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  le 13 février 2020

Programme de dépistage des nouveau-nés : adieu l’amyotrophie spinale ?

EDITO 64 - Programme de dépistage des nouveau-nés : adieu l’amyotrophie spinale ?  
 
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64 - 00 - Intro 

L’amyotrophie spinale (Spinal Muscular Atrophy- SMA) est une maladie neuromusculaire rare (1/10 000) qui touche les enfants dès la naissance. Elle entraîne la mort prématurée des motoneurones et la perte motrice chez les enfants atteints, qui se traduisent par une faiblesse et une atrophie musculaires plus ou moins sévères. Certains décèdent dans les premiers mois de vie. D’autres vivront lourdement handicapés. 

On recense cinq types de SMA, dont le chiffre est inversement proportionnel à la sévérité de la maladie : « depuis le type 0, le plus grave, qui se manifeste in utero, jusqu’au 4, le moins sévère, qui ne débute souvent qu’à l’âge adulte.

A Liège, le programme pilote de dépistage néonatal de la SMA est mené conjointement par le Centre de Référence des Maladies Neuromusculaires du CHR de Liège, le Service de Génétique du CHU de Liège et le Centre de Dépistage Néonatal de Liège. Une expertise porteuse d’espoir pour de nombreuses familles !

 

Qui êtes-vous Docteur François Boemer ?

La génétique le fascine depuis le début de sa formation : « le domaine évolue constamment, sans cesse propulsé par les nouveautés technologiques ». C’est ce qui l’a mené à se spécialiser en Biologie clinique au terme de ses études de Pharmacie à l’ULiège. Le Dr François Boemer dirige depuis maintenant quinze ans le Laboratoire de Biochimie Génétique au sein du Service de Génétique Humaine du CHU de Liège, reconnu comme centre de référence national pour le dépistage néonatal.  

64 - 01 - Boemer 

Ce qui nourrit au quotidien son enthousiasme, c’est de « pouvoir identifier des maladies au niveau moléculaire ». En tant que responsable du Centre de Dépistage Néonatal de Liège, François Boemer aura participé à quelques petites révolutions.

« Le Centre a commencé ses activités dans les années 1960 avec les premiers dépistages de la phénylcétonurie, retrace le chercheur. S’y sont progressivement ajoutés d’autres dépistages, tels que celui de l’hypothyroïdie congénitale, des aminoacidopathies, de la galactosémie et d’autres maladies métaboliques. Depuis tout récemment, nous réalisons aussi le dépistage systématique de la mucoviscidose, officialisé en FWB début de cette année », se réjouit le généticien. Et puis, surtout, il y a ce projet pilote innovant de dépistage de la SMA, couronné de succès, auquel il n’est pas peu fier de participer.

A 43 ans, François Boemer tient la forme, entre le running, une vie sociale épanouie et ses fréquents voyages en Espagne, d’où est originaire son épouse. Une chance pour leurs deux jeunes enfants : « on parle espagnol à la maison ! », s’amuse le père de famille.

→ Les publications scientifiques du Docteur François Boemer

 

2018-2020 : un « sans faute » pour le programme pilote de dépistage SMA !

Ce qui a radicalement changé la donne, c’est l’arrivée de nouveaux traitements innovants contre la SMA (lire ci-dessous) dans le courant de l’année 2017. Désormais, les enfants pouvaient survivre et même réaliser certains progrès moteurs, bien qu’en demeurant lourdement handicapés.

Cette révolution thérapeutique a stimulé l’hypothèse à l’origine du programme pilote de dépistage de la SMA, dans la foulée des tests menés à Taïwan et dans l’Etat de New York. « Nous voulions démontrer l’intérêt d’un dépistage systématique de la SMA dès la naissance. L’idée était qu’il permettrait la prise en charge précoce de ces enfants, à un stade où les motoneurones sont encore nombreux, et améliorerait significativement l’efficacité des traitements. Car lorsqu’on traite les petits patients à quelques semaines, il est déjà trop tard : la perte de motoneurones est irréversible », explique le Dr François Boemer.  

64 - 02 - Sans faute

L’équipe s’est rapidement constituée autour du Pr. Laurent Servais et du Dr T. Dangouloff (Centre de Référence des Maladies Neuromusculaires du CHR de Liège – CRMN), du Pr. Vincent Bours, du Dr J.-H. Caberg et du Dr V. Dideberg (Service de Génétique Humaine du CHU de Liège) et du Dr François Boemer (Centre de Dépistage Néonatal du CHU de Liège). Le premier bébé est screené le 5 mars 2018, inaugurant le dépistage systématique en région liégeoise.

 

Traiter les enfants avant même l’apparition des premiers symptômes est la seule façon d’assurer leur survie et de leur éviter des handicaps moteurs lourds.

Aujourd’hui, le Dr Boemer se félicite des résultats du programme : « Depuis son initiation, le screening nous a permis d’identifier huit nouveau-nés porteurs de la SMA et nous les avons tous pris en charge de façon présymptomatique. Les plus âgés ont aujourd’hui près de deux ans. Tous évoluent très bien et auront probablement la chance d’avoir une vie normale, alors qu’autrement ils seraient peut-être décédés ». Un succès inespéré, à tel point qu’un an après son lancement, l’ULB et l’UCL intégraient à leur tour le projet, couvrant ainsi l’ensemble des naissances en FWB. Soit 55.000 nourrissons par an !

 

Un simple test de Guthrie, sans prélèvement supplémentaire

Concrètement, le dépistage se fait chez tous les bébés à la maternité. Parfaitement sans risque : aucun prélèvement spécifique n’est nécessaire, puisque le test est réalisé sur base du prélèvement sanguin déjà pratiqué systématiquement pour la phénylcétonurie. Comme l’explique le Dr Boemer, « la méthode, le test de Guthrie, est inchangée depuis les années 1960 : à partir de quelques gouttes de sang, sur un papier buvard, nous recherchons l’anomalie génétique responsable de la SMA et détectable dans l’ADN au cours des premiers jours de vie ».

64 - 03 - Guthrie   

L’ensemble des prélèvements sont centralisés dans un seul laboratoire, au sein du Service de Génétique Humaine du CHU de Liège. « Ce qui nous assure une aisance logistique remarquable, en permettant des analyses de masse », commente le généticien.

À deux ans de recul, la méthode se révèle fiable : « Nous n’avons jusqu’ici enregistré aucun faux positif ni aucun faux négatif, se réjouit le Dr Boemer. Cette méthode permet d’identifier 95 % des SMA, les autres 5 % étant dus à des anomalies génétiques non ciblées par la méthode de screening ». Actuellement financé par le projet pilote, le coût du dépistage, avoisinant les cinq euros, ne devrait pas constituer un obstacle pour les parents.

 

Traitements : où en sommes-nous ?

« Nous disposons en Belgique d’un traitement remarquablement efficace, reconnu et remboursé pour les patients porteurs de deux ou trois copies du gène SMN2 : le Nursinersen (Spinraza©), commercialisé par la société Biogen. Parallèlement, des essais de thérapie génique viennent de faire leurs preuves sur deux nouveau-nés. Il s’agit d’une injection intraveineuse en dose unique (Zolgensma©, commercialisé par la société Avexis-Novartis) d’un virus atténué dans lequel on a inséré un gène fonctionnel SMN1. Si ce médicament est toujours en phase d’étude clinique, les essais s’avèrent très concluants. Une troisième option thérapeutique existe, également en phase 3 d’étude clinique : une petite molécule du nom de Risdiplam, administrée oralement et commercialisée par la société Roche ».   

64 - 04 - Traitements

Objet de nombreuses polémiques très médiatisées, tout l’enjeu sera de rendre ces traitements accessibles. Qualifié de « médicament le plus cher du monde », le Zolgensma avoisine actuellement les 2 millions d’euros la dose. « Pour l’instant, la seule option pour les patients atteints de SMA de type 0 est d’être inclus dans ces essais cliniques. Selon les cas, le recrutement peut se faire par l’intermédiaire d’un neuropédiatre. Comme pour toutes les maladies rares, les thérapeutiques sont extrêmement coûteuses. Mais à terme, on espère leur remboursement ».

 

Nombre d’éminents professeurs appellent les firmes pharmaceutiques à garder raison concernant les tarifs des traitements contre la SMA.

Tout aussi polémique et exacerbé par l’histoire de la petite Pia, l’accès de nos voisins du nord aux programmes de dépistage et aux essais cliniques devrait faire son chemin. « À l’époque du lancement du programme pilote début 2018, celui-ci n’a pas été considéré comme une priorité par le gouvernement flamand. Mais selon les dernières nouvelles, nos collègues du nord du pays tâcheraient eux aussi d’initier une reconnaissance officielle de la maladie dans le dépistage néonatal ». Aiguillonnée par des médias échaudés, la Région Flamande ne devrait guère tarder à s’aligner.

 

Message aux médecins traitants

L’amyotrophie spinale est moins rare que prévu : « L’un des résultats de notre recherche est de mettre en évidence une prévalence supérieure à celle décrite dans la littérature », alerte le Dr François Boemer. « Nous l’estimons à une naissance sur 8 500 (et non sur 10 000) en Belgique. Autrement dit, tout médecin généraliste peut être confronté à cette maladie au cours de sa carrière ».

ONCO 09 - 05 - Médecins traitants

Initialement d’une durée de trois ans, le programme pilote de dépistage néonatal de la SMA ne devrait pas s’arrêter en mars 2021. Le succès sans équivoque de cette phase de test devrait mener « à faire reconnaître officiellement la maladie parmi celles dépistées à la maternité, notamment par l’ONE, pour dégager les subsides nécessaires à la poursuite du screening systématique », anticipe le généticien. Si tout se déroule selon ces projections, « nous pourrions être la toute première région d’Europe sans SMA ! ». 

 

Save the date !

Le 16 mars 2020 aura lieu la première journée d’information ouverte au public sur le programme de dépistage néonatal de la SMA, à l’occasion des deux ans du projet pilote.

64 - 05 - Save the date