EFP Manifeste 

Ce MANIFESTO invite tous les professionnels des soins bucco-dentaires et de santé à s’investir dans la prévention, le diagnostic précoce et le traitement efficace de la maladie parodontale, afin de combattre leurs effets dévastateurs sur la santé bucco-dentaire et l’état de santé générale des individus et de la société.

Les points de vue et les intentions exprimés dans ce document sont fondés sur l’analyse scientifique rigoureuse de données probantes montrant un lien entre les parodontopathies et les maladies systémiques, menée lors du 9e workshop Européen de Parodontologie. Cet événement a été organisé conjointement par la Fédération Européenne de Parodontologie et l’Académie Américaine de Parodontologie et s’est tenu à La Granja de San Ildefonso, Ségovie, Espagne.

Les experts participant à cette rencontre (novembre 2012) se sont tous accordés sur le fait que la maladie parodontale doit être reconnue comme un problème majeur de santé publique, que tous les professionnels des soins dentaires et de santé doivent avoir accès à des informations appropriées en matière de traitement. De plus, des recommandations doivent être données pour orienter les futures recherches afin d’aider à clarifier ces associations et leurs conséquences en termes de prévention primaire. 

Les conclusions de ce workshop sont ainsi résumées par les informations et objectifs suivants :

1. La maladie parodontale

Initiée par des micro-organismes bactériens, La parodontite est une maladie inflammatoire chronique d’origine multifactorielle ,entraînant la destruction progressive des tissus de soutien des dents, la perte des dents et finalement une dysfonction masticatoire. Cette maladie :

  • est commune
  • réduit la fonction masticatoire
  • est inesthétique
  • provoque la perte des dents
  • est invalidante
  • entraîne une inégalité sociale
  • réduit la qualité de vie
  • a un impact important sur l’augmentation des dépenses publiques de santé.

Les conséquences inhérentes à cette maladie sont potentiellement négatives sur l’état de santé générale. Des études épidémiologiques transversales et prospectives ont montré que la parodontite augmente le risque de déséquilibre glycémique chez les patients souffrant d’un diabète sucré, les risques liés à ces complications ainsi que la morbidité associée. Les interventions parodontales réussies améliorent également la régulation de la glycémie chez le patient souffrant d’un diabète de type 2. La parodontite est aussi associée aux maladies cardio-vasculaires, aux naissances prématurées et aux complications observées lors des grossesses dans certaines populations. En outre, de nouvelles preuves semblent également montrer qu’il existe un lien entre la parodontite et les infections pulmonaires nosocomiales, certains types de cancer et la polyarthrite rhumatoïde.

2. Diabète

Les preuves d’une association entre le diabète et la parodontite sont les suivantes :

  • Plausibilité. Le diabète de type 2 est précédé d’une inflammation systémique entraînant une réduction de la fonction des cellules β pancréatiques, leur apoptose et une résistance à l’insuline. De plus en plus d’évidences tendent à montrer qu’une inflammation systémique élevée (phase aiguë et biomarqueurs de stress oxydatif) est le résultat de la pénétration des organismes parodontaux et de leurs facteurs de virulence dans la circulation, et donc expliquent des mécanismes biologiquement plausibles sous-tendant les effets négatifs de la parodontite sur le diabète et ses complications.
  • Données épidémiologiques. Des preuves fiables et concordantes démontrent qu’une parodontite grave affecte négativement le contrôle de la glycémie chez les patients diabétiques et non diabétiques. En outre, chez les patients diabétiques, il existe une relation directe et dose-dépendante entre la gravité de la parodontite et les complications liées au diabète. Des données récentes indiquent que les patients souffrant d’une parodontite grave risquent de développer du diabète.
  • Etudes interventionnelles. Des études cliniques randomisées ont montré qu’une thérapie parodontale mécanique est associé à une réduction d’environ 0,4 % de l’ HbA1C après trois mois, ce qui représente un impact clinique équivalent à la prescription d’un second médicament à un traitement pharmacologique destiné à traiter le diabète.

3. Maladies cardio-vasculaires

Les évidences d’une association entre les maladies cardio-vasculaires et la parodontite sont les suivantes :

  • Plausibilité. La parodontite provoque l’entrée de bactéries dans la circulation sanguine (bactériémie). Ces bactéries parodontales activent la réponse immunitaire inflammatoire de l’hôte par de multiples mécanismes dont la voie metalloprotéinases-dépendante (impliquée également dans la genèse et l’évolution des maladies cardio-vasculaires) Il a été démontré sur plusieurs modèles animaux que la réponse inflammatoire de l’hôte favorise la formation de plaques d’athérome, leur croissance et leur rupture.
  • Données épidémiologiques. Il existe des preuves épidémiologiques concordantes montrant que la parodontite augmente le risque de développer une maladie cardio-vasculaire dans le futur, indépendamment des autres facteurs de risque.
  • Etudes interventionnelles. Il existe des preuves modérées démontrant qu’un traitement des lésions parodontales réduit l’inflammation systémique, comme la mise en évidence de la réduction du taux de la protéine C réactive et du stress oxydatif, et entrainant l’amélioration des mesures cliniques et biochimiques substitutives de la fonction endothéliale vasculaire.

4. Complications lors de la grossesse

Les preuves d’une association entre les complications observées lors d’une grossesse et la parodontite sont les suivantes :

  • Plausibilité. Les preuves actuelles soutiennent la thèse selon laquelle les micro-organismes oraux et leurs sous-produits entrent dans la circulation sanguine et se dirigent directement vers l’environnement fœtal où ils provoquent une réponse inflammatoire et immunitaire affectant l’unité fœto-placentaire. Une fois dans la circulation, ces bactéries parodontales peuvent également se diriger vers le foie au sein duquel d’autres agents inflammatoires sont produits, et entrent à leur tour dans la circulation et se dirigent vers le fœtus en développement.
  • Epidémiologie. Des études cliniques ont permis de mettre en évidence, après la prise en compte de tous les autres facteurs de risque, une association entre le diagnostic d’une parodontite chez la mère et un faible poids de l’enfant à la naissance, une naissance prématurée et la prééclampsie. Cependant, l’intensité de la relation entre la parodontite et ces complications de la grossesse varie selon les études, L’hétérogénéité des données est probablement due aux différences entre le design des études, aux populations étudiées et aux différentes méthodes utilisées pour évaluer et classifier les parodontopathies.
  • Etudes interventionnelles. Des résultats issus d’études cliniques ont montré que, en général, un détartrage et un surfaçage radiculaire effectués pendant le deuxième trimestre de la grossesse, avec ou sans traitement antibiotique, n’améliorent pas significativement les complications observées tels que la naissance prématurée ou le faible poids à la naissance. Par contre, d’autres études cliniques ont mis en évidence un effet globalement favorable du traitement parodontal sur certaines populations de femmes enceintes. Les raisons permettant d’expliquer les résultats négatifs de certaines études peuvent être liées au fait que d’une part, l’interaction entre la parodontite et les complications observées lors d’une grossesse sont complexes et pas encore complètement comprises et d’autre part, les résultats des études ont pu être influencés par le type de traitement parodontal donné, son moment d’administration et par le type de patients sélectionnés.

5. Autres maladies

Il existe de plus en plus de preuves démontrant une association entre la maladie parodontale et les maladies obstructives chroniques des voies respiratoires, les maladies rénales chroniques, la polyarthrite rhumatoïde, les troubles cognitifs, l’obésité, le syndrome métabolique et certains cancers. A ce jour, la seule preuve d’un lien de cause à effet est l’ínfluence des micro-organismes respiratoires colonisant le biofilm buccal/parodontal et provoquant par la suite une pneumonie nosocomiale chez les patients sous assistance respiratoire

  • Plausibilité. Des pathogènes respiratoires provenant de réservoirs de biofilm buccal/parodontal peuvent être aspirés par certains patients à risque dans les environnements hospitaliers et provoquer une pneumonie nosocomiale.
  • Données épidémiologiques. Les données épidémiologiques tendent à démontrer que le biofilm buccal/parodontal joue le rôle de réservoirs aux pathogènes respiratoires des patients ayant une hygiène buccale médiocre et atteints d’une parodontite, ces pathogènes respiratoires pouvant provoquer une pneumonie nosocomiale.
  • Etudes interventionnells. Des essais contrôlés et randomisés montrent très clairement que l’amélioration de l’hygiène buccale joue un rôle dans la prévention des pneumonies nosocomiales dans les environnements hospitaliers de soins intensifs et les services hospitaliers de long séjour.

6. Recommandations

Ce MANIFESTO demande aux professionnels des soins dentaires de modifier fondamentalement la perception de leurs responsabilités quant à l’état de santé générale des patients et soutient qu’une meilleure prise en charge des besoins des patients passe par le développement d’une collaboration entre la communauté dentaire et la communauté médicale se traduisant par l’application d’approches multidisciplinaires et de lignes directives pour soigner les patients, quel que soit l’endroit où le patient se présente.

a) Diabète

Sur base des données scientifiques actuelles, il est pertinent de proposer aux professionnels de la santé et des soins bucco-dentaires les lignes directives suivantes pour la prise en charge des les patients diabétiques atteints de maladies parodontales et de donner des recommandations aux patients et à la population.

  • Les patients diabétiques doivent être informés qu’un déséquilibre glycémique accroît le risque de maladie parodontale. Il faut également indiquer à ces patients que si ils sont affectés par une parodontopathie, la régulation de leur glycémie sera plus difficile et qu’ils présenteront un risque plus élevé de développer des complications diabétiques, comme une cicatrisation altérée, une maladie cardio-vasculaire ou une maladie rénale.
  • Dans le cadre de leur évaluation initiale, les patients souffrant d’un diabète de type 1, d’un diabète de type 2 ou d’un diabète gestationnel (DG) doivent être soumis à un examen buccal minutieux incluant un examen parodontal complet.
    Pour les patients chez lesquels un diabète de type 1 ou de type 2 a été nouvellement diagnostiqué, un examen parodontal subséquent doit être pratiqué (tel que prescrit par les professionnels des soins dentaires) dans le cadre de la gestion continue de leur diabète. Même si aucune parodontite n’est initialement diagnostiquée, un examen parodontal annuel est recommandé.
  • Les patients diabétiques présentant des signes et symptômes évidents de parodontite (déchaussement des dents non associé à un traumatisme, dents espacées ou écartées et/ou abcès gingival ou suppuration) nécessitent une évaluation parodontale rapide.
    es patients diabétiques ayant perdu un grand nombre de dents doivent être encouragés à suivre une réhabilitation dentaire pour retrouver une mastication adéquate afin de s’alimenter correctement. Tous les patients diabétiques devraient bénéficier d’une éducation en matière de santé bucco-dentaire.
  • Pour les enfants et les adolescents souffrant d’un diabète, un examen oral annuel de dépistage est recommandé à partir de 6 ou 7 ans (en les orientant chez un dentiste). Les patients diabétiques doivent être informés de l’éventuelle ’apparition d’autres affections buccales, telles que la sécheresse de la bouche et le syndrome de la bouche brûlante, si tel est le cas, ils doivent demander conseil auprès de leur dentiste. En outre, les patients diabétiques présentent un risque accru d’infections fongiques buccales et cicatrisent moins bien que les personnes non diabétiques.
  • Les patients non diabétiques présentant cependant des facteurs de risque évidents pour le développement d’un diabète de type 2 et présentant des signes de parodontite doivent être informés sur leur risque de développer un diabète, être soumis à un dosage de l’ HbA1C au fauteuil et/ou être orientés vers un médecin pour pratiquer un test diagnostic de laboratoire approprié et permettre un suivi.
b) Maladies cardio-vasculaires

Des recommandations précises peuvent être faites.

  • Les praticiens doivent prendre conscience que de plus en plus de preuves renforcent la thèse selon laquelle la maladie parodontale est un facteur de risque pour le développement de maladies cardio- vasculaires (atherosclérose, anévrismes, pathologies valvulaire, dissection carotidienne,…) et avertir les patients du risque de l’ inflammation parodontale sur l’état de santé générale
  • Sur la base des évidences scientifiques, les patients souffrant d’une parodontite et présentant d’autres facteurs de risque pour le développement des maladies cardio-vasculaires athérosclérotiques, tels que l’hypertension, le surpoids/l’obésité, la consommation de tabac, hypercholestérolémie, sédentarité, hérédité, etc., et n’ayant en outre pas vu un médecin au cours de l’année précédente, doivent être soumis à un examen médical.
  • Des solutions permettant de réduire les facteurs de risque pour la parodontite (et les maladies cardio-vasculaires athérosclérotiques) associées à un style de vie adapté doivent être abordées au cabinet dentaire et dans le contexte d’un traitement complet des lésions parodontales, à savoir des programmes d’arrêt du tabac et des conseils de changement du mode de vie (régime alimentaire et exercice). Ceci sera réalisé idéalement en collaboration avec des spécialistes appropriés et pourra être bénéfique non seulement pour la cavité buccale mais également pour l’état de santé général.
  • Le traitement d’une maladie parodontale chez des patients ayant déjà un historique d’événements cardio-vasculaires doit suivre les directives de procédures électives de l’association américaine de cardiologie (American Heart Association, AHA).
c) Complications lors de la grossesse

La grossesse est un moment de changements physiologiques profonds. Ceux-ci peuvent affecter la santé buccale de la future maman en raison de l’augmentation du flux sanguin dans les gencives et d’une tendance au gonflement des gencives et à l’apparition d’une parodontite.

Dans le même temps, des résultats de recherche scientifique montrent que nous devons être soucieux de l’impact potentiel d’une santé parodontale médiocre sur l’état de santé générale de la mère et du fœtus en développement. Ainsi, bien que la parodontite ne semble pas être actuellement un véritable facteur de risque pour les complications observées lors d’une grossesse dans la majeure partie de la population, elle peut l’être dans certains groupes spécifiques et, pour cette raison, une attention toute particulière doit être portée sur la santé parodontale des femmes avant (si cela est possible) et tout au long de la grossesse.

d) Pneumonie nosocomiale

Sur la base de données provenant de cinq études contrôlées et randomisées (4 réalisées à l’hôpital et 1 dans un centre de soins pour personnes âgées), les directions suivantes sont recommandées:

  • Le personnel des centres de soins en charge des patients âgés et/ou fragiles doit être formé pour prendre en charge l’hygiène bucco-dentaire des patients incapables de le faire eux-mêmes et pour mettre en œuvre deux fois par jour des séances éducatives d’hygiène bucco-dentaire destinées aux patients capables de les réaliser eux-mêmes.
  • Le personnel hospitalier exerçant dans des services de soins intensifs doit être formé à l’utilisation de méthodes antiseptiques et mécaniques permettant de réduire la charge microbienne buccale des patients ventilés.

7. Futures recherches

Les futures recherches doivent se concentrer sur des aspects spécifiques afin d’obtenir des informations scientifiques fiables dans plusieurs domaines différents.

a) Diabète

Des études cliniques randomisées permettant d’évaluer les effets du traitement des lésions parodontales sur le contrôle de la glycémie sont nécessaires, avec nécessité d’inclure un grand nombre de sujets et d’un un suivi de longue durée. Si les résultats sont confirmés, des traitements d’appoint des lésions parodontales (notamment des médicaments antimicrobiens) devront ensuite être évalués.

b) Maladies cardio-vasculaires

Des études d’interventionelle parfaitement conçues permettant de déterminer l’impact du traitement des lésions parodontales sur la prévention des maladies cardio-vasculaires athérosclérotiques, faisant appel à des résultats cliniques tangibles, tels que la réduction des taux d’infarctus du myocarde et les procédures de revascularisation, sont nécessaires.

c) Complications lors de la grossesse

Des études interventionnelles parfaitement conçues permettant de déterminer l’impact du traitement des lésions parodontales sur la prévention des complications observées lors d’une grossesse doivent être menées . Necessité d’inclure des des populations spécifiques à risque, et d’utiliser des mesures d’exposition bien définies et des interventions parodontales efficaces, pouvant être dispensées dans des périodes de temps optimales lors de la grossesse.

d) Autres affections systémiques

De vastes études épidémiologiques prospectives sur diverses populations sont nécessaires pour confirmer les nouvelles données qui associent les maladies parodontales aux maladies et affections systémiques autres que le diabète, les maladies cardio-vasculaires athérosclérotiques et les complications observées lors d’une grossesse.

Une fois ces données confirmées, il est nécessaire de mettre en œuvre des études interventionnelles parfaitement conçues pour vérifier les bénéfices présumés des interventions parodontales sur la qualité de vie et déterminer les véritables critères d’évaluation de l’affection systémique en question.

8. Coopération

Ce MANIFESTO invite tous les groupes et acteurs impliqués à collaborer :

  • La communauté parodontale et dentaire : parodontologues, dentistes, hygiénistes, autres professionnels des soins dentaires (par exemple, les infirmières, les thérapeutes), sociétés scientifiques et associations dentaires.
  • Les autres professionnels de santé : cardiologues, endocrinologues, gynécologues, médecins généralistes et pharmaciens.
  • Les universités et les centres de recherche, les institutions et les responsables en matière de santé bucco-dentaire.
  • Les entreprises et les bailleurs de fonds.
  • Les patients, les organismes sociaux et les médias.

9. Bénéfices pour la santé

Ce MANIFESTO appelle ses adhérents à faire preuve de la plus grande rigueur scientifique lors de la diffusion d’informations, de recommandations, de lignes directives et de communiqués se rapportant à la maladie parodontale en tant que problème majeur de santé publique. L’apport de bénéfices pour la santé des patients et pour la société sont à rechercher dans toutes les activités permettant d’atteindre les objectifs susmentionnés.