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La grippe touche, chaque année, entre 5 et 10 % de la population. L’adage populaire veut qu’une grippe dure une semaine en prenant des médicaments et sept jours en n’en prenant pas. C’est faire peu de cas des 217.000 décès prématurés enregistrés durant l’hiver 2014 – 2015 dans les 15 pays CEE dans le principal groupe à risques que représentent les personnes âgées. Contre l’adage, il y a le travail des équipes d’hygiène hospitalière, médecins et infirmiers spécialistes en  prévention de la transmission croisée qui préviennent, au sein de l’hôpital, les infections liées aux soins. « L’hôpital doit avoir une stratégie pour contrer la propagation des maladies dans ses murs ».  Et la grippe est sans doute la maladie contagieuse la plus fréquente. Le Dr Christelle Meuris est infectiologue et fait partie de l’équipe d’Hygiène Hospitalière du CHU de Liège.  La semaine où nous la rencontrons, le taux d’occupation de l’hôpital est de 95 %, entre autre à cause de l’épidémie de grippe qui sévit.  Coups de projecteur sur la prévisibilité des épidémies,  le bon diagnostic de la grippe, les réponses apportées quand elles sont là, les moyens de lutte contre la transmission par « gouttelettes », les traitements,  la place du vaccin et ses résultats, le recours à l’ECMO pour les cas les plus  graves. Et les conseils aux généralistes.

Qui est le Dr. Christelle Meuris ?

C Meuris webBruxelloise de 39 ans, originaire d’Etterbeek, Christelle Meuris a fait ses études de médecine à l’UCL (2001). Elle y poursuit sa spécialisation en médecine interne générale (2006) et allonge le cursus d’un an en infectiologie à Erasme (2007). C’est alors qu’elle est approchée par le CHU de Liège. La rencontre se passe lors d’un congrès à …Toronto où Frédéric Frippiat et Michel Moutschen lui proposent de venir travailler à Liège. « Je voulais faire de l’infectiologie générale tout en poursuivant des consultations HIV, une pathologie qui m’a toujours intéressée et qui me passionne  toujours  par ses perspectives  et le suivi pluridisciplinaire au niveau de la prise en charge du patient. Le HIV, c’est un travail d’équipe.». Christelle Meuris participe à des formations en gestion des épidémies dispensées lors des ECCMID (European Congress of Clinical Microbiology and Infectious Diseases) organisée par l’ESCMID (Europan Society in Clinical Microbiology and Infectious Disease) qui compte …33.000 membres !  La voilà à Liège où elle n’en a pas encore assez puisqu’elle passe son certificat en hygiène hospitalière (2013) pour rejoindre l’équipe (aujourd’hui à mi-temps) d’hygiène hospitalière du CHU composée de deux médecins (Drs Geneviève Christiaens et Christelle Meuris) et quatre infirmiers (Jacques Mutsers, Christophe Barbier, Axelle Dumazy et Jonathan Alfageme Gonzalez).

Christelle, fille d’un expert comptable et d’une spécialiste en assurances-vie, a épousé un expert financier qui travaille à la Ville de Liège où ils habitent. Ensemble, ils ont un petit garçon. « Ma vocation de médecin ? Très simple : j’ai rêvé une nuit que j’étais médecin et j’ai concrétisé mon rêve».

► Les publications scientifiques du Dr Christelle Meuris

La grippe et ses groupes à risques

Le mot grippe vient du bas-allemand « gripan », qui signifie « saisir avec des griffes » et dont on retrouve la racine dansart secondaire-Grippe 2  gouttellettes-web le mot français « agripper ». La grippe est une maladie aigüe, contagieuse, due à deux types de virus  très contagieux, Influenza A (plus général) et Influenza B (plus local), qui se propagent sous forme d'épidémies qui durent en général 9 à 10 semaines. La grippe se transmet essentiellement par « gouttelettes » (éternuements, toux, expectorations,…) Elle est en général sans gravité, sauf chez certains groupes cibles : les personnes âgées (+ de 65 ans), les patients immunodéprimés, les patients avec des pathologies cardiaques et respiratoires sous-jacentes, les patients diabétiques. Et aussi les femmes enceintes.

Les épidémies sont-elles prévisibles ?

Oui, les épidémies sont prévisibles. Dès la fin de l’automne, les hygiénistes sont tous connectés, le mercredi après-midi, sur le site de l’Institut de Santé Publique.

► Ils y suivent avec attention ce tableau :

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Ils suivent plus particulièrement le nombre de syndromes grippaux et, dans la lettre d’information annexée, le pourcentage de positivité des prélèvements. Ils peuvent donc déterminer si l’épidémie menace. Ce que ce graphique démontre.

Qu’est-ce que cela entraîne comme réponses ?

C’est le point de départ d’une procédure bien rôdée : les informations sont lancées  vers les urgences et aux entrées de l’hôpital via les référents désignés. Ce sont des affiches posées aux endroits visibles  et des masques et des solutions hydro-alcooliques mis à disposition pour que les patients présentant un syndrome respiratoire aigu mettent un masque et puissent de suite se désinfecter les mains.

Et on effectue les rappels vers le personnel pour  mettre en place la prévention de la transmission.

Comment suspecter une grippe et comment la diagnostiquer ?

Le patient fait de la fièvre, même faible, présente des courbatures, des douleurs articulaires, des céphalées, des maux de ventre, des syndromes ORL (la toux,…). Est-ce la grippe ? Deux types de test se font par aspiration naso-pharyngée ou par frottis nasal pour s’en assurer : la recherche d’antigènes, un test (remboursé) un peu moins sensible mais qui permet de tester aussi les autres virus respiratoires ; et la PCR (Polymérase Chain Reaction), technique de biologie moléculaire (plus coûteuse – 40 € - et non remboursée). La PCR est réservée aux patients  à risque de complications qui nécessitent une hospitalisation.

Que met-on alors en place pour éviter la contagion ?

On recommande le port d’un masque chirurgical par le personnel dès lors qu’il s’approche à moins d’un mètre du patient. Et on met en place des mesures complémentaires que les hygiénistes appellent « précautions Gouttelettes ». Celles-ci ont un impact direct sur le taux d’occupation de l’hôpital : un patient grippé,  nécessite l’application des précautions gouttelettes et doit en effet être placé en chambre individuelle ou cohorté avec un autre patient grippé (même sous-type).

► Précautions gouttelettes pour le personnel du CHU

Campagne de prévention 

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Le vaccin a aussi une grande place dans la prévention ?

On connait depuis longtemps les groupes à risque pour les grippes compliquées.  Nous les avons cités un peu plus haut. On y trouve les femmes enceintes, ce qui mérite un mot d’explication. Les femmes enceintes, en cas de grippe, présentent plus de complications car la grossesse diminue leurs défenses immunitaires et leurs capacités à répondre à une grippe. Lors de la pandémie A H1N1 en 2009, il y a eu une mortalité et des complications plus importantes chez les femmes enceintes. Les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) , qui regroupe les infectiologues américains, recommandent de vacciner toutes les femmes enceintes, quel que soit le trimestre. En Belgique, les gynécologues sont réticents face à la recommandation américaine et le vaccin n’y est conseillé aux femmes enceintes qu’à partir du 2etrimestre.

Ce vaccin est-il vraiment efficace ?

Cela dépend de sa composition et du moment.  Chaque année, pour établir la composition du vaccin, les spécialistes de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et de la FDA (Food and Drug Administration) analysent le/les virus qui a/ont circulé l’année précédente et dans l’hémisphère sud et sur cette base, ils décident de mettre trois ou quatre souches différentes dans le vaccin.  L’hiver passé, le vaccin était plutôt apprécié négativement. Il s’agissait d’un vaccin TRIVALENT (2 souches de Type A, 1 souche de Type B). En fait, le virus de type A H3N2 ne correspondait que partiellement à la souche incluse dans le vaccin. Or le virus A H3N2 était présent dans 80 % des échantillons grippaux testés. D’où le peu d’efficacité du vaccin.  Et la grippe varie. En début de saison, les virus de type A ont été nettement prédominants avant que, en fin de saison, les virus de type B ne prennent le dessus.influenza vaccin

Sur base de ces résultats 2014-2015, les compositions des vaccins 2015-2016 ont donc été revues. Le virus AH1N1 est toujours présent dans 50 % des grippes. La souche se retrouve donc dans les vaccins. Parmi les virus de type B trouvés en 2014-2015, 94 % étaient de la lignée YAMAGATA (du nom de la ville du Japon où il est apparu).  Les fabricants ont donc intégré cette souche dans le vaccin 2015-2016. Mais, cette année, la lignée YAMAGATA est  dépassée par la lignée VICTORIA, une souche qui n’a pas été incluse dans le vaccin TRIVALENT. Mais bien dans le QUADRIVALENT (qui lui propose 2 souches de Type A et 2 souches de Type B), un nouveau vaccin à quatre souches présenté cette année et qui contient la souche VICTORIA.  Mais il faut reconnaitre qu’il y a aussi beaucoup de sous-types qui circulent et qui rendent difficile l’art de composer un vaccin. La Belgique ne donne pas de recommandations sur le type de vaccins à prendre.  Ce qui pourrait apparaître « vache », le mot vaccin étant étymologiquement issu du latin « vacca », la vache. Entre 1770 et 1791, au moins six personnes ont testé, chacune de façon indépendante, la possibilité d'immuniser les humains de la variole en leur inoculant la variole des vaches, qui était présente sur les pis de la vache. D’où la dénomination.

Faut-il conseiller le vaccin ?

Oui, surtout aux groupes à risque. Le vaccin  est « safe ». Il n’y a pas de raison à avoir des résistances à l’administrer. Si, parfois, il est inadéquat, il garde une utilité certaine. Et pour les personnes à risque, le vaccin est remboursé.

Quels sont les traitements de la grippe ?

Pour la grippe du « tout venant », hors des groupes à risque, le traitement est symptomatique. Il faut prendre du PARACETAMOL et des ANTI-INFLAMMATOIRES. Et modifier son rythme de vie : rester chez soi pour ne pas contaminer son entourage, boire beaucoup d’eau, se reposer. Et ajouter à cela, si nécessaire, un traitement pour la toux ou la congestion nasale. Mais pas d’antibiotique qui n’ont pas d’impact sur le virus. L’usage irrationnel des antibiotiques aboutit à l’émergence de résistance ; il y a de plus en plus de bactéries multi-résistantes pour lesquelles les options thérapeutiques diminuent.

Pour les grippes sévères, il faut prendre du TAMIFLU tôt dans la pathologie, dans les premières 48 heures surtout pour les patients gravement atteints ou fort immuno-déprimé. Les complications les plus fréquentes aboutissent à la pneumonie : si elle est virale, il faut continuer au TAMIFLU, si elle est bactérienne, il faut passer aux ANTIBIOTIQUES.  Comment le savoir ? En faisant des prélèvements pour culture bactérienne.

Attention : trop d’antibiotiques tue l’antibiotique !médicaments web

Les microorganismes résistants à tous les antibiotiques sont là ! Au CHU, c'est une catastrophe annoncée.

Rendons-nous compte que toute antibiothérapie, quelle qu'elle soit, perturbe  grandement la flore commensale et sélectionne immanquablement et automatiquement des résistances. Réservons dès lors les antibiotiques aux seuls patients réellement infectés. Stoppons les traitements des cas douteux, non confirmés, improbables. Adhérons à la campagne GGA de 2014 : « Attaquons malin, ciblons dès demain ...restons bons copains  ». La justification des traitements, de leurs instaurations et de leurs poursuites à 72h, impliquant la documentation bactériologique, est le garant d'une bonne pratique. La qualité des prescriptions préservera l'avenir.

► A lire : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26711772

L'ECMO : une technique préconisée pour les cas graves

assistance ECMO webECMO est l’acronyme anglais de « extracorporeal membrane oxygenation », soit, en Français, l’oxygénation par membrane extra-corporelle. Il s’agit, en réanimation, d’une technique de circulation extra-corporelle offrant une assistance à la fois cardiaque et respiratoire à des patients dont le cœur et/ou les poumons ne sont pas capables d'assurer un débit cardiaque ou un échange gazeux suffisants. L'ECMO est considérée comme un traitement de dernier recours pour des patients en état de défaillance cardiaque et/ou respiratoire sévère réfractaire.  L’ECMO veino-artérielle court-circuite le cœur et le poumon en cas de grave défaillance cardiaque.  Mais, dans le cadre de la grippe, l’ECMO qui nous préoccupe aujourd’hui est l’ECMO veino-veineuse.

L'ECMO est une technique de suppléance d'organe, et est à ce titre aussi appelée extracorporeal life support (ECLS). Elle fonctionne en extrayant du sang désoxygéné du corps du patient par des canules de gros diamètre et en le faisant traverser une pompe puis une membrane qui élimine le dioxyde de carbone et le réoxygénise – recréant ainsi artificiellement les échanges gazeux alvéolaires – et le réchauffe, avantde le réinjecter dans la circulation sanguine.  L’oxygénation par membrane extra-corporelle peut ainsi assurer une oxygénation adéquate pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines, voire même quelques mois, laissant aux poumons mis ainsi au repos le temps de guérir sans recours à une ventilation mécanique agressive.

Quand on a trop peu d’O2 ou trop de CO2…

On a recours à l’ECMO veinoveineuse en cas d'hypoxémie réfractaire, qui est la diminution de la quantité d'oxygène transportée dans le sang. La pression partielle en O2 diminue (synonyme généralement d'un mauvais échange entre les alvéoles pulmonaires et les capillaires sanguins). On parle d'hypoxémie lorsque la pression partielle d'O2 chute en dessous de PaO2 < 80 mmHg1. Une hypoxémie peut notamment conduire à une hypoxie tissulaire ou à une dysfonction organique. 

Plus rarement on a recours aussi à l’ECMO à plus faible débit en cas d’hypercapnie réfractaire qui, au contraire de l’hypoxémie, désigne la présence excessive de dioxyde de carbone ou CO2 contenu dans le plasma du sang. Elle est due  à une diminution de la ventilation pulmonaire,  ce qui est le cas dans l'insuffisance respiratoire obstructive.

Le traitement par ECMO veinoveineuse dure en général minimum quelques jours et maximum 8 semaines. Le poumon est ainsi mis complètement au repos. On le ventile de manière très douce, ce qu’on appelle la ventilation ultra-protectrice.

La Grippe Influenza a provoqué récemment, chez deux patients transférés au CHU de Liège,  le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) qui  est un état critique (extrêmement grave) où la compliance pulmonaire et la capacité d'échanges gazeux chutent radicalement. Il traduit une atteinte de la membrane alvéolo-capillaire induisant un œdème pulmonaire lésionnel. L’ECMO a été installé.

Le CHU de Liège dispose de deux machines opérationnelles et une troisième est en commande alors qu’une demande existe pour une quatrième. Quand on est en manque, on en est réduit à contacter  les firmes fabricantes (Sorin, Maquet) pour dépanner, sinon l’université d’Anvers (qui dispose d’un appareil). Depuis l’installation de ces machines en 2006, quelque 110 cas ont été traités au CHU.

Une technique en plein développement…

La technique de l’ECMO est en plein développement, la recherche ayant littéralement été « boostée » par le virus influenzaart secondaire P Massion web H1N1 en 2009. La technique est réellement lancée dans les années  1970 par le Pr Robert Bartlett (Michigan) et le Dr Hill (San Francisco), puis travaillée par le Pr. Luciano Gattinoni (Milan) avec qui collaborera le Pr. Maurice Lamy (ULg) qui nous livre une photo de l’appareil utilisé à San Francisco en 1973 (voir ci-dessous). Au début, la technique est prometteuse avec les premières publications dans le « New England Journal of Medicine » (1972) et autres (1976) mais les problèmes techniques sont importants. L’ECMO revient au goût du jour  au début des années 2000 avec l’amélioration des performances des oxygénateurs et des pompes. L’essor est alors très important. « La technique est en plein développement, commente le Dr Paul Massion, des soins intensifs généraux du CHU de Liège. Cela reste une technique d’exception pour des situations  extrêmes, coûteuse, qui nécessite la disponibilité  d’une équipe multidisciplinaire. Seuls les centres universitaires et les grands hôpitaux en disposent. Mais la technique est aussi un pont pour la greffe cardiaque et pulmonaire, et est très prometteuse, d’autant plus que les recherches tendent vers la compactisation et la biocompatibilité de l’appareil qui est déjà devenu portatif ».

ECMO historique web
Photos de l'ECMO à San Francisco en 1973
(Photos Maurice Lamy, CHU de Liège et des Hôpitaux de Paris)

A consulter : http://fr.slideshare.net/intensivecaresociety/ecmo-youre-doing-it-all-wring-gattinoni

► A lire à ce sujet quelques pages dans le livre " Club de l'histoire de l'anesthésie et de la réanimation "

- « Histoire de la Réanimation en Belgique - Introduction » (pris en charge par le Pr Lamy) (page 83 )
- « Le renaissance de l'ECMO en Belgique » (Contribution du Dr Massion - page 118 , 119 et 120  ). 

livre histoire web