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  le 10 octobre 2019

Deuil périnatal : Laissons le temps au temps !

EDITO 61 - Deuil périnatal : Laissons le temps au temps ! 
 
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CHUchotis du Jeudi 
CHUchotis Oncologique

 

61 - 00 - DeuilA l’occasion de la Journée mondiale du deuil périnatal qui a lieu le 15 octobre, ce CHUchotis porte un coup de projecteur sur la période particulièrement difficile entre l’annonce d’une mauvaise nouvelle concernant la grossesse en cours et l’interruption médicale de grossesse, ainsi que sur l’accompagnement proposé aux familles avant, pendant et après le décès du bébé.

Nous faisons le point avec le Docteur Xavier Capelle, gynécologue-obstétricien et responsable clinique de la maternité CHU Bruyères, le Professeur Vincent Rigo, chef du service de néonatologie universitaire du CHU-CHR de Liège, ainsi que Delphine Rigo, psychologue en néonatologie dans ce service.

« Les circonstances qui amènent à la perte d’un bébé durant la grossesse sont très diversifiées. Elles surprennent toujours et tombent forcément comme une mauvaise nouvelle, inattendue, là où chacun attendait un heureux événement. C’est par exemple lors d’un examen échographique que la mauvaise nouvelle arrive, en direct… », pose d’emblée le Dr Capelle.

« Nous sommes souvent face à l’incertitude et donc en difficulté pour poser un diagnostic définitif, qui est indispensable à une prise de décision en toute connaissance de causes. Et quelle que soit la décision qui sera prise – interrompre la grossesse ou la poursuivre -, on sera confronté à une décision extrêmement lourde de conséquences ».

 

Qui êtes-vous, Docteur Xavier Capelle ?

Le Docteur Xavier Capelle est médecin (ULg, 1990), gynécologue (ULg, 2004) et titulaire d’un master complémentaire en anthropologie sociale et culturelle.

61 - 01 - Capelle

Ce Liégeois de 56 ans a accumulé pas mal d’expérience tant en Belgique qu’à l’étranger. Il travaille sur le site de Notre-Dame des Bruyères dans le service du Professeur Frédéric Kridelka, où il est responsable clinique de la maternité et a une activité importante de diagnostic anténatal. Il dirige également le projet-pilote sur le séjour écourté en maternité.

Sa compagne est également médecin et ils ont une fille de 18 ans.

→ Les publications scientifiques du Docteur Xavier Capelle

 

Qui êtes-vous, Professeur Vincent Rigo ?

Le Professeur Vincent Rigo a fait ses études de médecine à l’Université de Liège. Ensuite, il est allé poursuivre son cursus dans l’Ouest canadien où il s’est spécialisé en néonatologie.

61 - 01 - Rigo

Depuis 2004, il travaille dans le service universitaire de néonatologie du CHU-CHR de Liège, dont il a repris la chefferie de service il y a deux ans.  Ce service (25 lits NIC1 et 10 lits N2 dont 3 chambres mère-enfant) prend en charge tous les nouveau-nés de la maternité universitaire ainsi que ceux transférés à partir des hôpitaux référents des provinces de Liège et de Luxembourg.

Vincent Rigo a développé un tropisme particulier pour tout ce qui est soutien à la naissance (c-à-d les premières minutes de vie) et soutien respiratoire.

→ Les publications scientifiques du Professeur Vincent Rigo

 

Qui êtes-vous, Delphine Rigo ?

Delphine Rigo est la psychologue du service universitaire de néonatologie du CHU-CHR de Liège. Elle assure le suivi psychologique des grands prématurés et participe aux réunions mensuelles de soutien aux parents confrontés au deuil périnatal. Elle est la fille du Pr. Jacques Rigo, qui fut le chef de service parti à la retraite en 2011.

61 - 01 - Delphine Rigo 

 

Un parcours de soins visant à informer au mieux la patiente

« Entre le moment du premier examen qui révèle une anomalie et le moment où, peut-être, se prendra la décision d’une interruption médicale de grossesse (IMG), il y a une période excessivement difficile à vivre pour les futurs parents, en sachant qu’au moment de l’annonce du problème, on induit chez les parents un état de sidération complet qui, dans un premier temps, empêche toute réflexion », souligne le Dr Capelle.

61 - 02 - Informer 

L’idée, c’est de définir un parcours de prise en charge pour les patientes concernées par une éventuelle IMG. « Ce parcours est initié au moment où l’on fait l’annonce de l’anomalie éventuelle. La plupart du temps, cette annonce se fait durant la consultation d’échographie. Nous rassemblons ensuite tous les éléments qui permettent de documenter la situation de manière approfondie sur la base des examens complémentaires (imagerie, biologie clinique, génétique). Ensuite, chaque cas fait l’objet d’une concertation multidisciplinaire avec les obstétriciens, les pédiatres, les généticiens, les radiologues pédiatriques,… », explique le gynécologue.

Si la mauvaise nouvelle semble se confirmer, une seconde consultation spécifiquement dédiée à l’annonce du diagnostic avec un gynécologue référent pour le diagnostic anténatal est programmée. « Nous organisons alors également une consultation pédiatrique prénatale avec le pédiatre de la spécialité concernée par l’affection dont il est question. Par exemple, s’il s’agit d’une affection neurologique, aucune décision ne sera prise avant que les parents ne rencontrent le neuropédiatre, lequel sera le plus à même de les informer sur le pronostic et l’évolution probable de l’enfant », précise encore Xavier Capelle.

Enfin, si la patiente et son conjoint décident d’interrompre la grossesse, d’autres consultations sont planifiées avec le psychologue, les sages-femmes et l’assistante sociale afin d’expliquer clairement comment va se dérouler l’IMG.

 

Un accompagnement adapté à chaque situation

Les situations peuvent être très diverses. « Il peut s’agir d’une IMG comme décrit plus haut, ou d’une mort in utéro. Sur le volet néonatal, il y a des enfants mort-nés, des enfants qui ne répondent pas à la réanimation, des enfants que l’on a pris en charge en soins intensifs mais chez qui l’on estime que les soins intensifs ne vont pas amener un bénéfice et chez qui l’on réalise donc une désescalade thérapeutique, des enfants pour lesquels un plan de soins palliatifs est déjà établi avant la naissance (par ex. dans certaines malformations complexes),... », relève le Professeur Rigo.

 

61 - 03 - Accompagnement 

En fonction de la situation, l’approche va être assez différente : « Lorsqu’il s’agit, par exemple, de soins palliatifs décidés en anténatal, nous essayons au maximum de voir les parents à l’avance pour expliquer ce qui va se passer, pour avoir une définition commune de ce que nous pouvons faire pour accompagner l’enfant – et là, nous allons surtout insister sur les soins de confort, la gestion de la douleur, avec même éventuellement un retour à domicile. Le principal est qu’il y ait vraiment un accord entre l’équipe et les parents sur la façon la plus adéquate de prendre le bébé en charge », explique Vincent Rigo.

« Quand on est dans des situations de désescalade thérapeutique et de changement total d’optique (de réanimation intensive à une désescalade), nous essayons d’avoir d’abord une discussion en équipe pour nous mettre d’accord sur l’approche à proposer aux parents, puis nous allons discuter avec eux en équipe pluridisciplinaire et nous assurer qu’ils sont dans la même démarche. Ce n’est pas toujours le cas. Parfois, il faut plus de temps. Et il arrive aussi qu’il y ait un décalage entre la maman et le papa. Il est important de pouvoir les accompagner », souligne le néonatologue.

 

Un soutien aux parents qui s’inscrit dans la durée

Faire-part avec empreintes du pied et de la main, petits bonnets, nids d’anges, photos3, sont autant d’attentions qui peuvent aider les parents au moment de l’épreuve, mais aussi par la suite, pour faire leur deuil. « Dans la mesure du possible, nous essayons que les parents aient un maximum leur bébé dans les bras avant le décès pour qu’ils puissent l’accompagner jusqu’à son dernier souffle, mais également après le décès s’ils le souhaitent. D’expérience, nous savons que ces moments sont vraiment précieux pour les parents », ajoute Delphine Rigo, psychologue du service de néonatologie.

61 - 04 - Soutien 

Le soutien se poursuit également après que le couple soit rentré chez lui sans bébé. « Au CHR de la Citadelle, nous organisons, depuis une vingtaine d’années maintenant, des groupes de parole pour les parents ayant perdu un bébé.  Nous invitons ainsi par courrier tous les parents qui ont perdu un enfant chez nous au cours des trois derniers mois. Ces réunions ont lieu une fois par mois. Elles mettent en relation des parents et des professionnels (des infirmières de néonat, une psychologue de néonat, le psychologue du MIC et de la maternité qui anime les réunions, et parfois une infirmière du MIC, un néonatologue, un pédiatre,..) », explique la psychologue.

« Si des professionnels participent aussi à ces groupes de parole, c’est notamment pour avoir le ressenti et le vécu des parents afin de pouvoir améliorer ensuite notre pratique et notre prise en charge au moment des décès. Notre objectif, c’est d’entendre ce qui leur a fait du bien et ce qui a été plus difficile. Le décès d’un bébé reste bien sûr toujours un moment extrêmement douloureux, mais les parents rapportent néanmoins que certaines attentions et initiatives leur ont fait du bien sur le moment et par après dans leur processus de deuil », poursuit Delphine Rigo.

Notons aussi que ces réunions constituent un lieu de parole précieux pour ces parents qui ne sont pas toujours compris de leur entourage. « Les parents relatent souvent que c’est là le seul endroit où ils se sentent compris parce qu’en général, la famille et les amis sont très présents au début du deuil et puis, les gens estiment qu’il faut passer à autre chose et que la vie continue. A ce moment, les parents se sentent alors souvent bien seuls. Or, dans ce groupe de parole, ils retrouvent d’autres parents qui ont vécu la même chose. Comme l’expriment certains parents : ce groupe permet à notre enfant d’exister pendant deux heures par mois », rapporte la psychologue.

Ces réunions sont ouvertes aux parents d’enfants décédés au CHR et au CHU, mais aussi dans d’autres hôpitaux de la région, vu que ce genre de groupes de parole n’existe pas partout.

 

 

La loi et le flou belge

En Belgique, on peut interrompre une grossesse pour une raison médicale quel que soit le terme de celle-ci. « Les raisons de l’interruption de celle-ci sont d’une part, un problème chez le fœtus qui serait atteint d’une ‘pathologie d’une particulière gravité’ et sans possibilité thérapeutique au moment du diagnostic - ce qui laisse quand même la place à une interprétation assez large - et d’autre part, un risque pour la santé physique ou mentale de la maman », indique Xavier Capelle.

61 - 05 - Loi 

Si les parents font la demande d’une IMG, celle-ci doit être acceptée par au moins deux médecins. « Avant d’accéder à cette demande, il faut pouvoir informer correctement la patiente », insiste le gynécologue. « Et cette information ne peut être donnée que si le diagnostic a été étayé suffisamment. Souvent, nous n’avons pas de diagnostic. Nous avons des éléments qui nous montrent que l’évolution post-natale sera catastrophique, mais nous n’avons pas forcément un diagnostic. »

« En diagnostic anténatal, nous devons évidemment poser un diagnostic, mais aussi établir un pronostic pour l’enfant à naître et l’adulte qu’il deviendra. Nous devons gérer énormément d’incertitude. Il est capital de documenter au mieux la situation et c’est sur cette base seulement que les parents vont pouvoir prendre la décision de poursuivre la grossesse ou de l’interrompre », poursuit le Dr Capelle

« Ajoutons encore que lorsque l’on est au-delà du terme de viabilité de l’enfant, on est parfois amené à réaliser une euthanasie fœtale, ce qui en pratique médicale revêt le terme – assez dur – de foeticide. Il est interpellant de constater que cette terminologie n’a aucune réalité dans les textes de loi ni dans la nomenclature médicale, ce qui est très révélateur du fait que le législateur n’affronte pas cette problématique… », relève Xavier Capelle. « Or, c’est une réalité médicale, qui est particulièrement éprouvante pour les patientes mais aussi pour les équipes soignantes ».

 

Message aux médecins traitants

La notion de « temps » est une notion essentielle dans le cadre du deuil périnatal, sur laquelle souhaitent insister nos intervenants. « Nous avons pu observer dans notre pratique une tendance à vouloir résoudre la situation le plus vite possible, tant dans le chef des médecins que dans celui des patientes », relève le Dr Capelle. « On est là dans une sorte de médecine évacuatrice qui résoudrait le problème. Et ce dont on se rend compte avec le temps, c’est que se dépêcher est la pire chose que l’on puisse faire. Pourquoi ? Tout d’abord, parce qu’il y a ce phénomène de sidération au moment de l’annonce. Ensuite, notre discours va briser l’image de l’enfant rêvé, idéal, comme un éclat dans un miroir qui va voler en mille morceaux. Cette sidération empêche toute forme de pensée, d’acceptation éventuelle ou de processus de deuil ».

59 05- message medecins

Il faut donc au contraire prendre le temps : le temps d’une documentation, mais aussi le temps d’une maturation psychique de la situation qui seule autorise de pouvoir penser la situation. Les retours que nous avons de situations qui ont pris le temps de bien documenter le cas sont extrêmement positifs », commente le gynécologue.

Le Dr Capelle appelle donc à lutter contre la tentation et la tendance à vouloir régler le problème rapidement, en pensant – à tort – qu’une fois vite réglé, le problème sera bien réglé, ce qui est faux.

Et le Pr Rigo de rejoindre son confrère : « Il est important de laisser le temps à chaque parent de cheminer. Nous essayons au maximum de nous accorder avec les parents au niveau du temps nécessaire. Certains parents souhaitent que cela aille vite. D’autres souhaitent plus de temps, notamment pour permettre à la fratrie et la famille de venir ou pour organiser une cérémonie religieuse. »

« Il faut cheminer avec les gens, être à leur écoute. Le temps pour l’un n’est pas le temps pour l’autre. C’est leur temps et cela ne doit pas être le nôtre », conclut Vincent Rigo.

 

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1 Néonatologie Intensive 

2 Néonatologie non intensive 

3 Sur demande, l’asbl Au-delà des nuages propose de photographier gratuitement le bébé en fin de vie ou décédé pour les parents qui en ont le souhait. Cette initiative est née d’une maman photographe ayant elle-même perdu son bébé, et qui s’est rendue compte que les photos qu’elle avait fait de lui l’avaient vraiment aidée dans son deuil.