilaprevir). » Les anciens traitements comme les interférons et la ribavirine demeurent également accessibles en cas d’échec.

 

Quelque 2000 patients belges traités par an

Selon des chiffres de l’INAMI, un peu plus de 1.000 Belges par an seraient déjà sous traitement  par AAD. Ils devraient être rejoints par 1.000 autres cette année suite à l’extension du remboursement depuis janvier.

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Plus vite on va lutter contre le virus, mieux on pourra éviter les complications de la maladie. L’hépatite C aiguë devient chronique chez 75% des patients, les 25% restants guérissent spontanément dans les quelques semaines suivant la contamination. La maladie se développe à très bas bruit : il faut généralement des dizaines d’années pour se rendre compte de symptômes, des lésions qui, à ce moment-là, peuvent déjà être graves et permanentes, telle une cirrhose. Ce très long temps de latence avant les complications explique que plus de 6.000 Belges vivraient actuellement avec le virus sans en avoir la moindre idée. Le VHC peut également provoquer des troubles rénaux, neurologiques, dermatologiques, cardiaques, dépressifs, en plus des problèmes hépatiques.

 

 Message aux médecins traitants

La première étape vers l’éradication est de dépister les patients touchés par le virus qui s’ignorent encore. Le VHC étant silencieux durant de très longues années, il est certain que de nombreuses personnes vivent encore avec sans le savoir. Ce « réservoir » du virus doit être circonscrit pour être éliminé au plus vite, et aussi éviter aux porteurs inconnus de développer des lésions.

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A l’heure actuelle, parmi les personnes à risque d’avoir pu contracter le VHC, on trouve principalement les toxicomanes actifs ou anciens, les personnes provenant de pays à forte prévalence de cette infection, les hommes séropositifs et les patients transfusés avant 1990, notamment en chirurgie cardiaque, où les pertes sanguines étaient importantes. « Mais aussi des mamans qui ont été transfusées lors d’un accouchement avant 1990, qui étaient alors dans leur vingtaine et chez qui on trouve le virus aujourd’hui, alors qu’elles sont dans la cinquantaine et qui n’ont pas de symptômes d’hépatite. » Il y a aussi encore pas mal de gens qui ne se souviennent même pas d’avoir été transfusés à l’époque à risque. Concernant la population allochtone, si un cas est connu dans la famille, la recherche du virus est généralement proposée et étendue à tous. Quant à la contamination sexuelle du VHC, elle est relativement faible (sauf en cas de VIH et/ou herpès associés), et la transmission mère-enfant à la naissance peu fréquente. La contamination peut par contre aussi relever d’un tatouage ancien avec du matériel alors non stérilisé. Enfin, selon le CDC d’Atlanta, 4 à 5% de la population née entre 1945 et 1965 seraient touchés par le VHC aux USA.

« Les médecins traitants doivent repérer les groupes à risque, pour identifier le virus chez de nouveaux patients mais aussi chez les habitués, au sein d’une patientèle qui n’a pas forcément ‘l’air’ d’être porteuse du virus », précise le Pr. Delwaide. « L’OMS recommande, afin de toucher un maximum de gens, de tester au moins une fois toutes les personnes nées entre 1945 et 1965, période où, jusqu’à l’arrivée des tests immunologiques de dépistage en 1989, le virus était alors totalement inconnu et où il y a eu le plus de contaminations (pic dans les années 70 et 80). » « Il serait utile d’avoir un dosage VHC dans chaque dossier médical des personnes nées entre ces deux dates afin d’améliorer le dépistage général. »

Et si le dosage du VHC s’avère positif ? « Rassurer d’abord le patient en lui expliquant la facilité des nouveaux traitements, qui permettent d’atteindre la guérison dans quasi tous les cas, et ce rapidement (2 à 3 mois de traitement), et rappeler que ça ne lui coûtera rien puisque le remboursement est désormais pris en charge à 100% par l’INAMI pour tous les patients, quel que soit le stade de l’infection. Le nombre de patients que l’on estime concernés en Belgique étant inférieur à ce que l’on pensait initialement, le budget pour l’Etat sera moins conséquent que prévu, il n’y a donc pas de considérations financières à avoir », rassure notre interlocuteur.

La prescription des médicaments AAD étant actuellement réservée à certains spécialistes (gastro-entérologues formés en hépatologie et infectiologues), le patient positif au VHC doit être référé à l’un de ces spécialistes pour l’entame de son traitement. « D’un point de vue technique, on repère les anticorps HCV, puis on confirme la présence virale par la méthode PCR (amplification des acides nucléiques pour l’acide ribonucléique) », poursuit le Pr. Delwaide. Le traitement peut ensuite être supervisé par le médecin traitant. Si le patient présente déjà une cirrhose, l’éradication du virus grâce aux AAD va diminuer son risque de complications (arrêt de l’évolution vers la décompensation hépatique et l’hypertension portale). Par contre, le risque d’hépatocarcinome est réduit mais pas complètement éliminé. « La nécessité de réaliser une transplantation de foie est fortement réduite chez les patients cirrhotiques. Le risque de développer un hépatocarcinome passe de 30 à 6% en 10 ans grâce à la guérison. Dans ce cas, un contrôle du foie - deux échographies par an - doit être réalisé à vie. »