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  le 31 décembre 2019

Alcool avant 21 ans : des dommages irréversibles sur le cerveau

EDITO 63 - Alcool avant 21 ans : des dommages irréversibles sur le cerveau 
 
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63-alcool et ado-zoom web-1500x632Les fêtes de fin d’année riment souvent avec champagne et bons vins. Une fois n’étant pas coutume, les plus jeunes sont autorisés pour l’occasion à trinquer avec les adultes autour de quelques bulles. Cependant, les effets de l’alcool sur le cerveau des adolescents sont bien plus dommageables que sur un cerveau adulte. C’est ce que révèlent les recherches de Sophie Laguesse, docteur en sciences biomédicales au GIGA-Neurosciences de l’ULiège.

« Avant 21 ans, le cerveau n’a pas terminé sa maturation. Or la consommation d’alcool pendant l’adolescence endommage son développement de manière irréversible et prédispose largement à l’alcoolisme à l’âge adulte, ainsi qu’à toute une série de troubles psychologiques et comportementaux associés ».

Grâce à des tests menés sur des souris, Sophie Laguesse explore les mécanismes neurologiques fondamentaux de l’addiction alcoolique. Ses découvertes prometteuses sur les effets de l’alcool sur la maturation du cerveau chez l’adolescent viennent d’être récompensées par la bourse européenne « Marie Sklodowska-Curie Actions », l’une des plus prestigieuses d'Europe.

Qui êtes-vous, Sophie Laguesse ?

Son intérêt précoce pour les sciences lui ont valu un parcours sans faute en Sciences biomédicales à l’ULiège, suivi d’un doctorat en Neurobiologie du développement au GIGA-Neurosciences. La jeune Spadoise se souvient de sa thèse sur le développement du cerveau : « je travaillais sur une obscure protéine, appelée l’Elongator, responsable d’une maladie très rare qui affecte la population juive. Mais à la sortie de ma défense de thèse, j’ai réalisé que peu de gens comprenaient un traître mot de mes recherches ».

63-Sophie Laguesse-1-WEB1000x500 Est né le désir d’un changement, « d’un travail plus proche des réalités humaines, qui intéresse tout le monde ». Pari gagné. Elle passera trois années de post-doctorat à San Francisco à étudier les mécanismes de l’addiction à l’alcool, avant de revenir en 2017 au GIGA-Neurosciences de l’ULiège, plus passionnée que jamais. Avec un projet, ou plutôt un défi : « créer un laboratoire de recherche dédié au développement des addictions, qui n’existe pas encore en Belgique ».     

A 32 ans aujourd’hui, Sophie Laguesse n’élève pas d’enfants mais trois chevaux, auxquels elle consacre son temps libre lorsqu’elle ne joue pas au badminton ou au football.

→ Les publications scientifiques de Sophie Laguesse

Binge-drinking : 6 jeunes aux urgences chaque jour

63-Binge drinking--WEB1000x500 Les hôpitaux belges accueillent en moyenne six adolescents âgés de 12 à 17 ans par jour pour cause d’abus d’alcool. C’est ce que vient de révéler l’Agence Intermutualiste (AIM), d’après les données 2018 des sept mutualités. Le phénomène toucherait autant les garçons que les filles, et de plus en plus tôt : l’année 2018 a enregistré un record de 116 enfants de 12-13 ans admis à l’hôpital sous l’emprise de l’alcool.

La pratique la plus dangereuse est celle du binge-drinking, « soit le fait de boire de l’alcool rapidement et en grande quantité, entraînant des concentrations très élevées d’alcool dans le sang. On parle de binge-drinking à partir de cinq bières (ou doses d’alcool) en deux heures pour un homme et quatre pour une femme », avertit Sophie Laguesse.

Le phénomène est de plus en plus répandu chez les jeunes : « le but est d’être saoul le plus vite possible, jusqu’à la perte de contrôle. Les tests réalisés sur des modèles animaux montrent que ce type de consommation est le plus destructeur pour le cerveau. Mais il y a aussi toutes les conséquences immédiates que l’on connaît ». Accidents de la route, comas éthyliques, violences diverses et traumatismes liés à l’alcool sont malheureusement fréquents.     

Qui a bu, boira : une histoire de cortex préfrontal

Pour la chercheuse en neurosciences, on peut décrire le problème de l’addiction « comme un combat entre deux régions du cerveau. D’un côté le striatum, qui correspond à l’impulsivité, qui va pousser à boire. Et de l’autre côté le cortex préfrontal, qui permet au contraire de contrôler son impulsivité, ses émotions et donc sa consommation d’alcool. La consommation d’alcool active le striatum. Et chez les personnes qui ont un cortex préfrontal trop faible, le combat est perdu et le striatum l’emporte, entraînant l’addiction ».

S’interrogeant sur l’origine de cette faiblesse du cortex préfrontal, Sophie Laguesse a découvert que « c’est la dernière région du cerveau à parvenir à maturité. Elle n’est pleinement mature qu’au-delà de 20 ans. Ce qui explique d’ailleurs toutes les caractéristiques qu’on retrouve dans la crise d’adolescence : émotivité, impulsivité, désir de prise de risques, mauvaises décisions, etc. ».

63-Cortex préfrontal-3-WEB1000x500 « Tant que cette période de maturation n’est pas pleinement achevée, la consommation d’alcool peut endommager le développement du cortex préfrontal de manière irréversible. C’est pour cela qu’un adolescent qui boit régulièrement risque fort de devenir alcoolique à l’âge adulte. Cela confirme aussi que l’âge de la première consommation joue un grand rôle. Boire de l’alcool avant 13 ans augmente de 47 % le risque de devenir un adulte alcoolique. Ce risque tombe à 9 % si l’adolescent s’abstient jusqu’à ses 21 ans ».

Des souris alcooliques et dépressives

Ces découvertes, Sophie Laguesse a pu les mettre au jour grâce à des souris de laboratoire. « Les études humaines sur l’addiction sont très complexes. Nécessairement rétrospectives, elles ne permettent pas d’exclure les facteurs génétiques, sociaux, psychologiques etc. Le modèle des souris m’a permis d’isoler les effets physiologiques de l’alcool sur le développement du cerveau ».

63-Souris test-4-WEB1000x500 L’étude s’est concentrée sur le binge-drinking : « j’ai fait boire à des souris adolescentes l’équivalent de cinq bières en deux heures pour un jeune, trois fois par semaine ». Les résultats ne se sont pas fait attendre. « Les souris qui boivent volontairement de l’alcool en grande quantité à l’adolescence développent des troubles psychologiques et comportementaux à l’âge adulte : addiction à l’alcool, troubles d’anxiété, troubles dépressifs, diminution des performances cognitives et de la flexibilité comportementale – laquelle dépend uniquement du cortex préfrontal. Mais ces troubles ne s’observent pas dans l’immédiat, suggérant que les effets de l’alcool sur le cerveau se révèlent plutôt à long terme ».

Message aux médecins traitants

« L’alcoolisme se contient, mais ne se guérit pas ». Partant du constat que l’alcoolisme chez l’adulte se détermine largement dans cette période délicate de l’adolescence, Sophie Laguesse insiste sur l’importance de la prévention auprès des jeunes et de leurs parents. « Les gens sont trop peu informés et induits en erreur par l’autorisation légale de la vente d’alcool à partir de 16 ans. Alors que le cerveau est encore en pleine maturation ! ».

63-message médecins-4-WEB1000x500 « La difficulté est que l’alcool fait partie intégrante de notre culture. Il n’est pas rare de voir un père de famille proposer un verre à son enfant de 12 ans lors des occasions par exemple. Beaucoup pensent qu’une bière est inoffensive, alors qu’elle équivaut en réalité à un shot de vodka ! ». Pour la chercheuse, le mot d’ordre est sans appel : « zéro alcool avant 21 ans ! ».

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