Journée mondiale du braille

Votre santé nous tient à cœur Le magazine de votre hôpital universitaire I Mensuel N°60 I JANVIER 2022 22 JANVIER | JOURNÉE MONDIALE DU BRAILLE COVID ET VACCINATION P. 13 Vaccination de l'enfant : Les conseils pour les parents PR. A. MALCHAIR : «BIENVEILLANCE ET DIALOGUE SONT LA BASE DU VIVRE-ENSEMBLE» COVID | SAISON 2 ÉPISODE 2 P. 12 LES SOINS DE VOS YEUX en pleine évolution Dans le monde, plus d’un habitant sur 4 connait un problème de vision de près ou de loin. Le point sur les traitements ! L’IMMUNITÉ AU CŒUR DES DÉBATS Le point sur certains dysfonctionnements du système immunitaire PP. 02-03 PP. 08-09 DIVERSITÉ DE GENRE PP. 04-05 La recherche médicale néglige-t-elle les femmes? Notre enquête

2 Éditeur responsable I Sudinfo - Pierre Leerschool Rue de Coquelet, 134 - 5000 Namur Rédaction I Jenifer Devresse, Caroline Doppagne, Jacques Glaude, Charles Neuforge, Frédérique Siccard Coordination I Delphine Gilman, Vincent Liévin, Rosaria Crapanzano, Martin Leemans Photographies I CHU de Liège, Michel Houet Mise en page I Creative Studio Impression I Rossel Printing EDITO I «La recherche médicale : faite par les hommes, pour les hommes ?» À l’occasion de la journée mondiale des femmes et filles de science, ce 60e numéro de votre journal a décidé de se pencher sur la prise en compte de la diversité de genre dans la recherche et dans les soins. On sait qu’un « plafond de verre » peut empêcher les femmes d’accéder à certaines fonctions managériales, et qu’un «biais d’auto-censure » freine encore trop souvent les jeunes filles qui oseraient s’imaginer dans certains métiers. Mais savez-vous qu’à l’heure où nous prônons toutes et tous une accessibilité des soins, la santé féminine reste l’objet de nombreux préjugés et d’angles morts? Nous vous invitons à en découvrir de nombreux aspects méconnus avec Claire Gavray, sociologue et professeure à l’ULiège. Ce numéro fait aussi le point sur l’immunité: elle fait défaut pour près de 4000 patients atteints de DIP (Déficit Immunitaire Primitif, avec Marie-Françoise Dresse et Benoit Florkin). Cette immunité que l’on peut contribuer à développer au contact de certains agents infectieux «qui nous veulent du bien» (avec Renaud Louis), cette immunité «Covid» des adultes et des enfants, qui reste un objet de préoccupation central (avec AlainMalchair et Julie Frère). Enfin, nous ne pouvions refermer ce numéro sans avoir une pensée particulière et empreinte d’émotions pour Georges Larbuisson, qui a longtemps été le président de notre Comité de patients, toujours très engagé. Nous lui rendons hommage et nous n’oublierons pas son apport et son soutien au fil des années. LA RÉDACTION LE MOT [WALLON ] «Oufti !» Quel wallon, singulièrement liégeois, n’a pas déjà poussé en ce début d’année son premier «Oufti»? D’étonnement, de délectation gastronomique ou bibitive, ou tout simplement de soulagement, un bon «Oufti» fait sourire et toujours du bien par où il passe. Pour l’équipe rédactionnelle et créative du Patient, ce sera cette fois «Oufti, on a tenu les délais!» Nous sommes très heureux de vous retrouver. Excellente lecture! IMMUNITÉ| QUAND LE CORPS S’AFFAIBLIT Un déficit immunitaire primitif (DIP) se caractérise par un a aiblissement des défenses de l’organisme contre de nombreuses attaques, externes… ou internes. Le point avec le Professeur Marie-Françoise Dresse, responsable du secteur d’hémato-oncologie pédiatrique du CHU de Liège, et Benoît Florkin, pédiatre immunologue. «Quand on parle de déficit immunitaire primitif, on parle d’un groupe de maladies qui présentent environ 400 formes différentes et des tableaux physiques variés. On les classe, cependant, en fonction de 3 types de dysfonctionnement du système immunitaire : il se défendmal contre les infections, il ne remplit pas son rôle de gardefou pour protéger le corps de lui-même, ou il ne joue pas son rôle dans l’élimination des cancers », schématise le Docteur Florkin. DES INFECTIONS RÉPÉTÉES, OU ALARMANTES Quand le système immunitaire est défaillant, le patient développe des infections répétées, généralement dans la zone ORL. «Elles peuvent également être anormalement graves ou difficiles à traiter : une BENOÎT FLORKIN Pédiatre immunologue MARIE-FRANÇOISE DRESSE Responsable du secteur d’hémato-oncologie pédiatrique infection qui n’atteindrait pas particulièrement une personne lambda, aussi banale qu’une varicelle ou une bronchiolite, peut devenir hors normes chez un patient atteint de DIP. De même, une personne qui développe plus de 6 otites ou 2 bronchopneumonies par an devrait consulter », résume Marie-Françoise Dresse. Qui mentionne également les diarrhées chroniques, une croissance retardée chez l’enfant ou des problèmes de prise de poids chez l’adulte, comme autant de signaux d’alerte. UNE «POLICE DU CORPS » TROP ZÉLÉE « Dans ce cas-ci, tout se passe un peu comme si le thermostat central était mal réglé : le système immunitaire s’en prend à son propre corps, lequel développe des maladies auto-immunes, des problèmes de thyroïde, une inflammation digestive ou pulmonaire, etc. » UN RISQUE PLUS ÉLEVÉ DE CANCER «On sait aujourd’hui que tout le monde se défend, au quotidien ou presque, contre des anomalies au niveau des cellules. Le DIP sous la loupe

03 Mais, chez ce troisième groupe, le corps n’élimine pas ce qui est anormal. Le patient présente donc un risque un peu plus élevé de développer un cancer particulier, à différents âges de sa vie. » DES TRAITEMENTS POUR TOUS Plus de la moitié des patients atteints de DIP appartiennent au premier groupe. « Et la plupart des 400 formes de maladies répertoriées se soignent bien, à condition de poser le bon diagnostic », rassure Benoît Florkin. Et d’énumérer les quatre formes de traitements actuellement mis en place : « Quand on connaît un problème de fabrication d’anticorps, on en prend de manière chronique et régulière, une fois par semaine ou une fois par mois, sous forme de perfusion. C’est le traitement le plus fréquent. Certains de nos patients sont traités de la sorte depuis plus de 35 ans et mènent une vie parfaitement normale. Dans les cas les plus graves, quand les globules blancs ne fonctionnent pas bien, on peut envisager une greffe de moëlle, qui permet de guérir complètement. Si on ne fabrique pas assez d’anticorps, on peut également bénéficier, de manière prophylactique, d’un traitement au long cours par antibiotiques, antiviraux ou antifongiques, de manière à éviter des épisodes aigus d’infection. Enfin, en cas de maladie auto-immune, il arrive que nous prescrivions des immunosuppresseurs, qui freinent la partie du système immunitaire qui fonctionne de manière mal ciblée. » 4000 PATIENTS EN BELGIQUE Relativement rare (on compte un malade pour 2 à 3000 habitants), le déficit immunitaire primitif est généralement détecté dans l’enfance. « Voilà pourquoi ce sont généralement des pédiatres qui s’en occupent », sourit Benoît Florkin. « Il arrive cependant que le corps ne manifeste ce trouble que plus tard : on pose parfois le diagnostic chez des personnes de plus de 60 ans. » À part la greffe, aucun traitement n’offre actuellement de guérison. Mais tous permettent « une qualité de vie comparable à celle de Monsieur et Madame Toutlemonde. » FRÉDÉRIQUE SICCARD Lavez-vous les mains, mais jouez dans la terre ! Entretenir le système immunitaire passe aussi par le contact avec des agents infectieux. « Il est encore trop tôt pour connaître les conséquences de notre mode de vie actuel -masqué, aseptisé, protégé- sur les allergies, il faudra attendre quelques années », reconnaît le Professeur Renaud Louis, chef du Service Pneumologie au CHU de Liège. «Mais on sait qu’un système immunitaire sain, peu exposé aux agents infectieux, a tendance à dériver vers la voie TH2 plutôt que TH1. » En d’autres termes, la production de ces lymphocytes T, au cœur de la réponse immunitaire acquise, connaît un certain déséquilibre, privilégiant les TH2, qui répondent naturellement aux allergènes, plutôt que les TH1, qui se battent davantage contre les virus et les bactéries. Lorsqu’une personne est en bonne santé, le système immunitaire s’ajuste, et répond à une demande TH1 ou TH2, voire aux deux simultanément. «SI on produit moins de TH1 et davantage de TH2, on bascule donc vers un phénomène allergique », résume Renaud Louis. « Laisser les enfants jouer dehors, c’est les autoriser à rencontrer des agents infectieux, donc développer la voie TH1, empêchant de la sorte la TH2 de devenir prédominante. » Une expérience finlandaise a ainsi, récemment, recréé l’environnement forestier sur les aires de jeu de quatre garderies urbaines. Les enfants, d’âge préscolaire, y ont joué 1h30 par jour pendant 1 mois. Après seulement 28 jours, la diversité de leurs bactéries intestinales et cutanées a augmenté de façon spectaculaire, ainsi que leurs lymphocytes T et d’autres marqueurs immunitaires importants dans le sang. Des résultats qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle une biodiversité faible, dans notre cadre de vie moderne, pourrait conduire à un système immunitaire non éduqué, donc augmenter l’incidence des maladies immunitaires… RENAUD LOUIS Chef du Service Pneumologie

04 11 FÉVRIER | JOURNÉE INTERNATIONALE DES FEMMES ET FILLES DE SCIENCE Longtemps exclues du milieu de la recherche, les femmes sont aujourd’hui bien représentées dans les milieux scientifiques. Mais de nombreuses inégalités subsistent, entraînant des conséquences importantes pour leur santé. De graves lacunes entravent toujours la connaissance du corps des femmes, souvent moins bien soignées que les hommes. Bien du chemin a été parcouru depuis le temps des sorcières, cette époque pas si lointaine « où les femmes qui détenaient une connaissance des remèdes étaient accusées d’avoir pactisé avec le diable », rappelle Claire Gavray, Docteur en sociologie et enseignante au Master en études de genre à l’ULiège. Pour la Présidente du FERULiège , «On peut se réjouir d’une meilleure parité hommes/femmes dans la recherche médicale, mais la parité n’est pas le tout ! Nous restons héritiers d’une longue tradition symbolique qui continue à organiser une hiérarchie entre hommes et femmes, mais aussi entre ce qui est considéré comme masculin ou féminin dans le domaine de la santé ». De nombreuses études s’accordent de fait à montrer que la recherche médicale est encore largement faite par les hommes et pour les hommes, « considérant le corps de l’homme comme le corps de référence, alors que de nombreuses connaissances ne sont pas transposables au corps de la femme ». LA SCIENCE MÉDICALE SE CONJUGUE TOUJOURS AU MASCULIN Aujourd’hui, les femmes sont autant, voire plus nombreuses que les hommes dans les professions scientifiques. Cependant, leur nombre diminue au fil de l’évolution de carrière, et elles restent très minoritaires dans les postes à responsabilité. À l’ULiège par exemple, toutes Facultés confondues, elles sont 52 % parmi les chercheurs en début de carrière mais seulement 33 % parmi les scientifiques confirmés, et représentent seulement 27 % du corps enseignant en 2020. Du côté du CHU de Liège, seules 8 femmes occupent des postes de chef de Service, contre 33 hommes. Par ailleurs, une étude récente publiée dans la revue Science (18/06/2021) montre que seuls 25 % des brevets médicaux ont été déposés par des femmes au cours de trente dernières années. Pour l’auteur, cela se traduit par une désertification du champ de la santé féminine : «Les chercheurs masculins ont eu tendance à minimiser, voire à ignorer carrément, les besoins médicaux des femmes ». Pour Claire Gavray, «À ces rapports de pouvoir entre hommes et femmes s’ajoute la persistance d’un certain sexisme dans les milieux scientifiques. Ce qui fait que les femmes, pour réussir dans leur carrière, auront souvent tendance même inconsciemment à privilégier des sujets de recherche plus masculins ». LA SANTÉ FÉMININE EST RÉDUITE À SA FONCTION REPRODUCTRICE «Globalement, le milieu de la santé reste très imprégné de préjugés culturels, hérités du temps où le « sexe faible » restait cantonné au foyer. Ces préjugés sont intériorisés par les femmes elles-mêmes, et influencent la façon dont elles perçoivent leur santé », estime la sociologue. «La médecine féminine demeure ainsi essentiellement centrée La recherche médicale néglige-t-elle les femmes ? CLAIRE GAVRAY Docteur en sociologie et enseignante au Master en études de genre

05 : e , r r - x , t t s e s - s t , - e LES DIFFÉRENCES NE SE LIMITENT PAS AUX ORGANES SEXUELS ! Longtemps, on a cru que les di érences entre la santé des hommes et des femmes se bornaient à l’appareil reproducteur. On sait aujourd’hui que c’est loin d’être le cas. Chaque sexe comporte des spécificités métaboliques, hormonales et génétiques, qui modifient la façon dont les maladies a ectent l’organisme (certaines maladies ont des symptômes très di érents en fonction du sexe), mais aussi la métabolisation des médicaments, qui n’ont pas les mêmes e ets chez l’homme ou chez la femme. De plus, le genre influence également la santé : des di érences sociales telles que le type de tâches, de métier ou de mode de vie des hommes et des femmes entraînent des pathologies di érentes. Or la grande majorité des recherches médicales n’en tiennent pas compte. autour de leur fonction de reproduction et de séduction. D’ailleurs lorsqu’on dit « santé féminine », on pense gynécologie ! On se concentre ainsi énormément sur le cancer du sein ou de l’utérus, alors qu’avec nos modes de vie modernes une femme a par exemple sept fois plus de risque de mourir d’un AVC ou d’un infarctus que d’un cancer du sein ! Mais beaucoup de soignants l’ignorent, car les maladies cardiaques continuent à être considérées comme une maladie d’homme stressé au travail ». Les femmes décèdent davantage que les hommes de maladies cardiovasculaires, alors qu’elles sont moins souvent touchées De plus, les maladies cardiovasculaires se manifestent par des symptômes très différents chez les femmes. «Des études ont montré que même à symptômes équivalents, on suspectera davantage un infarctus chez un homme, mais une simple crise d’angoisse chez une femme, à qui on prescrira plutôt des calmants ou des antidépresseurs. Ainsi les femmes sont souvent sous-diagnostiquées, moins bien prises en charge et moins traitées. Le constat est le même pour nombre d’autres pathologies, comme les maladies professionnelles par exemple, qu’on continue à penser comme typiquement masculines ». DES TRAITEMENTS MOINS EFFICACES ET PLUS RISQUÉS ! La plupart des recherches dans les domaines de la santé et la physiologie sont toujoursmenées trèsmajoritairement sur des hommes, révèle un récent article de The Conversation (11/10/2021). À tous les niveaux : les recherches fondamentales sont principalement menées sur des cellules d’origine masculine, les études précliniques sur des animaux mâles, et les études cliniques sur des échantillons qui comprennent très peu de femmes. Les raisons sont multiples : plus grande complexité d’analyse liée aux cycles menstruels et hormonaux, à la ménopause, à la contraception, etc. (qui rend les études plus longues et plus coûteuses) ; difficultés éthiques liées à la volonté de protéger les éventuels enfants à naître… Cette sous-représentation des femmes dans les études est pourtant lourde de conséquences, soulignent des chercheurs suisses . Selon eux, cela se traduit par une moins bonne connaissance des pathologies qui affectent les femmes, avec des conséquences «sur la détection, la prévention ou la prise en charge de cette population», et même des erreurs de diagnostic. Mais ce n’est pas tout : on manque aussi de données sur les médicaments, principalement testés sur des hommes. Résultat : nombre de traitements se révèlent moins efficaces sur les femmes, et provoquent beaucoup plus d’effets secondaires (pour 6 à 7 % desmolécules testées). C’est par exemple le cas de la digoxine, conçue pour traiter les insuffisants cardiaques. Les essais qui avaient permis sa commercialisation avaient étémenés sur un échantillon à 80 %masculin. Des années plus tard, d’autres chercheurs ont réétudié les données en fonction du sexe, révélant que les femmes sous digoxine décédaient plus rapidement que celles qui avaient reçu un placebo! Les auteurs suisses soulignent d’ailleurs que la parité dans les échantillons d’essais cliniques ne suffit pas : encore faut-il séparer les données et les analyser en fonction du sexe et du genre, ce qui n’est pas fait dans la grande majorité des études (64 %). VERS UNE PRISE DE CONSCIENCE Heureusement, le monde scientifique et médical commence à intégrer cette problématique. Une prise de conscience toute récente, probablement liée au nombre grandissant de femmes travaillant dans le domaine. Des recommandations politiques enmatière de promotion de la santé de la femme émergent progressivement. De son côté, l’OMS a créé un Département Genre, femmes et santé en 1995, et plus proche de nous, les autorités de santé françaises ont publié des recommandations pour la parité dans les essais cliniques en 2018. Si ces initiatives restent pour l’heure plus incitatives que contraignantes, elles témoignent d’une évolution des mentalités et de la législation porteuses de grands espoirs pour la santé des femmes. Jen D. On tombe dans le piège d’étudier des problèmes spécifiquement féminins et non les spécificités féminines des pathologies (1) Le FERULiège est un réseau interdisciplinaire de chercheur(e)s et d’enseignant(e)s de l’ULiège impliqué(e)s dans les études femmes et genre. (2) M.M. Potterat et al., « Les femmes, oubliées de la recherche clinique », Revue médicale suisse (23/09/2015).

06 Le CHU et l’ULiège s’engagent 12 FÉVRIER | JOURNEE INTERNATIONALE DES ENFANTS-SOLDATS Créer un réseau international de recherches sur le thème des violences sexuelles subies par les filles et les femmes en situation de conflits : voilà l’objectif de la Chaire Mukwege, créée à l’ULiège en septembre 2018. « Il s’agit, plus largement, de construire des modèles de prise en charge pour les femmes, mais aussi les enfants et les adolescents, victimes directes ou indirectes de viols et de mutilations graves. On compte aussi, parmi ces victimes, les enfants nés de ces viols, et les enfants-soldats, dont la réinsertion dans la société reste compliquée », rappelle Mireille Monville, Psychologue Institutionnelle au CHU et Maître de conférence à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’ULiège (Unité d’expertise en psycho-traumatismes et psychologie légale). En collaboration avec La Fondation Mukwege, Médecins du Monde et l’association Les enfants de Panzi et d’Ailleurs, Mireille Monville s’est ainsi rendue dans le Kurdistan irakien, en septembre 2021. «Nous avions, dans un premier temps, donné trente heures de cours, en visioconférence, à des psychologues, des assistants sociaux et des éducateurs, irakiens et expatriés, qui travaillent avec les communautés yézidie et kurde irakienne, principales victimes des exactions de Daesh », explique-t-elle. «D’une certaine façon, l’Irak concentre à elle seule, toutes générations confondues, tout ce qui est possible de faire de monstrueux, de barbare, à un être humain. » Ainsi la ville de Mossoul compte-t-elle 138.000 enfants des rues, livrés à euxmêmes, «parce qu’ils ont été enrôlés comme enfants-soldats, ou que leurs parents sont des combattants deDaesh. Des enfants sans statut, en errance, sans carte d’identité, sans droits – pas même celui d’aller à l’école -, comme s’ils n’existaient pas. »DeMossoul àArbil enpassant par Sinjar et Dahouk, elle a rencontré celles et ceux avec qui, à distance, elle avait «tissé des liens si chaleureux ». Puis elle s’est rendue dans les camps. «Après avoir traversé ces villes dévastées, qui sont le berceau de l’humanité, de notre culture (les Yézidis considèrent que l’arche de Noé s’est posée dans les monts Sinjar, après le Déluge biblique), entrer dans ces camps fait un tel effet… On a l’impression que les gens vivent là depuis toujours, et pour longtemps encore, entre la difficulté de reconstruire et la menace de Daesh, toujours présente. Les communautés ont réintégré les femmes vendues comme esclaves sexuelles, mariées de forces à des combattants, parfois plusieurs fois, instrumentalisées dans leur corps et dans leur psychisme. Elles font aussi une place aux enfants-soldats, essaient de les aider à retrouver un sens à leur vie. Seuls les enfants nés de viols, séparé de leur mère, sont envoyés à l’orphelinat. Le combat pour certaine de ces mères étant de retisser, par tous les moyens des liens avec leur enfant », témoigne Mireille Monville. «Là, dans ces camps, j’ai apporté beaucoup de matériel pour travailler les émotions. Parler reste difficile, pour les victimes, prises entre l’idéologie, la honte, la culpabilité, la peur. Travailler sur l’émotion, MIREILLE MONVILLE Psychologue Chef du Service Valorisation de l’Humanisation

07 Je ne peux pas oublier le regard de cet enfant-là, qui a sou ert et fait sou rir, et qui tente de trouver un sens et un avenir Mireille Monville La Chaire internationale sur « La violence faite aux femmes et aux filles dans les conflits » (en abrégé «Chaire Mukwege ») est le fruit d’une démarche initiée par la professeure émérite Véronique De Keyser, Députée européenne honoraire, suite aux premiers contacts du Docteur Denis Mukwege avec les psychologues de la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation (FPLSE) et les médecins du CHU de Liège. Le but : mettre sur pied des programmes de coopération pour le suivi des survivantes de violences sexuelles. La Chaire Mukwege est attachée au Centre d’Expertise en Psychotraumatismes et Psychologie légale de l’ULiège. Elle a noué une étroite collaboration avec l’équipe de psychologues de l’hôpital de Panzi (République Démocratique du Congo) et l’Asbl Les Enfants de Panzi et d’Ailleurs, avec l’appui du CHU de Liège. La Chaire s’est ouverte à différentes universités qui ont déjà accueilli le Dr Denis Mukwege, notamment celles qui lui ont décerné un titre de Docteur honoris causa. Elle entend promouvoir des recherches transversales, interdisciplinaires, et ainsi mieux appréhender tant la prévention que le suivi des femmes victimes de violences sexuelles. À PROPOS DE LA CHAIRE MUKWEGE Plus j’avance dans la vie, plus je m’aperçois qu’il y a autour de la problématique de la violence faite aux femmes des inconnues que seul je ne pourrai lever. Il reste tant de questions sans réponse dans le domaine médical, psychologique, juridique, historique, socio-économique. Dr Denis Mukwege pouvoir la reconnaître, leur permet de développer un sentiment, un langage, et d’entamer une reconstruction. » Elle se souvient de cet enfant, «ce jeune homme de 14 ans », avec qui elle est parvenue à établir le contact. «Il m’a dit qu’il ressentait beaucoup de peine, et de colère. Je lui ai demandé quel sentiment il aimerait développer, il a mentionné la sérénité. Pouvoir grandir de façon sereine… J’ai voulu savoir à quoi il pensait quand il essayait de retrouver cette sérénité. Il a évoqué son père, décédé, et le souvenir de la douceur de sa mère. Je ne peux pas oublier le regard de cet enfant-là, qui a souffert et fait souffrir, et qui tente de trouver un sens et un avenir, à la fois enfermé en lui-même et dans un camp où l’avenir semble si difficile à imaginer. » Elle évoque aussi le souvenir d’une fillette de 11 ans, incapable de dessiner lors d’une séance d’art-thérapie. «Elle avait déjà été scolarisée, pourtant. Mais le processus semblait figé, par le bruit des bombes, par l’enlèvement de sa mère, par le fait d’avoir dû vivre cachée… Par tout ce qu’elle avait vu, en somme, et qu’un enfant, ou un adulte, ne devrait jamais voir. Elle a fini par esquisser un cercle, maladroitement. Il est difficile de construire, et de se reconstruire, quand on a vu la destruction partout. Pourtant là-bas, au milieu de la richesse des langues, de la cuisine, de l’art d’accueillir, au milieu de tout ce que Daesh a tenté de détruire, on assiste à un travail énorme de reconstruction psychologique, corporelle, communautaire, culturelle. On refait du lien aumilieu du chaos. On a l’espoir. » Parce que «Université, ça commence comme universel »,MireilleMonville y retournera. «L’ULiège et le CHUdoivent continuer à faire ces voyages, à créer ce lien, et à témoigner. Même si ces voyages ne sont pas sans danger physique et psychologique, on revient d’Irak , comme du Sud Kivu, étrangement chargé d’énergie, avec le sentiment curieux qu’il existe un chemin d’espoir, même après avoir été confronté à toute l’absurdité du comportement humain. » F. Si

08 Les chi res donnent le tournis. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 2,2 milliards de personnes ont une déficience visuelle touchant la vision de près ou la vision de loin. C’est plus d’un habitant de la planète sur 4. Pour près de la moitié de ces personnes, la déficience visuelle aurait pu être évitée ou n’a pas encore été prise en charge. Face à ce constat, des titres dans la presse interpellent : «La cécité n’est plus une fatalité » affirment certains. Chef du service d’ophtalmologie au CHU de Liège, le professeur Jean-Marie Rakic, est beaucoup plus nuancé. «Plus une fatalité? Cela dépend pour qui. Des enfants naissent aveugles. Cela reste un fléau à l’heure actuelle, c’est pour cette raison que des campagnes pour la combattre sont menées au niveau international par l’Organisation Mondiale de la Santé notamment ». Avancées? Progrès? Révolution? Il nous guide dans un secteur, celui de l’ophtalmologie, en pleine maturation. LA MYOPIE DE PLUS EN PLUS PRÉSENTE Le port des lunettes est de plus en plus rependu dans la population. Il est en augmentation constante. Pour le professeur Rakic, hormis le facteur génétique, deux facteurs principaux interviennent. «L’utilisation des écrans conjuguée au fait de moins exposer les jeunes à la lumière extérieure semble être un facteur de myopie. Elle se corrige avec des lunettes mais elle présente aussi dans les formes les plus graves, des atteintes pathologiques, qui ne se corrigent pas avec des lunettes et exigent une intervention médicale ». Le niveau atteint est tel que, dans certains pays d’Asie, des règlements obligent les écoles à faire sortir les élèves des classes aumoins une heure par jour pour leur donner davantage accès à la lumière extérieure et essayer de freiner cette progression. «Les techniques de correction définitive se sont fortement améliorées, qu’il s’agisse des technologies laser pour les myopies faibles ou de la mise en place d’implants intraoculaires pour la myopie forte. Mais tous ces traitements ont un coût. Plus il y a demyopes, plus cela coûte cher à la société ». DES ÉVOLUTIONS À VUE D’ŒIL Là où certains évoquent « des progrès spectaculaires qui permettent de redonner la vue », le professeur Rakic restent à nouveau très modéré : «Certaines technologies dans certains cas permettent de redonner un peu de vue ». C’est notamment le cas des essais effectués dans le domaine de la thérapie génique, au stade expérimental pour certaines pathologies. «Cela peut fonctionner dans certains cas, chez l’animal de laboratoire. Pour la cécité, cela semble donner certains résultats. Mais, une fois encore, la réalité actuelle n’est pas à affirmer que la cécité n’est plus un fléau. Je ne veux pas donner cette illusion ». Ces 20 dernières années, de nombreuses avancées ont toutefois été enregistrées. C’est le cas pour la greffe de cellules cornéennes avec différentes variantes. Elle est aujourd’hui la greffe la plus répandue au monde et permet à de nombreuses personnes malvoyantes ou aveugles de retrouver une vision normale. «Des améliorations chirurgicales ont été apportées. On ne remplace plus la cornée dans toute son épaisseur, mais juste la couche malade, soit la couche de surface soit la couche profonde. C’est une véritable avancée ». Les médicaments pour la rétine ont aussi évolué. «De nouvelles techniques sont également expérimentées : plutôt que de mettre les gouttes plusieurs fois par jour, on imagine des implants qui vont libérer ces médicaments de manière prolongée, durant de plusieurs années ». Autre progrès : les implants multifocaux : « Ils sont utilisés, notamment quand il s’agit d’opérer des patients de la cataracte. De plus en plus perfectionnés, certains parviennent à recréer une perception correcte, sans lunettes, de loin et de près ». Lorsqu’il évoque le secteur de l’imagerie, le professeur Rakic n’hésite pas à parler de véritable révolution. «Nous analysons l’œil de façon de plus en plus précise et détaillée. Les RMN se font au millimètre, nous, c’est en micron que nous analysons. Cela nous permet de mieux comprendre les pathologies, de mieux traiter parfois, de mieux percevoir aussi ». Des évolutions considérables sont par ailleurs également apparues dans le domaine chirurgical (les microscopes) couplé à la miniaturisation des instruments (dont le diamètre peut être inférieur à 0,5mm). Ce qui permet d’opérer avec une précision et une sécurité accrue des cas inopérables il y a 20 ans. L’IMPACT DE LA CRISE SANITAIRE Comme tous les autres services de l’hôpital, l’ophtalmologie est impactée par la crise sanitaire. «Il y a unmois, il nous a été dit que nous ne pouvions plus faire que les urgences. Toutes les opérations de la cataracte, des paupières, même des opérations sur la rétine ont été reportées. Une situation qui pose des problèmes d’indépendance à beaucoup de personnes : certains voient mal et ne savent plus conduire, d’autres ont été opérés d’un oeil mais pas de l’autre, ... C’est épouvantable ». Au-delà de la crise sanitaire, le professeur Rakic insiste pour pointer un autre élément qui, à ses yeux, est venu perturber la vie du service et des patients: «Nous sommes actuellement à 25% de ce que nous faisons habituellement. C’est à cause du covid mais aussi de problèmes liés au personnel. L’hôpital n’est pas rempli de covid, mais de lit et de salles vides par manque de personnel. Cela pose un problème plus général d’organisation et de gestion du personnel plus que de gestion du covid ». C.N JEAN-MARIE RAKIC Chef du service d’ophtalmologie 22 JANVIER | JOURNÉE MONDIALE DU BRAILLE Ophtalmologie : des soins en pleine évolution

09 FONDATION LÉON FREDERICQ| LA CHERCHEUSE DU MOIS Son espoir : trouver une cible thérapeutique pour lutter contre le plus redouté et le plus foudroyant de tous les cancers, l’adénocarcinome pancréatique. La jeune chercheuse liégeoise concentre ses recherches sur lamyoferline, une protéine prometteuse pour de futurs traitements. Dès l’école primaire à Visé où elle a grandi, la petite Sandy était déjà captivée par les cours de biologie, surtout sur le système digestif. « J’avais hâte de rentrer des cours pour raconter à ma maman tout ce que j’avais appris ! », se souvient la jeune femme. En rhéto, le hasard des rencontres la décide à se lancer dans un Master en Sciences biomédicales, qu’elle achèvera brillamment en 2018. Aujourd’hui doctorante FRIA de 26 ans au sein du Laboratoire de recherche sur les métastases de l’ULiège, Sandy Anania remporte pour la deuxième année consécutive une bourse de la Fondation Léon Fredericq pour ses recherches sur le cancer du pancréas. Grâce aux 6.000 € du Prix Josée et Jean SCHMETS, elle va pouvoir terminer ses expériences sur la myoferline d’ici la fin de l’année. EN 2025, LA MORTALITÉ DÉPASSERA CELLE DU CANCER DU SEIN Sandy Anania a choisi d’apporter sa pierre à la lutte contre l’adénocarcinome pancréatique, « parce que c’est l’un des cancers les plus pernicieux et les plus agressifs, et qu’à l’heure actuelle aucun traitement efficace ne permet de sauver les patients », explique la chercheuse. Si ce n’est pas le cancer le plus fréquent, son incidence augmente chaque année et « son taux de survie est le plus bas parmi tous les cancers ! Ceux qui sont atteints ont 90 % de chances d’en décéder dans les cinq ans qui suivent le diagnostic, et la plupart y succombent dans les cinq à six mois ». Un constat qui ne devrait malheureusement pas s’améliorer si la recherche n’avance pas : « sa mortalité dépassera probablement celle du cancer du sein d’ici trois ans, et il sera la deuxième cause de décès par cancer dans dix ans ». « Seule la chirurgie a fait ses preuves pour traiter ce cancer. Le problème est que la maladie évolue silencieusement pendant longtemps et que lorsque le diagnostic tombe, les métastases ont déjà colonisé les organes avoisinants et sont inopérables, dans la grande majorité des cas. De plus parmi les patients opérés, 70 % récidivent ». C’est pourquoi il est urgent de développer de nouveaux traitements ciblés. «Mais pour cela, il faut d’abord identifier les molécules à cibler ! ». Pour la doctorante liégeoise, une protéine semble jouer un rôle déterminant dans la progression des métastases : la myoferline, dont elle tente de percer les mystères. UNE CIBLE PRÉCIEUSE POUR DE FUTURS TRAITEMENTS En 2011, le Laboratoire de recherche sur les métastases découvrait que le taux de myoferline, une protéine naturellement présente dans le corps, était anormalement élevé dans les cas de cancer du pancréas. Ce qui n’était alors qu’une intuition s’est confirmé à l’expérimentation : « En inhibant la myoferline, on parvient à réduire la taille de la tumeur et empêcher les cellules cancéreuses de proliférer, donc de former de nouvelles métastases ». À partir de là, Sandy tente de « comprendre précisément comment la myoferline impacte la cellule cancéreuse ». Si ses premiers résultats se confirment, cibler la myoferline pourrait constituer une clé de voûte d’un futur traitement contre le cancer du pancréas, « en combinaison avec d’autres thérapies. Car agir sur la myoferline permet de réduire les tumeurs et les métastases, mais ne les supprime pas », prévient la chercheuse. Au terme de son doctorat, prévu pour la fin d’année, ses collègues de labo devraient poursuivre les recherches entamées, tandis que Sandy s’envolera en post-doctorat à l’étranger « pour étudier d’autres aspects du cancer du pancréas ». Jen D. Sur la piste dela myoferline : une clé pour comprendre le cancer du pancréas? SANDY ANANIA Chercheuse du mois - - - s n t t - a - a é - , a i - e s - e n u : e u - , e - l N Vous souhaitez, vous aussi, soutenir la Fondation Léon Fredericq et nos jeunes chercheurs de l’Université et du CHU de Liège ? FAITES UN DON, CHAQUE AIDE EST ESSENTIELLE ! Compte : BE48 0018 3821 0927 Communication : Fondation Léon Fredericq CC4012 (déductibilité fiscale à partir de 40€) Contact Fondation Léon Fredericq, Caroline MAZY, 04/366.24.06, caroline.mazy@chuliege.be À QUOI SERT LE PANCRÉAS ? Le pancréas est une glande située au fond de l’abdomen, derrière l’estomac, qui remplit deux fonctions importantes: • il déverse dans l’intestin des sucs (enzymes digestives) utiles à la digestion des aliments et à l’absorption des graisses, des sucres et des protéines ; • il sécrète deux hormones (l’insuline et le glucagon) qui contrôlent le taux de sucre (glycémie) dans le sang.

10 LE CAS DE LA MÉDIATRICE| DES MOTS SUR LES MAUX Le Patient et sa plume UN PATIENT CAROLINE DOPPAGNE Médiatrice Le 23 Janvier est célébrée la journée de l’écrituremanuscrite. Elle est l’occasion de nous encourager à écrire, au moins une fois dans l’année. De par mon expérience, en ce mois de janvier, mon souhait est de partager avec vous les belles plumes des patients qui, au-travers de la possibilité qu’ils ont de s’exprimer auprès du service de Médiation hospitalière, m’adressent chaque semaine des écrits auxquels je voue une attention particulière. Chacun d’eux est considéré comme «unique», car il porte en soi le vécu et le ressenti de l’émetteur, une forme d’intimité couchée sur papier, mais également depuis l’émergence des communications de plus en plus digitales, via l’e-mail, une situation que je suis amenée à traiter. L’écriture peut faire partie d’un travail de deuil, dans l’expression de ce chemin parcouru, mais aussi dans l’attente d’une réponse, celle d’obtenir un écrit afin de cheminer sur base de données tangibles. EXTRAITS Bonjour, Je me tourne vers vous pour vous demander s’il serait possible d’obtenir mon dossier médical pour les années 2018-2019. J’ai attendu un petit garçon, et n’ai pas eu une grossesse facile. Alors je me suis encore plus accroché à lui, c’était fusionnel. J’ai rencontré de gros ennuis et il est venu trop tôt, à 5 mois. Il est décédé peu de temps après sa naissance. J’aimerais le dossier de ce moment de ma vie car je n’arrive pas à faire son deuil, tout simplement car il n’a existé pour personne, vu que je n’ai pas pu le reconnaitre. Il n’existe que sur des papiers chez vous. Celam’aiderait psychologiquement . L’écriture manuscrite offre aussi la possibilité d’exprimer un vécu, ses pensées, un ressenti. J’ai très régulièrement des patients en ligne quime contactent aumoment-même de la contrariété rencontrée lors de leur prise en charge. Lesmots et la colère fusent dans tous les sens, le besoin premier est d’exprimer le différend, d’être écouté et entendu. A la fin de l’entretien, je propose soit une consultation demédiation, lors de laquelle je prendrai acte des doléances, ou alors dem’écrire, demettre par écrit ce qu’ils viennent de raconter «à chaud». Ecrire son vécu avec un peu de recul permet ainsi de prendre le temps d’expliquer le déroulement des faits, de se remémorer les séquences, mais aussi de réfléchir à ce qui est attendu au-travers de l’expression de la plainte: juste «dire les choses», obtenir des explications, un geste financier, éviter que cela ne se reproduise, etc. Écrire peut parfois aussi s’avérer thérapeutique pour certaines personnes. EXTRAITS Madame, Je suis le fils de Monsieur A qui est hospitalisé dans le service X. Je vous écris ce jour pour vous faire part de ma colère et de ma frustration. Ce lundi, une infirmière est passée pour me prévenir que mon père sortirait ce mercredi. Hier, mon père nous dit qu’il ne pourra pas sortir ce mercredi mais qu’il n’a pas bien compris ce qu’’il a sauf de la fièvre. Lors de ma visite hier soir, j’ai demandé des explications à l’infirmière qui n’avait pas l’air trop sûr d’elle, beaucoup d’hésitation dans ses explications. Je lui ai également demandé quand je pourrais voir le médecin qui s’occupe de mon père. L’infirmière m’informe que je peux le rencontrer ce mercredi matin à partir de 9 heures et qu’il m’expliquera de quoi souffre mon père. Ce matin, j’annule donc une série de réunions pour m’y rendre. Je me rends à l’hôpital peu avant 9 heures et demande à lui parler. L’infirmière sur place me dit qu’il va arriver. Vers 9h 10 le médecin arrive, et je lui demande poliment s’il peut me dire ce dont mon père souffre. El là il me répond assez sèchement qu’il ne l’a pas encore vu cematin et que je devais patienter. Ce que j’ai fait. A chaque fois que je croisais le médecin dans le couloir j’avais l’impression d’être transparent. Le fait d’être médecin ne lui octroie pas le droit de nous mépriser. J’ai patienté jusqu’à 14 h 45 et là je me suis énervé. Le médecin ne daignait pas me renseigner. Et enfin, miracle! Une infirmière compétente est venue me dire de quoi souffrait mon père. Cela lui a pris 2 minutes mais elle a su me rassurer. Ce qui m’importe le plus dans la vie, ce sont mes proches et confier la vie de mon père n’est en rien facile. Il faut donc qu’un climat de confiance règne entre le service hospitalier, les patients, et la famille. Je peux vous assurer que cette infirmière a été compétente à l’écoute et a su par des mots simples nous rassurer. Mais il serait par contre peut-être urgent que le Docteur Z du service X se remette en question. Qu’il se mette à la place des autres. Et si c’était son père qui était hospitalisé et qu’il souhaitait savoir de quoi il souffrait ? Apprécierait-il que le médecin le traite comme quantité négligeable? J’espère que mon courriel ne sera pas traité à la légère et que cela permettra à d’autres de ne pas subir ce que j’ai vécu ce matin. Je vous prie d’agréer mes salutations distinguées. Ecrire, c’est aussi l’occasion de pouvoir transmettre aux équipes de la reconnaissance et de la gratitude, un petit mot gentil. Car en effet, si le service de Médiation est au quotidien en charge de centaines d’écrits, il est là aussi pour relayer ces messages de bienveillance. EXTRAITS Madame la Médiatrice, Je vous écris à l’issue de mon hospitalisation dans le service Y. A 65 ans, il s’agissait pour moi d’une première «expérience» dans un hôpital, n’ayant jamais été confronté à de quelconques problèmes médicaux. Si je ne devais utiliser qu’un seul mot pour qualifier cette intervention et ce court séjour dans votre établissement je dirais «EXCEPTIONNEL»! Du brancardier au chirurgien (que je consulte une fois par an depuis plusieurs années) en passant par les infirmières du bloc, de la salle de réveil, de l’étage du service, sans oublier l’anesthésiste, j’ai été absolument sidéré par le tout grand professionnalisme et l’incroyable humanité de tout ce personnel. Et au-delà de ce professionnalisme dont on pourrait dire qu’il est «normal» s’agissant de vies qui sont entre leurs mains tous ces intervenants sont d’une extrême gentillesse et témoignent envers nous, les patients, d’un immense respect. Auriez-vous l’amabilité de leur transmettre ce message et mes remerciements chaleureux. Je vous en remercie. En cette année nouvelle, sachez que le service de Médiation est à l’écoute de vos plumes. Belle et heureuse année 2022 à toutes et tous. Comment joindre le service de médiation par écrit ? - Par e-mail : mediation.hospitaliere@chuliege.be - Par voie postale : DOPPAGNE Caroline, service de Médiation hospitalière – CHU de Liège – B35 à 4000 Liège.

11 MEDIATION HOSPITALIERE| RELAIS VERS LES SOIGNANTS La Mediatrice reçoit les doléances des patients (543 dossiers en 2020) mais elle rencontre aussi les services médicaux impactés pour travailler avec eux à un bond qualitatif. Le PC en bandoulière, Caroline Doppagne arrive dans la salle de réunion dans ce service du CHU de Liège, ce lundi matin qui n’est pas comme les autres. Dans quelques minutes, elle a rendez-vous avec les chef(fe) s de service d’un département. Responsable du service deMédiation hospitalière du CHU depuis 17 ans, elle vient présenter son rapport de l’année 2020, avec un focus sur le Département concerné, en vue de discuter de façon positive des enseignements à tirer des dossiers traités. Au total, 543 dossiers ont été enregistrés au CHU de Liège pour 2020. Et, dans les missions de la Médiatrice, octroyées par loi du 22-02-2002 relative aux droits du patient (à l’article 11), figure celle de recommandation. Quand le médiateur constate que des soucis se répètent, il émet des propositions pour éviter que certaines choses se reproduisent. «Cette réunion avec les chef(fe) s de service doit donc nous permettre de voir quels points précis il serait utile de travailler pour tenter de diminuer certains aspects des plaintes », explique la Médiatrice. La discussion débute par une analyse des dossiers concernés. Une thématique qui revient régulièrement est celle de la facturation : le patient estime ne pas avoir pu bénéficier de la qualité de soin qu’il attendait et/ou ne pas avoir été bien informé des répercussions financières des soins en lien avec sa prise en charge. C’est le cas par exemple de la question délicate question du matériel implanté. Le patient doit s’y adapter. Parfois, cela met du temps, il n’est pas content, incrimine la qualité des soins et le montant de la facture. « Autre exemple : les soins prodigués dans un contexte d’urgence. Les patients arrivent, en crise, avec énormément d’attentes par rapport aux soins alors que le prestataire dispose d’un temps très limité et qu’une prise en charge a pour objectif de traiter un problème aigu. Le passage aux urgences n’est souvent que le départ d’une prise en charge qu’il va falloir programmer alors que le patient imagine une solution immédiate et définitive. C’est le genre de situation qui débouche sur une plainte au service Médiation. Autre thématique récurrente : la problématique de la prise de rendez-vous, de la disponibilité et de l’amabilité des agents de l’accueil. Relais vers les soignants Pour une médiatrice, avoir tout un département qui se mobilise pendant une heure, qui écoute avec bienveillance et recherche des solutions, c’est extrêmement positif Ecoute et implication. Mais pour l’heure, elle installe son matériel pour diffuser le Powerpoint qu’elle a préparé. Les chef(fe) s de service du département vont recevoir une présentation d’une heure. Sont également présents le Dr VANDENBOSCH, Médecin experte à la Direction médicale, M. DIDDEREN, responsable de l’Accueil patients, et la secrétaire du Département. L’écoute est intéressée. D’emblée, les participant(e)s apportent des précisions et posent des questions : « c’est tout un département qui est concerné alors que les statistiques ne concernent que des services dans d’autres cas », «sont-ce surtout des assistants ou des stagiaires qui sont l’objet des plaintes ? », «Comment celles-ci sont-elles ventilées? » A cette écoute succède un certain enthousiasme. Plutôt que d’opter pour une solution «classé sans suite », on s’interroge sur la possibilité d’affiner les plaintes des patients, de répertorier les dossiers par service, par site,… et on avance ainsi de façon positive et constructive. La question du consentement éclairé (pour expliquer l’intervention qui va être pratiquée, les risques les plus courants, les répercussions financières et l’organisation ainsi que la durée du traitement) retient aussi toute l’attention des chef(fe)s de services. Il serait une solution potentielle aux problèmes liés à la facturation. «Juridiquement, le consentement reste discutable mais lorsque nous recevons une plainte enmédiation, cela pourrait permettre au patient de se rappeler les informations qui lui ont été transmises et qu’il avait donné son accord en signant le document », explique la médiatrice. Cela peut s’oublier suite à une prise de médicament, à une pathologie, à l’émotion du moment, ... Or un document de ce type n’existe pas encore dans ce service où il serait d’une utilité certaine: est-ce une intervention provisoire ou définitive? Pourquoi tel coût? Quels sont les risques éventuels d’une anesthésie, ... Des pistes. La réunion s’achève. Au moment de quitter la salle, Caroline Doppagne n’est pas insensible à ce qui vient de se passer. «L’objectif était d’écouter ce que les plaintes récoltées nous disaient et de voir ensemble comment améliorer les choses. L’hôpital veut être transparent et tendre vers une amélioration, toujours ». Depuis la réunion, rendez-vous est pris pour établir un échéancier des projets. L’élaboration du document de consentement éclairé doit être planifié. Deux séances d’information sur «les droits et devoirs des patients, la gestion de la plainte des patients, et les aspects de communication primordiaux (sur ce thème) dans la relation soignants-soignés » seront par ailleurs donnés aux étudiants par Caroline Doppagne dès cette année académique. En ce qui concerne l’accueil, des recherches de solutions sont également à l’étude. «Pour une médiatrice, avoir tout un département qui semobilise pendant une heure, qui écoute avec bienveillance (ce n’est jamais facile d’entendre le médiateur pointer ce qui ne va pas) et recherche des solutions, c’est extrêmement positif ». Pour les patients aussi, sans aucun doute. Dans son métier, elle met un point d’honneur à ce que les parties soient sur un pied d’égalité pour que le processus de médiation tende vers un mieux pour tous. C.N.

■Professeur, certains parents ont parfois un avis di érent sur la vaccination de leurs enfants. Que conseillez-vous aux parents dans ce cas ? L’avis différent entre les parents est un problème plus large que la vaccination. Ce problème d’attitude est assez fréquent chez les parents qu’ils soient ensemble ou séparés. Je crois que c’est vraiment important d’essayer de replacer la question de la vaccination et de la santé de l’enfant dans un contexte de bienveillance des parents à l’égard de leur enfant. Il ne faut pas effectivement instrumentaliser l’enfant dans ce type de conflit quand les parents sont séparés ou pas d’accord. Nous sommes conscients que la vaccination est une question clivante dans notre société et cela touche évidemment les couples aussi. Dans les familles, ces questions sont parfois difficiles à arbitrer. L’enfant ne doit pas être impliqué dans ce débat. Nous devons avoir une position pédagogique la plus ouverte possible. Nous devons privilégier le dialogue entre les parties avec bienveillance pour faire comprendre l’intérêt que la vaccination peut représenter pour l’enfant. ■On sait que les cours de récré sont parfois des lieux di ciles où les enfants se comparent ou se jugent entre eux. Les enfants vaccinés, ceux qui ne le sont pas. Quels conseils donner aux équipes pédagogiques qui seraient confrontées à cela? La question de cette comparaison dans les cours de récré ou autre lieu scolaire, c’est quelque chose qui est beaucoup plus large que la question de la vaccination. Les enfants se comparent d’une façon absolument générale. Cela fait partie de la vie et de la maturation de l’enfant : il fait partie d’un groupe et dans ce groupe, il y a une dimension systémique où chaque enfant, effectivement, va se comparer aux autres. C’est donc un principe général, ça doit se passer comme ça. Ce n’est pas un défaut que ça se passe, c’est inévitable et c’est même bien. Il ne faut évidemment pas que ça devienne quelque chose qui ressemblerait à « des bons et des mauvais », à « des responsables et des irresponsables ». L’équipe pédagogique doit vraiment restaurer le dialogue. C’est une question de tolérance. La tolérance, c’est vraiment ce qui fait le vivre ensemble. ■La crise sanitaire n’a pas épargné les plus jeunes. Quel constat posez-vous sur ces enfants, ces jeunes qui grandissent maintenant depuis deux ans avec la Covid? La question de ce que représente la Covid est une question qui est sans doute difficile à gérer pour les enfants, parce que les enfants ne sont jamais qu’une partie d’un tout. L’enfant en tant que membre de cette société au sens large, est un peu une éponge par rapport à tout ce qu’il entend. La difficulté pour l’enfant est d’avoir une maîtrise, je dirais cognitive, au sens de compréhension du processus, qu’il n’a pas nécessairement les moyens d’avoir réellement. Là, c’est vraiment important de resituer l’enfant dans une perspective générationnelle. C’est-à-dire : qu’est-ce que les parents peuvent dire aux enfants ? Qu’estce que les enfants peuvent se dire entre eux? Qu’est-ce que les enseignants peuvent dire aux enfants pour qu’ils comprennent ce qui se passe ? On avait lancé à l’époque une petite ligne d’écoute et il y a une petite fille qui avait dit quelque chose à mes collègues, qui m’avait vraiment paru extrêmement significatif. Elle avait dit «Non, non, je ne me tracasse pas parce que je sais que maman va se protéger » ; je trouvais ça vraiment extrêmement intéressant, on voit que c’est le lien de confiance entre un parent et un enfant qui va permettre d’avoir ce sentiment de protection par rapport à ce danger qui nous guette. Et inversement, cet exemple-là dit l’inverse aussi : c’est-à-dire que les enfants sont des éponges, mais des éponges de l’angoisse des parents. Quand, inversement, j’entends une maman qui disait à l’époque : « je ne vais pas mettre mon enfant à l’école parce que je ne l’envoie pas à l’abattoir », c’est évidemment totalement destructeur de l’enfant, en réalité, bien plus que le virus. Il faut que nous, en tant qu’adulte, en tant que parents, nous puissions aider l’enfant à comprendre ce qui arrive sans censure. Il n’y a pas de plus mauvaises habitudes que la censure pour protéger : on ne protège jamais en censurant ou en privant, ; on protège en expliquant. Les enfants ont des compétences qui leur permettent tout à fait de comprendre. Ils sont beaucoup plus capables de comprendre que ce que nous pouvons penser. ■On entend beaucoup parler de résilience dans cette crise sanitaire. Les enfants ont-ils développé de nouvelles compétences ? Je pense que, effectivement, par rapport à ce qu’on pourrait appeler une forme de maturité, les enfants sont précisément capables, c’est parfois étonnant, de bien comprendre avec plus de rationalité que leurs parents un certain nombre de choses qui concernent effectivement la santé. Ils peuvent vraiment poser de bonnes questions et avoir de bonnes inquiétudes ou des inquiétudes parfois forcées si jamais ils sont dans un milieu évidemment trop anxiogène. En tout cas, ce serait surtout à ce niveau-là que je situerais la « nouvelle compétence des enfants ». C’est une sorte de maturité un peu forcée par les circonstances, mais où beaucoup d’enfants peuvent révéler finalement leur vraie capacité de compréhension du monde qui les entoure. Beaucoup plus que ce qu’on croit. ALAIN MALCHAIR pédopsychiatre 12 COVID ISAISON 2 ÉPISODE 2 C’est à nous d’avoir une position pédagogique, aussi ouverte que possible

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