Le Patient 44 - Retour progressif à la normale

C’EST QUOI, CES COSMONAUTES ? Viennent ensuite les cosmonautes. Je veux dire les ambulanciers de l’armée, chargés de mon transport (MHCE, maladie hautement contagieuse et émergente) vers Anvers. Des hommes en blanc, harnachés de la tête aux pieds. Je ne distingue que leurs yeux. Ambiance surprenante dans les cou- loirs. Le trajet est chaotique, la route n’est que soubresauts. Bon sang, cette ambulance tient plus du fourgon à détenus que du véhicule médical ! J’ai l’impression d’être jeté à l’arrière d’une camionnette. Étonnamment, je n’ai pas peur. Je suis résigné. Je dois être soigné. Je pense à la petiote. La prunelle de mes yeux. Je me jetterais à l’eau pourma fille. Elle n’a que trois ans et demi. J’ai été père sur le tard, voyez-vous. Une chance inespérée que je mesure chaque jour. AllezPhilippe, tune peuxpasbaisserlesbras!Etpuisj’ailaFoi. Advienne que pourra. Anvers. Civière qu’on pousse. Un long couloir. Plafond blanc. Je glisse. J+19. Je suis resté 19 jours sous respirateur. 19 jours dans le coma. Je n’en ai pas le moindre souvenir. Rien. Nada. L’enfer commence au réveil. Enfer pavé de dé- lires encore très prégnants aujourd’hui. Je ne parle pas de rêves ni de cauche- mars, non. Ce sont des images horri- blement réalistes, d’une froideur de bistouri. Ca me colle à la peau et me voile les yeux dès que je les ferme. Di- vagations dont je ne sais si elles sont liées aux médications ou au virus. Je ne souhaite ça à personne, pas même à mon pire ennemi. Scénarios abracadabrantesques. Dans lesquels je suis toujours contraint, pieds et poings liés (en réalité, je suis attaché dans mon lit tant je suis agité, m’expliquera-t-on). On veut ma peau. Des bandits d’Europe centrale, dont j’ai découvert le trafic, veulentm’assassiner. Hangar. Ils déchargent leur butin d’un camion. Me voici à présent en Afrique, avec la femme d’un président que je dois protéger! Dans mes délires, je suis ma- lade aussi, je tousse. Je me débats avec mes liens. J’en ai des escarres aux pieds. Et j’ai soif. Terriblement soif.Ma bouche est atrocement sèche. On me tend une paille, je pompe un peu. Me voilà à Angleur, maintenant! Sur un bateau qui sert d’hôpital. Ma femme, biologiste, y travaille. Elleme caresse les cheveux.Ma fille demande si Papa est malade. Mon épouse lui répond que « oui, mais ça va aller ». J’ai quelques éclairs de lucidité entre ces transes délirantes. Je m’en remets à Dieu. J’ai confiance. Je mets ma vie entre Ses mains. Ca m’apaise. Le calme revient. CREVÉ MAIS VIVANT Je suis resté hospitalisé 6 semaines et 2 jours. Fièvre, coma, diarrhées. Saleté de virus. Je n’ai aucune idée de qui j’ai pu l’attraper. Mes collègues ont aus- si été testés positifs, ils ont fait « une grosse grippe ». Je rentre à la maison confiant. Zut, plus de mazout... Brrrr. Pas grave, je me couvre. Je suismalade dès le lendemain. Vomis- sements, fièvre à nouveau. Retour au CHU trois jours plus tard. J’angoisse. Que sait-on de ce satané virus, après tout ? Suis-je reparti pour un tour ? Le personnel soignantme reconnaît. « Mais c’est notre premier patient CoVid! Oh la la, je me souviendrai toujours de votre toux… » Le test pour le coronavirus s’avère négatif, ouf! Il s’agit en fait d’une grosse infection urinaire. Et d’un calcul rénal « trop gros pour passer ». A l’heure où je vous écris, je suis en- core très faible et toujours sous an- tibiotiques. J’ai perdu 13 kilos. Mais je suis en vie ! Ex-cycliste et boxeur, arbitre de boxe depuis 26 ans, j’ai per- du tous mes muscles. Moi qui pouvais trotter 50 km, je ne peux pas marcher plus de 500 mètres sans souffler. Ce n’est pas respiratoire, c’est comme si on m’avait ôté toute vitalité. La nuit, mes mains s’endorment, fourmillent, mes phalanges me font mal. Alors je me lève et je marche. Ce satané virus m’a beaucoup pris, j’es- père qu’il ne m’a pas volé des années de vie en bonne santé. Mon caractère de battant, mon expérience des vic- toires et des défaites sportives m’ont aidé, c’est certain. Je sais me relever. Le déconfinement m’angoisse cepen- dant. Je redoute que la pandémie, qui m’a valu la pire épreuve de ma vie, ne s’aggrave. Je veux voir ma petite fille grandir, je veux l’emmener le plus loin possible sur le chemin de sa vie. Bien vite la serrer dans mes bras. Propos recueillis par C. Vrayenne 14/04/2020 4.157 décès en Belgique 14/04/2020 Sanofi et GSK rassemblent leurs forces pour trouver un vaccin 14/04/2020 Liège Airport sera un hub de l’OMS 3 Coronavirus : laDéfense transporte des patients limbourgeois vers d'autres provinces ©DIRKWAEM - BELGA « Après 19 jours sous respirateur, jem’en suis remis à Dieu » (DR)

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