Art et Architecture - CHU de Liège

1 Le CHU de Liège Ar t e t arch i tec t ure

Auteurs : Edith Culot, Marie-Sophie Degard, Isabelle Graulich, Jean Housen, Eva Milet, Stéphanie Reynders, Isabelle Verhoeven Photographies : CHU de Liège et Collections artistiques de l’Université de Liège Graphisme : Debie Graphic Design Imprimerie : AZ Print Nos remerciements s’adressent à : Pierre Henrion (historien de l’art), Édith Micha et Emmanuelle Grosjean (Collections artistiques de l’Université de Liège). CHU de Liège-Service Communication Directeur et éditeur responsable : Louis Maraite, 1 Avenue de l’hôpital, 4000 Liège Art&fact asbl Université de Liège, Galerie Wittert Place du 20-Août, 7 B-4000 Liège T : +32 (0)4 366 56 04 Du mardi au vendredi de 9h à 13h Courriel : art-et-fact@misc.ulg.ac.be Site : www.artfact.ulg.ac.be Illustration de la couverture : Sol LeWitt © CHU Cette brochure est éditée à l’initiative du CHU de Liège à l’occasion de son 30e anniversaire et du 200e anniversaire de l’Université de Liège

3 Le CHU de Liège Ar t e t arch i tec t ure

4 Fondée en 1981, l’asbl Art&fact regroupe les historiens de l’art, les archéologues et les musicologues de l’Université de Liège. L’association édite une revue et des publications scientifiques. Elle propose également à un large public les activités suivantes : visites guidées, excursions et voyages culturels, stages et activités pour jeune public, dossiers pédagogiques, ouvrages de vulgarisation, expositions... Véritable interface entre des institutions scientifiques et le public, Art&fact contribue à des projets de médiation, de diffusion ou de vulgarisation. C’est le rôle de cette publication, le CHU étant naturellement sensible aux expressions artistiques. Dans ce livret, Art&fact propose une découverte des bâtiments du CHU de Liège, réalisés par l’architecte Charles Vandenhove, ainsi qu’une description des lambris exécutés par des artistes belges et internationaux sollicités dès l’origine du projet. La présentation de ces créateurs et de leur œuvre sérigraphiée sur des panneaux d’acier est agrémentée d’une introduction historique et architecturale de l’hôpital. La présentation des notices suit l’ordre alphabétique des noms des artistes. Tel un volet de diptyque, cet ouvrage complète celui consacré à Charles Vandenhove, réalisé par Pierre Henrion et édité parallèlement par le CHU de Liège. Dans les espaces accessibles au public, des visites commentées peuvent être adaptées à un large public et aménagées selon les souhaits du groupe. La réservation se fait au secrétariat d’Art&fact.

5 Le CHU de Liège, c’est le chef-d’oeuvre de l’architecte Charles Vandenhove et le témoin de pierre, de verre et d’acier du génie bâtisseur. C’est une oeuvre d’art, offerte au plus grand nombre, qui passe à travers le temps. Le génie de Charles Vandenhove a été de concevoir, il y a trente ans, une institution d’une telle modernité qu’elle répond aux besoins de la médecine d’aujourd’hui; une institution d’un tel esthétisme que le patient et le visiteur peuvent y déambuler comme dans un musée d’art moderne. Avec l’aide poétique d’artistes de première importance, Charles Vandenhove nous permet de guider le patient, sa famille, qui sont dans un état de stress et d’inquiétude, vers quelque chose qui leur permette d’oublier qu’ils sont dans un hôpital. A l’occasion de son 30e anniversaire, le CHU de Liège a voulu redire la fierté qui est la sienne de pouvoir accueillir ses patients et visiteurs, étudiants et membres du personnel dans cette infrastructure exceptionnelle. Avant-propos Julien Compère, administrateur délégué du CHU de Liège

De Bavière au Sart Tilman À Liège, les soins de santé furent de tout temps une préoccupation de premier ordre. Pendant le Moyen Âge, des établissements dédiés aux nécessiteux sont gérés par l’Église mais aussi, de plus en plus souvent, par les bourgeois de la ville. En 1600, la Compagnie de la Miséricorde est par exemple créée par de riches marchands pour venir en aide aux pauvres. Cette confrérie, particulièrement importante pour l’histoire hospitalière de Liège, se voit très vite dotée d’une propriété grâce à l’aide du chanoine Didden et du prince-évêque Ernest de Bavière. Ce dernier avait en effet acquis personnellement une maison au banquier Porquin en 1584. En 1603, il fait acte de charité en offrant la « Maison Porquin » dite aussi « de Bavière » – située sur l’actuelle place de l’Yser en Outremeuse – à la Compagnie. Au fil des siècles, l’institution florissante transforme ainsi l’ancienne maison de campagne en un hospice de quatre salles et environ 100 lits, où les démunis sont confiés aux bons soins des Sœurs régulières de saint Augustin qui en assurent la gestion. La Révolution liégeoise met un terme à l’autonomie du complexe, bientôt géré par une Commission des hospices civils et des bureaux de bienfaisance chargés d’organiser l’aide aux pauvres, désormais publique depuis la nationalisation de tous les biens hospitaliers. Les Sœurs de saint Augustin continuent toutefois d’assurer les soins aux patients au sein de l’hôpital de l’ancienne confrérie où, rapidement, des travaux d’assainissement et d’agrandissement deviennent nécessaires. Malgré l’acquisition de plusieurs immeubles avoisinants, la place vient à manquer dans un complexe qui n’avait pas été construit pour héberger des malades. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les recherches pour un nouveau terrain se poursuivent, tandis que les tensions entre laïcs et religieux, puis entre la Commission des hospices et la Faculté de médecine de l’Université de Liège, s’intensifient. Finalement, en 1887, l’architecte Laurent Demany est chargé de construire un nouveau bâtiment « de Bavière » à proximité immédiate de l’ancien, le quartier d’Outremeuse étant considéré comme adéquat en vertu de son caractère populeux et de sa situation proche du fleuve et des boulevards. L’ensemble est inauguré en 1895 sur les anciens « Prés Saint-Denis » (entre le boulevard de Entrée de l’hôpital de Bavière, photographie de A. Julin, 1935. © Collections artistiques de l’Université de Liège. 3 6

la Constitution et la rue des Bonnes Villes), sous la forme d’un complexe pavillonnaire de 38 000 m². Durant le XXe siècle, l’hôpital de Bavière connaît de belles heures, particulièrement après sa modernisation dans les années 1930 puis après la Seconde Guerre mondiale, lorsque la conscience collective se tourne de plus en plus vers l’assistance sociale avec les premières organisations d’aide publique. Mais, en plus de l’exigüité des lieux et de la vétusté qui se font à nouveau sentir, les tensions toujours plus fortes entre la Faculté de médecine et la toute jeune Commission d’Assistance publique (futur CPAS) poussent très vite les deux entités à « faire chambre à part » dès les années 1960. L’Université, après avoir envisagé plusieurs implantations pour un nouvel hôpital, arrête son choix sur le Sart Tilman, alors en pleine urbanisation. En 1962, les plans sont confiés à Charles Vandenhove, chargé d’ériger un complexe moderne, consacré à la recherche et à l’enseignement, tandis que le CPAS, de son côté, déménage de Bavière vers le site de la Citadelle dans les années 1980. Après plusieurs difficultés financières durant les années 1980, le transfert des départements est achevé et le CHU, Centre Hospitalier Universitaire du Sart Tilman, est finalement inauguré le 13 décembre 1985. 5 Hôpital de Bavière, biberonnerie (service pédiatrie), vers 1930, photographie anonyme. © Collections artistiques de l’Université de Liège. Le CHU aujourd’hui Depuis son ouverture officielle et son émancipation de l’Université de Liège en 1987, le CHU s’est considérablement agrandi : acquisition du « CHU OurtheAmblève » à Esneux en 1992 ; fusion avec la clinique Notre-Dame des Bruyères en 2002 ; consultations organisées dans les polycliniques du centre-ville (Brull, Sauvenière), à Aywaille et à Chaudfontaine ; construction d’un nouveau bâtiment d’Oncologie en cours. Aujourd’hui, il assure chaque jour près de 3 400 consultations et accueille presque 700 patients (urgences, hôpital de jour et hospitalisation), confiés aux soins d’une cinquantaine de services et de 900 médecins. 7

Le CHU dans le domaine du Sart Tilman Longtemps épargné par les promoteurs immobiliers et l’urbanisation, le domaine du Sart Tilman est investi, au début des années 1960, par l’Université de Liège en mal d’espace au centre-ville. L’institution, son recteur Marcel Dubuisson en tête, rêve de «doter Liège d’une des plus belles universités d’Europe». Se lançant de plein pied dans cette «prodigieuse aventure», elle décide de déménager ses facultés sur les hauteurs de Liège, en pleine nature. Ce transfert va profondément marquer le site et son évolution durant la deuxième moitié du XXe siècle : la colline rurale devient campus. Soucieuse de préserver les qualités naturelles du lieu, l’Université impose d’emblée plusieurs objectifs : favoriser les axes dynamiques vers le centre de Liège, ouvrir le domaine au public en installant des chemins de randonnées et des œuvres d’art, mais aussi et surtout intégrer les nouveaux bâtiments de manière harmonieuse en protégeant les parties boisées. Dans cette perspective, Dubuisson désigne en 1961 l’architecte Claude Strebelle pour coordonner l’aménagement du Sart Tilman et donner à l’ensemble cohérence et qualité plastique. Entouré de son équipe d’architectes et urbanistes (Atelier du Sart Tilman), celui-ci conçoit un plan en forme de fer à cheval qui ceinture la vallée du Blanc Gravier et qui veille à la faune et la flore locales (les bâtiments et les routes sont par exemple implantés aux endroits où la forêt est la plus détériorée). Strebelle obtient aussi de ses collaborateurs – parmi lesquels des personnalités emblématiques de l’architecture contemporaine en Belgique – de viser à l’homogénéité du complexe. Sous le crayon de Roger Bastin, Pierre Humblet, André Jacqmain, Jean Maquet et Claude Strebelle, les facultés de sciences – aînées du campus –, les homes étudiants ou la centrale de chauffe se dotent ainsi de formes géométriques modernes et de proportions fonctionnalistes austères faisant la part belle au béton, souvent adoucies par des plantes grimpantes, terrasses, plates-bandes ou œuvres d’art. Charles Vandenhove quant à lui, se voit confier, outre la réalisation de plusieurs bâtiments tels que le magasin à livres (1962-1964) ou l’Institut d’éducation physique (1967-1971), la construction du nouvel hôpital universitaire. Celui-ci, privilégiant également le béton, s’élève bientôt Vue intérieure de la verrière du bâtiment principal du CHU. Tournage du film sur l’architecte Charles Vandenhove par Jacques Donjean, Films de la Passerelle © CHU. 3 8

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au sud-ouest du domaine, sur les hauteurs surplombant l’Ourthe, à proximité tout à la fois des facultés d’enseignement et des accès routiers. Il s’agit aujourd’hui de l’un des édifices les plus connus du Sart Tilman. Le 6 novembre 1967, l’Université inaugure officiellement ses premiers bâtiments au Sart Tilman, exploitant les matériaux et styles architecturaux en vogue. Plusieurs aménagements du domaine suivront encore durant les années 1970 à 1990. Même si la tendance reste à la cohérence du site et à l’harmonie avec la nature, chacune de ces décennies posera son empreinte architecturale. La seconde phase de chantier (1970-1990) privilégie ainsi la lumière, les formes courbes et les matériaux naturels (bois, moellons) pour créer une architecture organique plus « humaine » : extension de l’Institut de chimie (C. Strebelle, D. Boden, C. Dumont, 1977-1979), Faculté de droit, économie et sciences sociales (C. Strebelle, A. Jacqmain, D. Boden, 1981), Institut de psychologie et sciences de l’éducation (C. Strebelle, C. Dumont, 1982), etc. Durant les années 1990, d’autres architectes prennent encore le relais, à la faveur d’immeubles d’envergure, toujours en béton mais tendant vers l’épuration et profitant de matériaux plus résistants tels que le zinc, l’inox ou la pierre bleue : amphithéâtres de l’Europe (D. Dethier, 1994-1996), trifacultaire (R. Greisch, 1995), Institut du génie civil et de mécanique (R. Greisch, 1998-2000), etc. Enfin, les années 2000 et 2010 poursuivent l’aménagement avec des bâtiments sensibles aux normes actuelles de sécurité, d’énergies etc (Nouveau restaurant universitaire, cafétéria Polytech, nouveau pavillon d’accueil...) Le Sart Tilman, témoin exceptionnel de l’architecture contemporaine, comprend aussi le château de Colonster, un jardin botanique et un parc scientifique (Liège Science Park) dédié à la biotechnologie, l’électronique, l’ingénierie et l’industrie spatiale. Fréquenté quotidiennement par des milliers d’étudiants, chercheurs ou promeneurs, il est aussi internationalement reconnu pour son cadre naturel remarquable servant d’écrin aux fonctions variées d’enseignement, de recherche, de loisirs culturels et récréatifs, de sport et de soins de santé. Un site classé Véritable « poumon vert » de la région liégeoise, le Sart Tilman fait l’objet de toutes les attentions des défenseurs de l’environnement dès le XXe siècle. Sa richesse biologique et sa végétation variée poussent ces derniers à rêver d’une « Forêt de Soignes liégeoise » et à déterminer des zones de nonintervention urbaine pour préserver entre autres les bois, les landes (Streupas) et pelouses calaminaires du site. Ces considérations se renforcent après l’installation de l’Université qui est particulièrement attentive à préserver ces ressources et à y aménager des chemins de promenades. En octobre 1997, toute la vallée encaissée du Blanc Gravier (240 hectares), encore vierge de toute action humaine, est classée officiellement comme réserve naturelle par le Gouvernement wallon. En 2007, l’ensemble est étendu à 108 hectares boisés supplémentaires. 7 V ue extérieure de la verrière du bâtiment principal du CHU. © CHU 11

50 ans d’art intégré Dès la conception du site, les architectes choisissent de travailler de concert avec les artistes contemporains en tenant compte de leurs réalisations dans leurs plans d’urbanisme. L’une des premières œuvres – Pierre Culot, Mur de pierres d’âge viséen – est inaugurée dès 1967 et illustre à merveille cette collaboration étroite entre les deux disciplines. En 1977, pour favoriser cette dynamique artistique, l’Université de Liège et la Communauté française décident de créer le Musée en Plein Air du Sart Tilman. Depuis près de 40 ans et sur presque 700 hectares, il expose aujourd’hui une centaine d’œuvres en plein air ; on y retrouve de grands noms de la création contemporaine internationale (Alechinsky, Delahaut, Downsbrough, Ianchelevici, Wuidar…). 7 R ik Wouters, La Vierge folle (dite aussi La joie de vivre), 1912. © Jean Housen. 12

L’hôpital dessiné par Charles Vandenhove C’est en 1962 que les autorités universitaires confient à Charles Vandenhove la réalisation d’un hôpital dont il obtient la commande définitive en 1965. L’objectif est la création d’une structure abritant 1 100 lits et capable d’accueillir tous les services nécessaires à une médecine de haute technologie ainsi qu’à la recherche et à l’enseignement universitaires. L’architecte, en compagnie d’un conseiller médical, effectuera de nombreuses visites d’étude en Europe, notamment en Scandinavie, et aux États-Unis afin de se documenter en matière d’infrastructure hospitalière. Présenté en 1967, le projet prévoit six tours articulées autour d’un bloc central. Édifiée en premier, la tour de l’Institut de pathologie est occupée à partir de 1975. Pendant près de dix ans, elle s’élève seule au milieu d’un gigantesque chantier qui connaît une révision du programme initial. En effet, les changements en matière de politique de santé et les restrictions budgétaires entraînent la suppression d’une tour et la réduction du nombre de lits à 600. Inauguré officiellement le 13 décembre 1985, le CHU s’affranchit deux ans plus tard de la tutelle de l’Université et devient autonome. La même année, les derniers lits d’hospitalisation quittent Bavière. Le complexe hospitalier est complété en 2010 par un auvent et une galerie commerciale (CREATure – Atelier André Gulpen en collaboration avec Jean-David Julémont). L’année suivante est édifié, sur le parking, un Espace Entreprises dédié à la biotechnologie (architectes Gérard-Lemaire associés). Recouverte d’un bardage en bois, la tour s’élève en partie sur pilotis. En contrebas du parking, à l’emplacement prévu par Vandenhove pour la sixième tour, un nouveau bâtiment est en construction depuis 2014 (bureau d’architecture Émile Verhaegen). Il abritera, dès 2018, le Centre intégré d’oncologie. L’hôpital universitaire conçu par Charles Vandenhove se compose de cinq tours indépendantes, articulées en étoile autour d’une structure centrale en forme de pyramide tronquée. Reliées entre elles sur quatre niveaux en souterrain, les tours 13

14 comprennent huit à douze niveaux tandis que le bloc central s’organise autour d’un puits de lumière protégé par la Grande verrière, classée en 1994. Un bâtiment en quart de cercle qui abrite auditoires et services administratifs complète l’ensemble. Conçues selon un même plan, les tours sont des structures modulables, pouvant abriter aussi bien des laboratoires, des chambres de patients ou des bureaux administratifs. Cette souplesse dans la division de l’espace est rendue possible grâce au recours à la préfabrication de modules en béton et à l’usage d’une trame modulaire carrée de 7,20 m de côté. Dans les unités d’hospitalisation, le plan carré permet de réduire les déplacements internes en concentrant au centre les bureaux et en reportant en périphérie, à la lumière et face au paysage, les chambres des patients ainsi que les lieux de détente. Le plan-masse résulte d’un compromis entre l’hôpital monobloc bien adapté aux impératifs d’une gestion pratique et l’hôpital pavillonnaire séparant les classes de malades suivant le type de pathologie. Une des idées maîtresses est de garantir une séparation optimale des circulations respectives des malades hospitalisés, des patients externes fréquentant les polycliniques et des visiteurs, et par ailleurs des matières sales et propres. De plus, l’architecte s’attache particulièrement à l’harmonie du lieu. Il entend humaniser l’hôpital ainsi qu’en témoigne la structure générale mais également sa volonté d’y intégrer des interventions artistiques. Il manifeste également un souci constant de la qualité des solutions mises en œuvre dans l’architecture que ce soit dans le choix des matériaux (pavés en marbre...), dans le traitement formel des éléments préfabriqués, l’intelligence du système de circulation interne ou dans la minutie des finitions (conception de l’ensemble du mobilier : portes, luminaires, armoires…). Charles Vandenhove Né en 1927 à Teuven, Charles Vandenhove grandit au sein de la ferme familiale. En 1945, il entame ses études à l’école SaintLuc à Liège où il rencontre Lucien Kroll (Bruxelles, 1927). Les deux amis poursuivent leurs études à l’École nationale supérieure d’Architecture de Bruxelles. Ensemble, ils voyagent et rencontrent des architectes de renom dont Auguste Perret (Ixelles, 1874 – Paris, 1954), Henry van de Velde (Anvers, 1863 – Oberägeri, 1957) et Le Corbusier (La-Chaux-de-Fonds, 1887 – Roquebrune-Cap-Martin, 1965). Les jeunes diplômés s’associent en 1951, cinq ans avant que Vandenhove ne crée son propre bureau. Dès la fin des années 1950, l’architecte honore des commandes publiques qui favorisent sa réputation (voir page 30) : la morgue pour la Ville et l’Université de Liège, le magasin à livres du campus universitaire du Sart Tilman et un immeuble pour l’Institut national de l’Industrie charbonnière. À la même époque, il réalise L’architecte Charles Vandenhove dans la verrière qu’il a réalisée au CHU. Tournage du film de Jacques Donjean, Films de la Passerelle © CHU. 3

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16 deux habitations très similaires : sa propre maison-atelier rue Chauve-Souris à Liège et la maison Repriels à Plainevaux. Les années 1960 sont marquées par une collaboration intense avec l’Université de Liège : l’architecte érige en ville la résidence Lucien Brull, un centre de transfusion sanguine et des laboratoires pour la Faculté de médecine et, au Sart Tilman, l’Institut d’éducation physique et le CHU. La production architecturale des quinze premières années de sa carrière présente une cohérence tant dans les effets recherchés tels que la monumentalité ou la sobriété, que dans les moyens mis en œuvre pour les atteindre – emploi du béton préfabriqué et usage de la brique apparente. Un changement s’opère, dans les années 1970, avec l’intégration d’éléments non plus abstraits mais empruntés à la fois à l’architecture primitive et à l’architecture classique. Les réalisations les plus significatives sont alors des habitations à petite échelle. La fin de la décennie est marquée par deux projets tout à fait décisifs menés à Liège et qui le confrontent au patrimoine historique : la rénovation du quartier Hors-Château et la transformation de l’hôtel Torrentius, une demeure du XVIe siècle destinée à abriter notamment ses bureaux. Par la suite, Vandenhove assure d’autres rénovations urbaines. Sa carrière connaît également un rayonnement international. Ainsi, il érige à Paris le Théâtre des Abbesses. Mais c’est surtout aux PaysBas que l’architecte développe sa créativité : il mène, entre la fin des années 1980 et 2008, plus de vingt projets d’habitation à travers le pays et construit également des bâtiments publics remarquables, tel le Palais de Justice de Bois-le-Duc. Actuellement, un pavillon est en construction pour l’Université de Gand. Il abritera notamment la riche collection d’art de l’architecte. Le postmodernisme Théorisé en 1977 par le critique d’art Charles Jencks (Baltimore, 1939), ce mouvement architectural se distingue par un retour à l’ornement, à la composition hiérarchisée, à la symétrie et aux références aux ordres architecturaux classiques. Si le début de la carrière de Vandenhove est marquée par l’abstraction, son langage formel évolue ensuite vers une sensibilité postmoderne, comme le souligne Pierre Henrion. Au CHU, cette évolution est bien visible. Au gros œuvre abstrait se superposent des détails ornementaux qui tantôt font référence à l’histoire architecturale (chapiteaux papyriformes égyptiens), tantôt relèvent du vocabulaire propre de l’architecte comme les petits carreaux de couleur.

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Lambris, par Charles Vandenhove. © CHU. Lambris, par Claude Viallat. © CHU.

Le CHU et l’art contemporain Remarquable par la qualité esthétique de sa conception et le raffinement de ses moindres finitions, le CHU de Liège se distingue également de la plupart des constructions hospitalières par les interventions d’artistes que l’architecte Charles Vandenhove y a intégrées. Comme dans presque toutes ses réalisations, celui-ci y établit en effet un dialogue entre architecture et arts plastiques et les œuvres, conçues par des artistes de renommée internationale, ne sont ni secondaires, ni anecdotiques, mais participent à l’économie générale du bâtiment. Même si beaucoup des usagers quotidiens du lieu n’y prêtent plus attention, la présence d’interventions artistiques fait de l’hôpital l’un des plus riches sites de la région liégeoise en matière d’art contemporain. Les œuvres d’artistes, qu’ils soient internationaux ou d’origine liégeoise, tels Sol LeWitt, Daniel Buren, Jo Delahaut ou Jacques Charlier, sont en effet intégrées étroitement au bâtiment. Charles Vandenhove a demandé à une dizaine d’artistes de lui proposer des projets pour la réalisation de lambris de tôle émaillée destinés à l’ensemble des couloirs et chambres du complexe. Ces éléments ont une double fonction : outre qu’ils assurent une protection efficace à la partie basse des murs (les tôles sont à la fois solides et lavables, et leur état général de conservation après 30 ans d’usage est étonnant), les panneaux jouent également un puissant rôle de repère visuel dans une structure architecturale basée sur une modularité standardisée. En fonction du « vocabulaire » plastique de chacun des artistes, quelques règles communes s’appliquent à la plupart des interventions, notamment l’usage de couleurs vives dans les couloirs et de couleurs pastel dans les chambres d’hospitalisation (c’est le cas pour les œuvres de Buren, Viallat, Debré, Romus) ainsi que des dimensions standardisées de 103 x 200 cm pour chaque panneau. Jean-Charles Blais (Nantes, 1956) Tour 2 niveau +1CD (soins intensifs, pas d’accès public) Formé à l’École des Beaux-Arts de Rennes, Jean-Charles Blais rejoint Paris et adhère, au début des années 1980, à la figuration libre qui prône le renouveau du figuratif en réaction à l’abstraction des années 1970. Ses fragments de personnages monumentaux sont peints au revers de matériaux de récupération, essentiellement d’affiches arrachées. En 1990, il décore la station de métro Assemblée nationale à Paris. Peu après, il intervient, avec Daniel Buren et Patrick Corillon, entre autres, au Théâtre des Abbesses à Paris, à l’occasion de l’édification confiée à Charles Vandenhove. Il expose régulièrement, notamment à Paris, New York ou Tokyo et, en 2013, le Musée Picasso à Antibes lui consacre une rétrospective. Pour le CHU, Blais propose le détail d’un personnage monumental dont il esquisse sommairement les contours en blanc sur fond bleu foncé. Il le met en scène, de dos ; on ne voit que les jambes portant un pantalon et les pieds chaussés de lourdes bottines. « Mes silhouettes – déclare-t-il – bougent, comme un dessin qui s’anime, respirent, se transforment, expirent. » Sur le fond constellé de taches sont disséminées des feuilles mortes stylisées. L’œuvre s’inscrit dans la figuration libre des débuts de l’artiste et constitue l’une des deux interventions artistiques figuratives au CHU. Blais décline le corps, le départ, la fuite ou l’anonymat en résonnance avec le lieu. 19

Ascenseurs publics Paliers tour 1/tour 2, niveaux -1, +4, +6 Tour 1, niveaux -4AB, -2AB, +1AB, +3AB, +5AB Tour 2, niveau +6CD Routes 260-267, 340-349 et 529 Daniel Buren est formé à l’École des métiers d’arts de Paris (1958), où il étudie la peinture et la décoration générale. Dès le début, son œuvre amorce une réflexion sur les limites de la peinture : en éliminant toute référence à l’illusionnisme visuel et aux possibilités expressives du langage pictural, son intervention plastique minimale entend ramener la peinture à un « degré zéro ». Après avoir été récompensé par plusieurs distinctions, Daniel Buren accède rapidement à la notoriété dans le monde de l’art contemporain. Dès 1967, il réduit sa grammaire picturale à l’essentiel : des bandes verticales alternées, blanches et colorées, d’une largeur invariable de 8,7 cm (largeur de la toile qui servait de support à sa peinture). Avec cet « outil », l’artiste entame une carrière d’une très grande rigueur formelle et intellectuelle, qui interroge, en installant ces bandes colorées dans des espaces extrêmement variés, les limites du dialogue qu’entretient la peinture avec les lieux où elle s’expose. En 1967, Daniel Buren est invité au 18e Salon de la Jeune Peinture au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris ; il forme à cette occasion un groupe avec Olivier Mosset (Berne, 1944), Michel Parmentier (Paris, 1938-2000) et Niele Toroni (Muralto, 1937) : leur brève collaboration – le groupe BMPT est dissous en novembre 1967 – reste un moment important dans l’histoire de l’art du XXe siècle. Un témoignage d’époque du galeriste Michel Claura, décrit l’intervention des quatre artistes lors de ce salon : « Une grande salle carrée. Cimaises nues. Buren, Mosset, Parmentier, Toroni s’installent et commencent à travailler. Buren recouvre de blanc les deux bandes extrêmes d’une toile pré-rayée verticalement. Mosset inscrit un cercle noir au centre d’une toile blanche. Parmentier peint à la bombe des Daniel Buren (Boulogne-Billancourt, 1938) 20

bandes horizontales, obtenues par pliage. Toroni applique les empreintes d’un pinceau plat en quinconce sur une toile blanche. Pendant ce temps, c’est-à-dire de 11 à 20 heures, un haut-parleur diffuse en anglais, espagnol et français, sans interruption : « Buren, Mosset, Parmentier, Toroni vous conseillent de devenir intelligents ». Avant la fin du vernissage, les artistes décrochent leurs œuvres et affichent une banderole « BUREN MOSSET PARMENTIER TORONI N’EXPOSENT PAS ». La dimension critique des interventions du groupe BMPT en 1967 marque durablement la carrière de ses membres. Au fil du temps, Daniel Buren, au départ pourtant extrêmement réticent à l’égard des institutions du monde de l’art, est invité par de nombreux musées à intervenir et développer sa réflexion multiforme sur l’espace, le rythme, la couleur dans des conditions très diversifiées. Sa collaboration avec des architectes est également importante depuis plus de 30 ans : en 1980, Daniel Buren et Charles Vandenhove inaugurent leur fructueuse collaboration par la réalisation d’une série de lambris pour le CHU de Liège. Cette première intervention de l’artiste dans l’architecture de Vandenhove sera suivie de nombreuses autres : le Salon royal du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles (1984), le Passage blanc et noir à Amsterdam (1992), Soleils – Garde-corps, au Théâtre des Abbesses (1996). L’intervention de Buren au CHU de Liège est double : d’une part, il crée (avec une dizaine d’autres artistes), les motifs des lambris qui garnissent les murs et couloirs de l’hôpital ; d’autre part, il conçoit les plaques émaillées aux couleurs vives qui ornent les cabines d’ascenseurs. Dans les deux cas, Buren s’en tient aux éléments de base de sa démarche artistique, de son travail : la revendication d’un degré zéro de la peinture, l’affirmation du caractère décoratif de l’œuvre d’art et le paradoxe d’un minimalisme formel clairement identifiable. Lambris, par Daniel Buren. © CHU. 21

Jacques Charlier (Liège, 1939) Tour 2 niveau +3CD, Route 30-39 Artiste autodidacte, Jacques Charlier adapte sa technique en fonction de son idée, ce qui explique une approche pluridisciplinaire (peinture, photographie, bande-dessinée, art vidéo, installation, musique, essai…). Pour gagner sa vie, il est employé au Service Technique de la Province de Liège (STP) de 1957 à 1977 et professeur de graphisme à l’Académie des Beaux Arts de la ville pendant 22 ans. À partir des années 1970, influencé par Marcel Broodthaers (Bruxelles 1924 – Cologne, 1976), il découvre l’art minimaliste et conceptuel. Il exploite notamment des photographies réalisées par le STP selon le principe du ready-made (exposition Zone Absolue, 1970). Intéressé par le monde de l’art, son marché et ses dysfonctionnements, il se penche dès les années 1980 sur les grands styles et thèmes de l’histoire de l’art, qu’il revisite avec humour (Novissima Verba, 2000, d’après le Pornocratès de Félicien Rops). Son œuvre 100 sexes d’artistes, qui doit être présentée dans le cadre du Festival off de la Biennale de Venise en 2009, est interdite par le comité, ce qui provoque une vive réaction dans le monde de l’art. Véritable galerie des grands noms de la peinture du XXe siècle, cette œuvre n’est pourtant rien d’autre qu’une satire dans la droite ligne des caricatures et des portraits-charges du XIXe siècle. Il s’agit d’ailleurs d’un projet relativement ancien dans la carrière de Charlier car les premiers « sexes d’artistes » sont réalisés dès 1973. Le motif qu’il réalise pour les lambris du CHU se distingue de la grande majorité des autres interventions par son aspect figuratif. Destinés à orner les couloirs du service de pédiatrie, les lambris présentent une galerie de personnages pittoresques (clown, chien, kangourou…) et d’objets familiers (guitare, télévision, chaise…), chargés de distraire les petits patients. L’artiste souhaitait que ces dessins se retrouvent également sur le linge de lit ou encore les rideaux des chambres, de manière à créer un espace cohérent, mais le projet est abandonné. L’œuvre n’a aucune volonté narrative, les figures se répartissant librement sur le fond coloré des panneaux (rouge et bleu dans les couloirs, tons pastel dans les chambres). Suite au déménagement du département de pédiatrie, les lieux furent un temps occupés, par un ironique mouvement de balancier, par le service de gériatrie. Actuellement, ils abritent le service d’oncologie. Se qualifiant lui-même de « grossiste en humour belge toutes catégories » et de « pirate de l’art », Jacques Charlier continue d’exercer un regard critique aiguisé sur le microcosme du milieu artistique contemporain. Lambris, par Jacques Charlier. © CHU. 22

Olivier Debré (Paris, 1920-1999) Tour 1 niveaux -3AB, -1AB, +2AB, +4AB Route 519 Passionné par la peinture et formé en architecture, Olivier Debré décroche, en 1942, une licence en histoire à la Sorbonne. Avant la guerre, il est bouleversé par Guernica peint par Picasso (Malaga, 1881 – Mougins, 1973) et présenté à l’Exposition internationale de Paris en 1937. La rencontre avec ce dernier en 1941 est décisive : la structure intellectuelle des recherches de l’artiste espagnol l’incitent à recréer un monde sensible grâce une analyse plus abstraite. Dès les années 194547, Debré trace d’abord des traits noirs sur fond noir, puis des signes peints ou encrés sur papier blanc, exprimant son émotion sans passer par la représentation. Ses contacts avec des artistes avant-gardistes (Poliakov, de Staël, Soulages) l’incitent à composer par plans de couleurs, « maçonnés » au couteau en couches épaisses. Les œuvres des années 1960, aux couleurs intenses, s’apparentent de manière ténue à l’expressionnisme abstrait américain, notamment illustré par Rotkho. Contrairement à la peinture outre-Atlantique, le traitement de la couleur et de la lumière traduit l’émotion de Debré devant les paysages naturels. Durant les années 1980, sa vision d’un paysage dont les limites semblent infinies se concrétise sur des toiles monumentales presque monochromes. L’artiste explique qu’il développe une relation de corps à corps avec ces énormes surfaces, marchant sur la couche picturale qu’il étend sur le support grâce à une brosse dotée d’un manche télescopique. Ces créations singulières et l’intérêt qu’il porte aux espaces publics et aux techniques plastiques retiennent l’attention d’institutions internationales (rideaux de scène pour les opéras de Hong Kong et de Shangaï, pour la Comédie française, sculptures à l’entrée du tunnel sous la Manche) et de musées français qui lui consacrent des cimaises et des rétrospectives. Au CHU, l’intervention de Debré, sorte d’évocation rythmique et colorée, anime délicatement l’espace, les couleurs franches comme le bleu outremer foncé ou le jaune vif étant réservées aux lambris des couloirs et les teintes pastel déclinées dans les chambres. Comme une partition musicale, elle est composée de traits et de légères taches étirées, de zébrures dynamiques témoignant de l’art gestuel de l’artiste. Charles Vandenhove sollicite aussi l’artiste français dans son atelier de l’hôtel Torrentius, élégante demeure du XVIe siècle au centre de Liège. Laissons la conclusion à Debré : « Le rythme, en partageant l’espace plan de la toile, est comme une projection du temps. Il introduit la vie ». Lambris, par Olivier Debré. © CHU. 23

Tour 2 niveau -3CD Formé à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, où il est l’élève d’Auguste Mambour (Liège, 1896-1968), Jo Delahaut décroche ensuite une licence puis un doctorat en histoire de l’art à l’Université de Liège. Professeur de dessin dans un athénée, Delahaut enseigne ensuite l’initiation esthétique à l’Institut national supérieur des Arts du Spectacle (INSAS, Bruxelles) ainsi que la peinture à l’École nationale supérieure des Arts visuels de La Cambre (Bruxelles). Figure de proue de l’abstraction géométrique en Belgique, Delahaut ne s’illustre pas uniquement en peinture. Il signe également collages, sérigraphies, bijoux, céramiques, reliures ainsi que plusieurs compositions monumentales dont la plus célèbre est Rythme bruxellois (1975) intégrée à la station de métro Montgomery. Il écrit aussi de nombreux essais sur l’art. Dès 1945, influencé par le peintre français Auguste Herbin (Quiévy, 1882 – Paris, 1960), il peint des formes géométriques dans lesquelles la couleur joue le rôle principal et devient dès lors le pionnier du renouveau de l’abstraction sur la scène artistique belge. Ses œuvres se caractérisent par l’épuration et la rigueur dans le traitement de la forme, de la ligne et de la couleur. L’artiste privilégie rapport entre formes et couleurs, ainsi que le dynamisme qui peut découler de ses compositions. Il juxtapose ses aplats géométriques en jouant sur les tensions entre les tons. Dans le contexte d’optimisme des années d’après-guerre, de nombreux artistes nourrissent l’idéal d’un art accessible à tous. Dans cet esprit, Jo Delahaut réalise, entre 1956 et 1987, une douzaine d’intégrations plastiques à des édifices et espaces publics, jouant toujours sur le pouvoir expressif des formes et des couleurs. Prônant la participation de l’art à la vie quotidienne et son intégration au décor journalier, Delahaut investit des sites très fréquentés, dans l’espoir d’améliorer le cadre de vie de ses concitoyens. Après ses premières interventions dans des logements sociaux (Foyer Montagnard à Montigny-sur-Sambre en 1956, Droixhe à Liège en 1957, Ieder Zijn Huis à Evere en 1960), il assure la décoration au sein de complexes sportifs, stations de métro, hôpitaux… Très impliqué dans l’éducation artistique, Delahaut préconise le contact avec l’art dès l’enfance. C’est ainsi qu’il intervient également dans des écoles (athénée royal de Pont-à-Celles en 1960, école Clair Vivre à Evere en 1965) mais aussi sur le campus universitaire du Sart Tilman (Esplanade, mosaïque en céramique, 1987). Au Sart Tilman, il conçoit également des lambris pour le CHU. Selon le témoignage de Léon Wuidar dans la revue Art&fact, Delahaut avait été désigné pour intégrer Jo Delahaut (Vottem-lez-Liège, 1911 – Schaerbeek, 1992) 24

une œuvre au bâtiment d’éducation physique construit par Vandenhove en 1963. Bien que l’architecte ait refusé avec véhémence cette intervention, il invite peu après l’artiste à réaliser des lambris au CHU. Ces panneaux, composés uniquement de blanc et de noir, constituent l’œuvre murale la plus discrète de Jo Delahaut. L’élément essentiel de cette intégration doit, selon l’artiste, être le rythme. Sa volonté est d’insuffler à son motif un « mouvement allègre, une impression d’aisance ». Associant segments droits et courbes, l’épaisse ligne noire tracée sur fond blanc court d’un panneau à l’autre, créant en effet un mouvement saccadé et rythmant un parcours qui aurait pu sembler monotone. Sa composition doit, explique l’artiste, « dégager une force dynamique, tant pour l’esprit que pour le corps, dont les usagers d’un hôpital ont souvent le plus grand besoin ». Ces lambris s’ancrent dans l’évolution artistique de Delahaut : au fil de sa carrière, son œuvre s’épure. Dans les années 1970, ses aplats colorés alternent avec des surfaces blanches ou noires, le nombre de couleurs décroît. Les années 1980 voient l’épuration se confirmer avec des toiles blanches traversées de quelques lignes jaunes. Si Jo Delahaut revient à la couleur dans les dernières années de sa vie, les lambris du CHU témoignent encore de la période la plus dépouillée de l’artiste. Lambris, par Jo Delahaut. © CHU. 25

Paliers tour 1/tour 2 niveaux -4, -3, -2, 0, +1, +2, +3, +5 Tour 2 niveau +4CD Routes 211-219, 302, 330-334, 380, 387 Formé à l’université de Syracuse (New York) à la fin des années 1940, Sol LeWitt découvre les grands maîtres de la peinture lors d’un voyage en Europe. Il s’installe à New York en 1953 (après plusieurs années de service dans l’armée américaine durant la guerre de Corée) ; il exerce comme graphiste pour la presse, ainsi que, pendant un an, pour le cabinet de l’architecte Ieoh Ming Pei. Au début des années 1960, il travaille comme réceptionniste de nuit au Museum of Modern Art à New York. Le travail de Sol LeWitt atteint une notoriété internationale dès la fin des années 1960. Élaborée dans la mouvance du courant minimaliste (lié à la volonté de créer un art non subjectif, dénué de symbolique et d’émotion, en réduisant au strict minimum toute trace de facture picturale ou d’intervention de la main du peintre), son œuvre s’inscrit également dans le mouvement de l’art conceptuel : les réalisations artistiques se définissent par l’idée qui les sous-tend plus que par leur matérialité ou leurs qualités esthétiques ou sensitives. Dans l’art conceptuel, le savoir-faire de l’artiste et le principe d’œuvre « achevée » sont évacués au profit de l’idée : « La pittura e cosa mentale » (Leonardo da Vinci, édition de 1651). La célébrité de Sol LeWitt s’est établie sur deux séries de réalisations. Les plus connues relèvent de la sculpture, même si l’artiste préférait le terme de « structures » : à partir d’un élément géométrique basique, tel le cube, LeWitt élabore des combinaisons et des réseaux de volumes, comme l’explique le catalogue de son exposition new-yorkaise de 1968 : « La forme, elle-même, a une importance très réduite : elle devient la grammaire de l’œuvre dans son entité. En fait, le mieux est que l’unité de base soit parfaitement inintéressante, de la sorte elle deviendra plus facilement partie intrinsèque de l’œuvre entière. Choisir des formes de base complexes ne peut que nuire à l’unité de l’ensemble. Recourir à la répétition d’une forme simple, c’est réduire le champ d’intervention et mettre l’accent sur la disposition de la forme. L’arrangement devient la fin et la forme devient le moyen. » Les réalisations graphiques sont le deuxième volet de l’œuvre de l’artiste newyorkais. Le premier Wall drawing est créé en 1968 à la Paula Cooper Gallery de New York : « Je désirais créer une œuvre d’art qui soit aussi bidimensionnelle que possible : il paraît plus naturel de travailler à même le mur plutôt que de prendre un accessoire, de le travailler, puis de l’accrocher au mur » . Parmi les interventions d’artistes au CHU Sol LeWitt (Hartford, 1928 –New York, 2007) 26

de Liège, celles de Sol LeWitt sont, avec celles de Daniel Buren, parmi les plus visibles : présents dès la Grande verrière (sur les pavillons d’accueil), les lambris de l’artiste se retrouvent à plusieurs niveaux du bloc central, sur les paliers des tours de liaison, et au niveau 4 de la tour 2. Cette large présence est liée, selon l’architecte, à la diversité et au nombre de projets envoyés par l’artiste. La plupart de ses lambris conçus pour le complexe hospitalier sont des variations sur le thème du cube ; Charlotte Sougné, dans un mémoire en histoire de l’art consacré à la décoration du CHU, distingue deux séries de panneaux : «En règle générale, les structures cubiques composent deux séries de huit panneaux [ornés chacun de deux motifs]. La première série présente les formes cubiques en quatre couleurs (seulement deux pour la pyramide) : ocre, rouge, noir et gris. Le fond [...] est alternativement gris et blanc. La seconde présente ces mêmes cubes mais cette fois inscrits dans un carré. Le cadre et les arêtes du cube sont soulignés par un trait noir quand le fond est blanc, blanc quand le fond est noir. Les combinaisons binaires, toujours les mêmes, diffèrent d’une série à l’autre. Leur disposition varie constamment de façon à ne jamais donner l’impression de répétition. Cependant, certains cubes peuvent être redoublés sur un même panneau ou obéir à une disposition tout à fait différente. Ils peuvent ainsi être répétés selon une infinité de variations». Pour les paliers des tours de liaison, l’artiste a conçu une troisième série de huit panneaux qui déclinent des variantes autour du motif de l’étoile, inscrite dans un cercle puis dans le carré du lambris : le nombre de branches passe de trois à six en métamorphoses successives. Par l’importance spatiale que son œuvre occupe au CHU, Sol LeWitt est sans aucun doute, parmi les grandes figures de l’art minimaliste, le mieux représenté en région liégeoise et au-delà. Lambris, par Sol LeWitt. © CHU. 27

André Romus (Theux, 1936) Tour 2 niveau -1CD (pas d’accès public) Route 119 Initié dès l’adolescence au dessin et à la peinture auprès de Fernand Steven (Liège, 1895 – Herstal, 1955) et de Paul Daxhelet (Liège, 1905-1993), c’est à l’Université de Liège, en philologie romane, pourtant, qu’André Romus décroche son diplôme après avoir défendu un mémoire dédié au peintre-écrivain Eugène Fromentin. Entré en 1964 à la RTBF en tant que producteur, il réalise une centaine de documentaires. Il s’intéresse entre autres à Pierre Soulages (Rodez, 1919) dont l’œuvre l’enthousiasme. Ses rencontres avec le peintre français se couronnent par un film en 1978. Parallèlement, Romus poursuit son activité plastique et fréquente l’atelier du plasticien-vidéaste Jacques-Louis Nyst (19421996) où il s’initie à la peinture acrylique et au vinyle. À partir de 1975, il expose régulièrement en Belgique, à Liège, Bruxelles, Gand, Knokke ainsi qu’à l’étranger, à Stockholm, Madrid, Londres ou New York. Pour le décor de lambris du CHU, Romus conçoit une quarantaine de modèles réalisés à l’acrylique en noir et blanc – conformément aux instructions – sur format rectangulaire. Il travaille seul, sans concertation avec les autres acteurs de l’ornementation lambrissée, et ignore aussi le lieu destiné à accueillir son intervention. Le modèle retenu par Vandenhove et son épouse sera imprimé et multiplié sur les plaques d’acier émaillé qui animent les murs des couloirs et chambres du Service d’infectiologie situé au 1er sous-sol de la tour 2. Romus souhaite une couleur brun-rouille mais la société désignée pour reproduire les motifs sur métal ne peut satisfaire à la demande. Le bleu foncé est finalement choisi pour colorer les couloirs, tandis que les tons pastel (jaune, gris pâle) sont privilégiés dans les chambres. D’amples tracés vigoureux déploient librement leur verticalité au rythme des panneaux. Dans les couloirs, la couleur bleue rivalise d’éclat avec le blanc. L’illusion est réussie : la « matière picturale », pourtant lisse, apparaît tantôt opulente, dense, épaisse presque grumeleuse, tantôt fluide, étirée jusqu’à l’interruption du trait. L’œuvre conjugue souplesse et dynamisme de la ligne, somptuosité et légèreté de la matière, puissance chromatique, elle allie lyrisme et sensualité. Merci à André Romus pour l’entretien accordé le 5 janvier 2016. Lambris, par André Romus. © CHU. 28

Niele Toroni (Muralto, 1937) Escaliers mécaniques de la Grande verrière Tour 2 niveau -2CD Routes 340-349 et 380-389 Installé à Paris depuis 1959, Niele Toroni devient dès la fin des années 1960 l’un des plus importants représentants des courants minimalistes et conceptuels de l’art contemporain. En 1967, il fait partie, avec Daniel Buren (Boulogne-Billancourt, 1938), Olivier Mosset (Berne, 1944) et Michel Parmentier (Paris, 1938-2000), du groupe BMPT ; cette brève collaboration entre quatre artistes (le groupe est dissous en novembre de la même année) est une étape importante dans l’histoire du minimalisme en Europe. Le groupe BMPT intervient pour la première fois lors du vernissage du 18e Salon de la Jeune Peinture au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Cet événement est, dans l’œuvre de Niele Toroni, l’acte fondateur. Il y met au point ce qui est à la fois sa technique, son esthétique et son leitmotiv pictural : un alignement de points monochromes ou polychromes sur une surface blanche, empreintes de pinceau n° 50, espacées régulièrement tous les 30 centimètres. Au CHU, l’intervention de Niele Toroni est, avec celles de Sol LeWitt et de Daniel Buren, parmi les plus prégnantes, même s’il est vraisemblable que sa discrétion – inhérente à l’ethos de l’œuvre – la rende invisible aux moins attentifs. Dans l’espace piranésien de la Grande verrière, où l’œil ravi et ébahi du visiteur découvre lentement et parcourt les perspectives dessinées par les lignes fuyantes des châssis de la verrière, les jeux de damiers des carrelages, les cannelures verticales des colonnes, le treillis colorés des portes et fenêtres, dans cette symphonie savamment orchestrée, le rythme horizontal et répétitif des traits de pinceaux de Toroni sur le flanc des escaliers mécaniques intervient comme un contrepoint. L’intervention de l’artiste sur les escalators de la Grande verrière de Vandenhove est sans aucun doute un parangon du dialogue établi au CHU de Liège entre l’œuvre architecturale et sa décoration, qui dépasse ici l’ornemental et l’enjolivement. Lambris, par Niele Toroni. © CHU. 29

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