CHUchotis du Jeudi 74 / Le jeudi 7 janvier 2021

COVID-19 | PÉDOPSYCHIATRIE

« La prise en charge de la souffrance psychique des enfants et des jeunes adolescents n’est pas un luxe que l’on peut se permettre de reporter indéfiniment ! », s’inquiète le Pr. Alain Malchair, « c’est une impérieuse nécessité, voire une urgence ! ». Pour le pédopsychiatre, la dégradation de l’accès aux soins de santé mentale liée au mesures sanitaires actuelles risque d’agir comme une « bombe à retardement », avec des effets d’altération du développement psychique, de régression thérapeutique ou encore de décompensation chez les enfants et les jeunes adolescents. D’autres effets secondaires du confinement sont également à craindre, comme « une augmentation inévitable des cas de maltraitance, encore difficile à mesurer ».

S’il avoue s’être moins alarmé lors de la première vague, le spécialiste estime que « la situation apparaît beaucoup plus problématique aujourd’hui, dans la mesure où elle s’installe dans la durée et n’offre pas de perspective d’avenir ». Les mesures sanitaires autant (sinon plus encore) que le contexte pandémique anxiogène peuvent impacter gravement la santé mentale des jeunes : « l’ensemble peut causer ou exacerber une souffrance psychique, a fortiori lorsqu’il y a un trouble psychiatrique préexistant ». Au moment précisément où, en Belgique comme dans la plupart des autres pays du monde, l’accès à une offre de soins pédopsychiatriques est réduit à peau de chagrin.

Qui êtes-vous, Professeur Alain Malchair ?

Chef du Service de psychiatrie infanto-juvénile du CHU de Liège depuis 2015, Alain Malchair devait officiellement passer la main pour prendre sa retraite fin 2019. Mais en attendant son successeur, il poursuit sa charge en tant que directeur administratif : « Dans les faits, il n’y a que mon statut qui a changé », note le pédopsychiatre. Depuis lors, le Service a intégré le Centre de Ressources Autisme Liège (CRAL), Centre de Référence pour le diagnostic et la prise en charge des troubles du spectre autistique.

74- Malchair2- WEB-Souffrance psychique des jeunesEn plus des consultations et des cours qu’il continue à dispenser au Département des sciences cliniques de l’ULiège, Alain Malchair consacre un mi-temps à La Manivelle, un hôpital de jour liégeois pour enfants autistes et psychotiques, en tant que directeur médical.

.Les publications scientifiques du pr alain malchair

Confinement et détresse psychique

Le développement de l’enfant dépend en partie du social, estime le Pr. Alain Malchair : « la vie sociale est tout aussi importante qu’une stricte vie sanitaire. Or chez les enfants le risque sanitaire se révèle moindre que le risque psychique ». C’est d’ailleurs ce qui a motivé la réouverture des écoles, que le pédopsychiatre voit à l’instar de nombre de ses homologues comme « une priorité absolue en tant que dernier refuge de la vie sociale pour beaucoup d’enfants – et dans une moindre mesure pour les adolescents, plus autonomes, qui trouvent des moyens de contourner les mesures de confinement ». Sans les écoles, l’enfant est souvent entièrement livré à un contexte familial fort dégradé pour certains. 

74- Classe3- WEB-Souffrance psychique des jeunes Plusieurs études européennes et américaines ont révélé divers signes de détresse psychique chez les enfants dans environ 40 % des familles durant la pandémie : irritabilité, apathie, anxiété… Près d’un quart des enfants manifesteraient des troubles du sommeil (fatigue chronique, cauchemars, insomnie…) et de l’appétit, ainsi qu’une inquiétude par rapport à la mort d’un proche. Dans un communiqué de presse du 5 octobre dernier, l’OMS estime en outre que « le deuil, l’isolement, la perte de revenu et la peur entraînent ou aggravent des pathologies mentales ».

Des chercheurs anglais se sont également penchés sur l’impact de l’isolement social sur la santé mentale des jeunes de 4 à 21 ans, à travers une revue de la littérature scientifique de 1946 à fin mars 2020. Publiée en juin dernier dans le Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, leur analyse met en évidence une corrélation forte entre une solitude prolongée et un risque accru de problèmes de santé mentale, en particulier un risque de dépression multiplié par trois à court et à long terme (le critère de durée de la solitude étant plus déterminant que son intensité). Selon les chercheurs de l’université de Bath, il faudra sans doute dix ans pour pouvoir évaluer l’impact du confinement sur la santé mentale.

La notion de porteur sain est incompréhensible

La question de la contamination dans le cadre d’une maladie largement asymptomatique chez les jeunes s’avère pour le Pr. Malchair « particulièrement problématique. D’une part, la contradiction entre le haut niveau de contraintes qui leur sont imposées et l’absence de symptômes ressentis paraît incompréhensible, en particulier chez le petit enfant. La conscience claire de la mort n’arrive que vers 7 ans ! D’autre part, l’idée d’être soi-même un vecteur de mort, c’est-à-dire de représenter un danger potentiellement mortel pour des personnes qu’il aime est un facteur extrêmement déséquilibrant, a fortiori chez un jeune en souffrance ».

74- Incompréhension04- WEB-Souffrance psychique des jeunesMille questions se posent, souvent sans réponse : « Suis-je contaminé ? Puis-je voir ma grand-mère sans risquer de la tuer ? Puis-je embrasser ma copine sans danger ? », etc. De ce point de vue, l’écho médiatique retentissant autour de l’hypothèse des enfants « supercontaminateurs » a contribué à « alimenter une angoisse de fond autour d’un danger omniprésent et pourtant invisible, susceptible d’impacter durablement leur développement psycho-affectif ».

Nous autres adultes gérons cette période comme un stress plus ou moins traumatique. Chez un enfant, la crise vient percuter un monde encore en construction et peut altérer son développement psychique global.

Professeur Alain Malchair, Chef du Service de psychiatrie infanto-juvénile du CHU de Liège

Une perte de repères sans précédent

« L’enfant a besoin de certitudes. Or la période que nous traversons depuis quelques mois est marquée par des incertitudes immenses à de multiples niveaux, créant un environnement très déstabilisant ». Incertitude liée aux aléas du testing et du tracing, aux mesures sanitaires changeantes, souvent floues ou contradictoires ; à la reprise scolaire ou non, avec ses règles parfois incompréhensibles ; à l’avenir y compris immédiat ; etc. « Ils se posent souvent des questions très concrètes : fêtera-ton Saint-Nicolas ? Comment vais-je prendre le bus pour aller à l’école ? Quand puis-je revoir mes amis ? ».

Dans ce contexte, « l’enfant ne sait plus ce qui est bon ou mauvais, ce qu’il peut faire ou non, et peine à trouver de la réassurance du côté de parents souvent démunis, eux-même hyper anxieux et pris dans un jeu irrationnel. L’angoisse des parents se répercute souvent sur l’enfant, qui réagit comme une éponge et ne trouve plus d’autorité cohérente à laquelle se référer ». Le mécanisme est toutefois moins marqué chez les adolescents, « qui se réfèrent plus volontiers à leurs pairs ».

74- Sport05- WEB-Souffrance psychique des jeunes Pour certains auteurs (Ghosh et al., 2020), les mesures de confinement auraient davantage d’impact sur la santé mentale des enfants et des adolescents que le virus lui-même. Ils pointent du doigt les effets délétères du bouleversement de la vie quotidienne (sommeil, alimentation, activité physique, scolarité, loisirs, horaires, etc.), associé à un développement d’habitudes de vie malsaines. Pour le Pr. Malchair, « il s’agit d’une perte de repères sans précédent dans leur mode de vie, alors que les enfants ont besoin de  constance et de régularité pour se développer. Les conséquences peuvent être désastreuses en particulier chez les jeunes patients psychiatriques, qui ont plus de difficulté à prendre du recul, à se montrer lucides et à comprendre les raisons de ce bouleversement. D’autant plus que leur pathologie n’est plus prise en charge (ou moins bien) pour une durée indéterminée… ».

Un contexte propice aux maltraitances

« Le virus est très antidémocratique », entame le pédopsychiatre, constatant que « les enfants sont inégaux face à la pandémie ». Le confinement se vit de manière très différente dans une maison à la campagne ou au dixième étage d’un immeuble urbain… « Et il n’y a pas que dans la grande précarité que cela pose problème ». Pour le Pr. Malchair, l’impact du confinement sur les problèmes de maltraitance est une question « quasiment éthologique : chez n’importe quelle espèce animale, des individus enfermés dans un espace trop petit finiront par se battre ! L’effet d’encombrement et de surcharge de l’espace de vie signe la perte de l’espace privé et de l’intimité. L’augmentation des cas de maltraitance est inévitable, même si on en évalue encore mal l’ampleur ». 

« Le confinement temporaire peut s’envisager de manière relativement sereine pour les enfants qui disposent de ressources adaptatives suffisantes et vivent dans un contexte familial équilibré. Mais il se révèle beaucoup plus problématique chez les enfants qui demandent davantage d’attention ou qui présentent une souffrance préexistante, ou dans des contextes familiaux difficiles ». A fortiori lorsque la situation se prolonge, que la scolarité ne connaît toujours pas un réel retour à la normale et que certaines institutions de soins gardent leurs portes fermées.

74- Solitude06- WEB-Souffrance psychique des jeunesLe pédopsychiatre déplore des situations dramatiques « de nombreux jeunes hébergés en institution, soit enfermés sans possibilité d’activité extérieure, soit renvoyés dans leur famille sans aucun accompagnement. S’ils ont été placés en institution, ce n’est pas pour rien… La famille peut représenter un danger pour l’enfant mais l’inverse est également vrai, lorsque le jeune se montre par exemple violent avec ses proches ». Dans les deux cas, on s’expose à une « exacerbation des pathologies préexistantes sur le plan individuel autant que systémique/familial, avec un risque réel de décompensation ! ».

Des soins dégradés dans trois quarts des pays

L’enjeu de l’accès aux soins de santé mentale pour la jeunesse dépasse largement le cadre de la Belgique. Une étude de l’OMS menée à travers 130 pays entre juin et août 2020 révèle que la crise sanitaire a perturbé voire même interrompu les services de santé mentale essentiels dans 93 % de ces nations. 72 % des pays signalent de graves perturbations des services de santé mentale spécifiquement destinés aux enfants et adolescents, « au moment même où ils sont le plus nécessaires ». En outre, 30 % des États connaissent des perturbations de l'accès aux médicaments dédiés au traitement des troubles mentaux, neurologiques ou liés à l'usage de substances psychoactives.

74- Soins07- WEB-Souffrance psychique des jeunes En dépit des efforts effectués par certaines institutions pour maintenir une continuité des soins notamment grâce aux téléconsultations, « on observe une chute drastique de fréquentation et de nouveaux diagnostics, passés de deux ou trois par jour à un ou deux par semaine », dénonce le Pr. Malchair. Autrement dit, nombre de jeunes en souffrance n’ont pas accès aux soins et sortent des radars. Il souligne par ailleurs les limites des téléconsultations notamment dans certains contextes familiaux : « à l’écran, on ne peut pas savoir si l’enfant est à l’aise ou si un parent surveille la conversation dans la pièce, par exemple. On les sent parfois méfiants ou hésitants à répondre ».

À huit mois de recul, le pédopsychiatre s’inquiète de la « régression parfois importante des bénéfices thérapeutiques. Certains enfants régressent tellement que le thérapeute n’arrive même plus à entrer en contact ou à interagir avec eux ! ». Un bilan provisoire qui promet de s’alourdir à long terme, vu l’effet retard de la crise sanitaire sur la santé mentale.

Message aux médecins traitants

Altérations du développement psycho-affectif, augmentation des cas de maltraitance, développement ou exacerbation de troubles psychiatriques, régression thérapeutique : les dommages collatéraux de la crise sanitaire sur la santé mentale des enfants et des adolescents sont nombreux « et encore largement invisibles... Si on ne prend pas en compte cette souffrance majeure de toute urgence, elle va agir comme une bombe à retardement ! ».

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