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  Le jeudi 15 octobre 2020

[Semaine de la douleur] L’intérêt d’une approche biopsychosociale

EDITO 72 - [Semaine de la douleur] L’intérêt d’une approche biopsychosociale 
 
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CHUchotis Oncologique

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C’est la quatrième prévalence la plus élevée en Europe : 23 % de la population belge sont atteints de douleur chronique, dont plus d’un tiers souffre de douleurs intenses (≥ 8 sur une échelle de 0 à 10) qui affectent gravement leur qualité de vie. Un million de Belges sont concernés, dont une majorité de femmes, principalement parmi la population active avec un âge moyen de 48 ans.[1]

Du côté des soignants, les études montrent que les douleurs chroniques non oncologiques et non associées à une pathologie sévère tendent à être largement sous-évaluées. D’où la nécessité de généraliser des procédures d’évaluation de la douleur, indispensables à une prise en charge adaptée. Répondant à cet enjeu, le CHU de Liège s’est engagé dans un processus d’accréditation exigeant, visant des standards de qualité en matière d’évaluation et de prise en charge de la douleur ainsi que d’éducation thérapeutique du patient.

Du côté du grand public, trop de patients hésitent à consulter pour une douleur aiguë après un traumatisme ou une opération, pensant que la douleur est « normale ». Et nombreux sont ceux qui restent longtemps dans le silence ou l’errance médicale avec une douleur chronique, jusqu’à des stades difficilement réversibles sur le plan social, physique, professionnel, psychologique... À la clé, une surconsommation de soins et de médications inadaptés avec des effets délétères.

 

« 10 % des douleurs post-opératoires deviennent chroniques.
Une douleur aiguë non soulagée représente un risque majeur de chronicisation »

Pr. Jean Joris

 

Quant aux médecins traitants, 40 % d’entre eux se déclarent démunis face à un syndrome douloureux résistant aux traitements, selon une étude réalisée par le bureau Dimarso (Belgian Pain Society, 2000). Or leur rôle est primordial : 85 % des patients douloureux chroniques suivent les conseils de leur généraliste pour s’orienter ou non vers d’autres spécialistes, d’après une étude réalisée par Insites Consulting (Patient Survey, 08-09/2010). Seuls 13% contactent d’autres thérapeutes de leur propre chef.

 

Qui êtes-vous Professeur Jean Joris  ?

Chef de Service associé au Département d’anesthésie - réanimation du CHU de Liège depuis 2005, Jean Joris a décroché successivement son diplôme en médecine chirurgie accouchement (1982), puis en anesthésie-réanimation (1988) à l’Université de Liège. Il collabore à l’époque avec un laboratoire américain (National Institutes of Health, Bethesda, 1985-1987) pour ses recherches de thèse, visant à mettre au point un modèle de douleur inflammatoire. Depuis ses débuts, Jean Joris s’est investi en chirurgie abdominale, endocrine et transplantation, domaine dans lequel il s’est spécialisé.

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Son intérêt précoce pour le confort du patient chirurgical aura marqué toute sa carrière, en clinique comme en recherche. Vice-président de GRACE (Groupe francophone de Réhabilitation Améliorée après ChirurgiE), il participe à l’implémentation de la RAC (réhabilitation améliorée après chirurgie) dans différents hôpitaux. Son leitmotiv : atténuer le stress chirurgical par des mesures pré-, per- et post-opératoires pour en minimiser les répercussions, faciliter la récupération et réduire les complications post-opératoires.

Jean Joris a quatre grands enfants aux carrières contrastées (dans l’informatique, la communication d’entreprise, la chirurgie et la bio-ingénierie) et déjà trois petits-enfants. Et à ses temps perdus, on peut le voir dévaler en VTT les chemins boisés d’Esneux.

 

Qui êtes-vous Docteur Dominique Libbrecht ?

Dominique Libbrecht est médecin anesthésiste-réanimateur et algologue au Centre Interdisciplinaire d’Algologie du CHU de Liège. Diplômée en médecine (1986) et en anesthésie-réanimation (1991) à l’Université de Liège, elle consacre sa thèse à l’étude des douleurs neuropathiques et aux premières stimulations médullaires réalisées au CHU de Liège, en collaboration avec le service de Neurochirurgie.

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Dès ses stages, la jeune médecin se sent profondément interpellée par la douleur des patients qu’elle observe en post-opératoire, et qu’on ne soulage pas efficacement. Cette prise de conscience allait décider sa carrière : anesthésiste, algologue, elle travaillera aussi pendant 15 ans au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs avant d’officier à temps plein au Centre de la douleur à partir de 2002. Au fil du temps, elle s’est enrichie de ses multiples collaborations « avec des médecins de toutes spécialités, qui ont fait de moi une sorte de super-généraliste ». Au cœur de son métier, Dominique Libbrecht place en tête de ses valeurs l’empathie et l’écoute de ses patients « qui ont parfois perdu confiance en la médecine ».

Dominique Libbrecht est mère de deux fils de 26 et 31 ans, l’un informaticien et l’autre policier. Amoureuse de jardinage et de nature, elle se plonge volontiers dans la lecture de polars, dont les enquêtes l’inspirent pour démêler les fils des « cas complexes » qu’elle rencontre parmi ses patients.

 

Qui êtes-vous Docteur Robert Fontaine ?

Robert Fontaine est Chef de clinique et coordinateur du Centre Interdisciplinaire d’Algologie. Diplômé en médecine (1980) et en anesthésie-réanimation (1984), il collaborera au Centre de la douleur du CHU de Liège dès 1986. Il officie ensuite plusieurs années à la Clinique d’Arlon, et décroche parallèlement un diplôme interuniversitaire (DIU) en algologie à Lille (2002).

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En 2004, il est rappelé à Liège par le Centre de la douleur, qu’il réintègrera pour ne plus le quitter. La demande était telle que progressivement, il y a exercé ses activités à temps plein. Pour Robert Fontaine, « la douleur est une spécialité à part. Gérer des cas parfois lourds, des patients fortement handicapés demande une certaine maturité… et un bagage émotionnel solide »

Mais la difficulté du métier fait aussi sa beauté : « on voit arriver des personnes qui souffrent énormément et qui ont vécu un véritable parcours du combattant. Lorsqu’on peut leur apporter un soulagement, lorsqu’on les voit enfin revivre, c’est miraculeux… Et pour moi la plus grande des récompenses ».

Installé à Bastogne, Robert Fontaine profite de l’Ardenne pour marcher ou se balader à vélo… Il ne rechigne pas non plus au jardinage « musclé » pour entretenir son grand terrain : « j’adore débroussailler, tondre ou même tronçonner des arbres ! », confie-t-il. Marié depuis près de 40 ans, il est aussi deux fois père et quatre fois grand-père.

 

Qui êtes-vous Professeur Marie-Élisabeth Faymonville ?

Chef de service émérite du Service d’Algologie du CHU de Liège, Marie-Élisabeth Faymonville est Professeur de médecine anesthésiste et chercheuse au GIGA Coma-5 Group (Centre d’Étude de l’Hypnose et de la Douleur), au sein duquel elle explore le fonctionnement du cerveau sous hypnose. Internationalement renommés et pionniers dans ce domaine, ses travaux ont initié l’usage de l’hypnose comme alternative à l’anesthésie générale au CHU de Liège à partir des années 1990.

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Elle a ensuite adapté les techniques d’hypnose en oncologie et en soins palliatifs avant de les implémenter en algologie, lorsqu’elle est devenue responsable du Service. « Ce que j’aime dans cet outil, c’est qu’il est respectueux du patient et qu’il s’intéresse à ses ressources davantage qu’à ses problèmes ».    

Mère de trois garçons (dont un anesthésiste convaincu du potentiel de l’hypnose en soins intensifs), Marie-Élisabeth Faymonville vit à Embourg. Retraitée, elle ne travaille plus qu’à mi-temps et en profite pour s’occuper de ses quatre petits-enfants. Elle est surtout une adepte des « plaisirs simples », comme elle les appelle : « cuisiner, jardiner, voyager, me promener… ».

 

Quand la douleur devient une maladie en soi

Lorsqu’une douleur perdure (ou réapparaît de manière récurrente) durant plus de trois à six mois ou au-delà de la durée normale de guérison et qu’elle résiste aux traitements habituels, elle est devenue chronique. Autrement dit, elle cesse d’être un symptôme pour devenir une maladie en soi, avec d’importantes répercussions professionnelles, sociales, familiales et psychologiques. Une maladie qui peut fortement dégrader la qualité de vie.

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Parmi ses conséquences, on peut citer :

  • Une baisse d’immunité et une plus grande vulnérabilité aux maladies
  • Des troubles du sommeil et de l’appétit
  • Une dépendance aux médicaments entraînant des effets secondaires
  • Des pertes fonctionnelles, une fonte musculaire et un déconditionnement physique
  • Une perte d’autonomie, une dépendance à la famille et aux soignants
  • Une diminution voire une disparition des activités récréatives (hobbies, sorties, promenades…)
  • Des difficultés professionnelles : absentéisme, abandon de carrière…
  • Un appauvrissement lié à la perte de revenus et la multiplication des soins
  • Un isolement social et familial 
  • De l’anxiété : amertume, frustration, dépression… pouvant mener au suicide

« La douleur chronique est une expérience à la fois sensorielle et émotionnelle. C’est un phénomène complexe, qui dépend de facteurs biologiques mais aussi psychologiques et comportementaux, ainsi que sociaux », rappelle le Dr Dominique Libbrecht. Cette complexité explique que l’approche exclusivement médicamenteuse échoue à soulager la plupart des patients (68 %).

 

Comment une douleur devient-elle chronique ?

Les causes les plus fréquentes de douleur chronique sont les maladies articulaires telles que l’arthrite ou l’arthrose, suivies par les hernies discales et les discopathies. Viennent ensuite les douleurs post-opératoires et post-traumatiques… bien avant les maladies chroniques.

72 - 04 Causes de la douleur

Source : rapport d’étude commandée par le SPF Santé publique,  « Prise en charge de la douleur chronique en Belgique », 2011

 

Non soulagée, une douleur aiguë risque de devenir chronique

Dans nombre de cas, la douleur chronique trouve son origine dans une douleur aiguë dont la cause a pourtant été traitée. Le Pr. Jean Joris explique : « une douleur aiguë, si elle n’est pas soulagée, représente un risque majeur de chronicisation ». D’où l’importance d’une prise en charge performante de la douleur dès son apparition, en particulier en post-traumatique et post-opératoire.

Or « actuellement, 10 % des douleurs post-opératoires deviennent chroniques. Certaines interventions sont plus à risques que d’autres, comme la chirurgie thoracique, la chirurgie du sein ou encore l’amputation », alerte le spécialiste. Le problème est que beaucoup de patients hésitent à consulter et demeurent avec une douleur aiguë ou subaiguë suite à une chirurgie ou un traumatisme, pensant que la douleur est « normale ».

L’objectif de la prise en charge en post-opératoire « n’est pas de supprimer totalement la douleur (ce qui suppose des doses d’analgésiques exposant le patient à des effets secondaires contre-productifs), mais de parvenir à un seuil de douleur tolérable assurant le confort du patient tout en permettant sa revalidation. Une prise en charge efficace de la douleur post-opératoire, élément clé des protocoles de réhabilitation améliorée après chirurgie, facilite la mobilisation précoce, contibue à réduire la durée d’hospitalisation, les taux d’infections et de complications post-opératoires, et permet une reprise rapide des activités, tout en réduisant le risque de chronicisation des douleurs ».

Comment expliquer le processus de chronicisation ?

« Lorsqu’une douleur perdure dans le temps, elle entraîne de nombreuses conséquences dans le fonctionnement de la personne », analyse le Dr Dominique Libbrecht :

  • altérations fonctionnelles et structurales du système nociceptif (nerfs périphériques, moelle épinière, cerveau) entraînant une « sensibilisation centrale » et une « mémoire de la douleur » (notamment suite à une douleur aiguë insuffisamment traitée) qui contribue à entretenir et amplifier celle-ci ; 
  • modification du contrôle moteur et de la mobilité, qui s’ils peuvent être utiles face à une douleur aiguë, sont susceptibles d’entretenir une douleur qui perdure ;
  • troubles du sommeil engendrant une moindre efficacité des contrôles endogènes inhibiteurs de la douleur ;
  • modifications cognitives et focalisation sur la douleur qui devient réellement envahissante ;
  • modifications émotionnelles, anxiété et dépression qui impactent la perception de la douleur ;
  • retrait social, difficultés professionnelles et familiales qui favorisent l’anxiété, la dépression, la focalisation…

« Ces modifications instaurent de nombreux cercles vicieux qui entretiennent et amplifient la douleur ». L’installation d’une douleur chronique est donc un processus graduel qui fait intervenir de multiples aspects, y compris certains facteurs préexistants à la douleur.

Facteurs psychosociaux prédisposant à une chronicisation :

  • attitudes et croyances : catastrophisme, hypervigilance, croyance que la douleur signale la présence d’un danger qui doit être aboli avant la reprise des activités
  • émotions : peur, anxiété face à la douleur, dépression
  • comportements passifs, évitement des activités et repos excessif 
  • famille surprotectrice ou négligente 
  • travail monotone, stressant ou peu valorisant 
  • facteurs iatrogènes : diagnostics contradictoires, dramatisation, conseils inadéquats (repos…)

 

Pourquoi évaluer la douleur ? La douleur est le cinquième signe vital. Pourtant, elle ne se voit pas. Certaines causes paraissent évidentes : un cancer, un accident de voiture, une maladie grave… D’autres sont bénignes mais peuvent être intenses et durer des mois, des années, voire toute une vie.

Les études montrent que les soignants comme l’entourage du patient ont tendance à sous-évaluer les douleurs chroniques non oncologiques et non associées à une pathologie sévère. Dans ce contexte, le CHU de Liège œuvre actuellement à la généralisation de procédures spécifiques d’évaluation de la douleur, mises en place pour différents types de population adulte – y compris pour les patients non communicants (gériatrie, soins intensifs…). Parce qu’on ne soigne bien que ce qu’on mesure !

 

La prise en charge biopsychosociale

Chez le douloureux chronique, les modifications du fonctionnement biologique, psychologique et social sont souvent en partie irréversibles. A fortiori quand les patients ont mis dix ans avant d’être pris en charge en centre de la douleur. 30 % d’entre eux arrivent désocialisés, déprofessionnalisés, isolés, invalidés, déprimés… L’objectif de la prise en charge n’est pas toujours de « guérir » la douleur, mais d’aider le patient à mieux la gérer.

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Soigner une douleur chronique suppose de prendre en charge l’ensemble des aspects de la maladie. Pour le Dr Robert Fontaine, « le corps et l’esprit sont indissociables. La douleur a des conséquences psychologiques, et à l’inverse, un problème psychologique peut engendrer des douleurs. On ne peut soigner l’un de ces aspects sans que l’autre n’interfère ». C’est pourquoi le Centre Interdisciplinaire d’Algologie défend une approche globale de la douleur, selon un modèle « biopsychosocial ».

« Nos équipes sont essentiellement composées d’anesthésistes algologues mais aussi de médecins spécialisés en médecine physique, de neurochirurgiens, de psychologues et psychiatres, d’une assistante sociale… » qui travaillent de concert en fonction des besoins somatiques et psychologiques de chaque patient. « Chaque cas est examiné par nos spécialistes puis discuté en réunion pluridisciplinaire, pour établir les meilleures options de traitement et d’aide à la gestion de la douleur », explique le chef de clinique.

Leur mission 


Apprendre aux patients à vivre avec leur douleur, à la gérer au mieux pour retrouver autonomie et qualité de vie

 

  • Techniques interventionnelles non chirurgicales

« Une part importante de nos activités est consacrée aux techniques interventionnelles non chirurgicales indiquées pour certaines douleurs musculo-squelettiques ou neuropathiques (telles que lombalgies, cervicalgies, sciatiques, etc.) Nous pratiquons notamment des infiltrations à visée diagnostique ou thérapeutique, des rhizotomies, des stimulations médullaires… Bien employées, ces techniques permettent dans de nombreux cas d'éviter des interventions chirurgicales aussi bien qu’une surconsommation d'antalgiques », détaille Robert Fontaine.

 

  • Gestion du traitement médicamenteux

Pour le Dr Dominique Libbrecht, « l’objectif est aussi d’adapter voire de réduire les traitements médicamenteux (en particulier supprimer le recours aux opioïdes forts) mais aussi de diminuer la dépendance aux soins (réduction des procédures invasives, des hospitalisations, des consultations) pour favoriser une reprise des activités quotidiennes, professionnelles, récréatives… ».

 

  • Éducation thérapeutique du patient

La psychoéducation vise l’autogestion du problème de douleur chronique par le patient et la réduction de sa détresse. « Pour y parvenir, nous proposons à nos patients des séances d’éducation thérapeutique sur les mécanismes de la douleur, le bon usage des médicaments, le sommeil, le fractionnement des activités… », détaille le Dr Dominique Libbrecht. « Mais aussi un apprentissage de techniques d’auto-bienveillance, de gestion du stress et de la douleur grâce à l’hypnose, la relaxation ou encore la musicothérapie ».  

 

L’auto-hypnose pour gérer la douleur au quotidien

C’est au CHU de Liège qu’ont été menées les premières expériences d’opération sous hypnose comme alternative à l’anesthésie générale, il y a 30 ans, sous l’impulsion du Pr. Marie-Élisabeth Faymonville. Dès 2008, ces techniques ont été implémentées avec succès pour les patients douloureux chroniques au sein du Centre de la douleur (aujourd’hui rebaptisé Centre Interdisciplinaire d’Algologie).  

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« L’hypnose est un don que chaque individu possède », sourit le Pr. Marie-Elisabeth Faymonville. « Que l’on soit virtuose ou apprenti, c’est une ressource extraordinaire que l’on peut mobiliser contre la douleur. Une fois initiés aux techniques, les patients peuvent les utiliser eux-mêmes au quotidien, sans être dépendants des soignants ni de l’hôpital ». Les seules contrindications « sont d’ordre psychiatrique : la pratique de l’hypnose favorise la dissociation, qui peut s’avérer problématique dans des cas de schizophrénie par exemple ».

 

Comment l’auto-hypnose agit-elle contre la douleur ?

« Dans les phénomènes de douleur chronique, les émotions, les comportements et les pensées influent sur les sensations perçues par le cerveau. En travaillant sur ces trois composantes, on modifie la perception sensorielle de la douleur », explique l’algologue. « Les émotions négatives comme la tristesse, la colère ou le découragement modifient le comportement : la douleur fige alors le patient et prend le pouvoir sur sa vie ».

Concrètement, les séances de formation visent à « fournir aux patients des outils théoriques et pratiques axés sur l’auto-bienveillance et la confiance en soi… Deux séances sont spécifiquement dédiées à l’hypnoanalgésie, et permettent par exemple d’insensibiliser une zone du corps ».

À ce jour 10.000 patients ont été formés à l’auto-hypnose au Centre Interdisciplinaire d’Algologie. La technique a largement fait ses preuves, y compris dans le cadre de maladies telles que la sclérose en plaques : « On ne supprime pas complètement toute douleur, mais on parvient à la soulager, à réduire le recours aux médications, à favoriser le sommeil, à diminuer l’anxiété et la dépression… 85 % de nos patients retrouvent ainsi une meilleure qualité de vie au quotidien ».

 

Message aux médecins traitants

La consommation d’antidouleurs ne cesse de croître ces dernières années. En 2006, une enquête européenne révélait déjà que 42 % des Belges consommaient régulièrement des AINS ; 15 % des opioïdes faibles pour lutter contre les douleurs ; et 7 % des opioïdes forts (Breivik et al., « Survey of chronic pain in Europe : prevalence, impact on daily life, and treatment », Eur J Pain). Or, selon les estimations de l’INAMI, la consommation d’analgésiques opioïdes a doublé entre 2006 et 2016 !

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Les douleurs chroniques non cancéreuses sont plus réfractaires aux traitements médicamenteux que les douleurs oncologiques.

Les antidouleurs sont en première ligne des traitements utilisés pour soigner la douleur chronique. Cependant les médications échouent dans 68 % des cas à soulager les patients (Breivik et al., 2006). « Parce que la douleur n’est pas exclusivement biologique : elle est un phénomène complexe, qu’il faut prendre en charge dans son ensemble », rappelle le Dr Dominique Libbrecht.

Performante pour traiter les douleurs aiguës, l’approche médicamenteuse est donc insuffisante pour traiter les douleurs au long cours, et expose les patients à des effets secondaires délétères. En particulier les opioïdes, qui provoquent une forte dépendance et s’accompagnent d’effets secondaires importants (dépression respiratoire, somnolence, nausées, étourdissements voire chutes chez les sujets âgés…) qui ne favorisent guère la réadaptation du patient.

De surcroît, l’usage prolongé d’opioïdes « entraîne une hyperalgésie, et fait courir le risque d’une overdose potentiellement mortelle », alerte le Pr. Jean Joris.

 


[1] Données issues d’un rapport d’étude à l’initiative du SPF Santé publique, « Prise en charge de la douleur chronique en Belgique : passé, présent et futur », réalisé par l’ULiège en collaboration avec l’UAntwerpen, l’UCLouvain, l’UGent et la KULeuven, 2011. 

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